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– Eh bien!… moi, monsieur, j’y regarderais à deux fois, à votre place. Lacheneur vous a rendu Sairmeuse, c’est très bien. Mais où en est la preuve? Que feriez-vous si, imprudemment irrité par vous, il revenait sur sa parole?… Où sont vos titres de propriété?…

M. de Sairmeuse devint vert.

– Jarnibieu! s’écria-t-il, je n’avais pas pensé à cela… Holà! vous autres, qu’on me rentre toute cette dépouille, et promptement!…

Et comme on lui obéissait:

– Maintenant, dit-il à son fils, hâtons-nous de nous rendre à Courtomieu, d’où on nous a déjà envoyé chercher deux fois… Il s’agit d’une affaire d’une importance extrême.

XIII

Le château de Courtomieu passe, après Sairmeuse, pour la plus magnifique habitation de l’arrondissement de Montaignac. Si Sairmeuse s’enorgueillit de ses hautes futaies, Courtomieu vante ses prairies et ses eaux jaillissantes.

On y arrivait alors par une longue et étroite chaussée mal pavée, très laide, et qui gâtait absolument l’harmonie du paysage. Elle avait cependant coûté au marquis les yeux de la tête, à ce qu’il disait, et, pour cette raison, il la considérait comme un chef-d’œuvre.

Quand la voiture qui amenait Martial et son père quitta la grande route pour cette chaussée, les cahots tirèrent le duc de la rêverie profonde où il était tombé dès en quittant Sairmeuse.

Cette rêverie, le marquis pensait bien l’avoir causée.

– Voilà, se disait-il, non sans une secrète satisfaction, le résultat de mon adroite manœuvre!… Tant que la restitution de Sairmeuse ne sera pas légalisée, j’obtiendrai de mon père tout ce que je voudrai… oui, tout. Et s’il le faut, il invitera Lacheneur et Marie-Anne à sa table.

Il se trompait. Le duc avait déjà oublié cette affaire; ses impressions les plus vives ne duraient pas ce que dure un dessin sur le sable.

Il abaissa la glace de devant de sa voiture, et après avoir ordonné au cocher de marcher au pas:

– Maintenant, dit-il a son fils, causons!… Vous êtes décidément amoureux de cette petite Lacheneur?…

Martial ne put s’empêcher de tressaillir.

– Oh!… amoureux, fit-il d’un ton léger, ce serait peut-être beaucoup dire. Mettons qu’elle m’inspire un goût assez vif, ce sera suffisant.

Le duc regardait son fils d’un air narquois.

– En vérité, vous me ravissez!… s’écria-t-il. Je craignais que cette amourette ne dérangeât, au moins pour l’instant, certains plans que j’ai conçus… J’ai des vues sur vous, marquis!…

– Diable!…

– Oui, j’ai mes desseins et je vous les communiquerai plus tard en détail… Je me borne pour aujourd’hui à vous recommander d’examiner Mlle Blanche de Courtomieu.

Martial ne répondit pas. La recommandation était inutile. Si Mlle Lacheneur lui avait fait oublier, le matin, Mlle de Courtomieu, depuis un moment le souvenir de Marie-Anne s’effaçait sous l’image radieuse de Blanche.

– Mais avant d’arriver à la fille, reprit le duc, parlons du père… Il est fort de mes amis et je le sais par cœur. Vous avez entendu des faquins me reprocher ce qu’ils appelaient mes préjugés, n’est-ce pas? Eh bien! comparé au marquis de Courtomieu, je ne suis qu’un insigne jacobin.

– Oh!… mon père…

– Rien de plus exact. Si je ne suis pas de mon époque, on l’eût tenu, lui, pour arriéré, sous le règne de Louis XIV. Seulement, – car il y a un seulement, – les principes que j’affiche hautement, il les tient enfermés dans sa tabatière… et fiez-vous à lui pour ne l’ouvrir qu’au moment opportun. Il a, jarnibieu! cruellement souffert pour ses opinions, en ce sens qu’il a été forcé de les cacher assez souvent. Il les a cachées sous le Consulat, d’abord, quand il revint d’émigration. Il les dissimula plus courageusement encore sous l’Empire… car il a été quelque peu chambellan de «Buonaparte,» ce cher marquis… Mais, chut! ne lui rappelez pas cet héroïsme: il le déplore depuis Lutzen.

C’est de ce ton que M. de Sairmeuse avait coutume de parler de ses meilleurs amis.

– L’histoire de sa fortune, poursuivit-il, serait l’histoire de ses mariages… Je dis: «ses,» parce qu’il s’est marié un certain nombre de fois… avantageusement. Oui, en quinze ans, il a eu la douleur de perdre successivement trois femmes, toutes meilleures et plus riches les unes que les autres. Sa fille est de la troisième et dernière, une Cissé-Blossac… c’est celle qui a le plus duré; elle est morte vers 1809. À chaque veuvage, il trompait son désespoir en achetant quantité de terres ou des rentes. Si bien qu’à cette heure, il est aussi riche que vous, marquis, et qu’il a des influences secrètes dans tous les camps… Mais, Jarnibieu! j’oubliais un détail: il flaire, m’a-t-on dit, l’influence du clergé, et il est devenu d’une haute piété.

Il s’interrompit, la voiture venait de s’arrêter dans la cour d’honneur de Courtomieu, et le marquis accourait de sa personne au-devant de ses hôtes. Distinction flatteuse qu’il ne prodiguait pas.

C’était bien l’homme du portrait.

Long plutôt que grand, solennel et remuant à la fois, M. de Courtomieu portait une lévite infinie et des souliers à boucle d’or. La tête qui surmontait cette immense charpente était remarquablement petite, – signe de race, – couronnée de rares cheveux plats et noirs, – il les teignait, – et éclairée par de gros yeux ronds et sans chaleur.

La morgue qui sied au gentilhomme et l’humilité qui convient au chrétien, se livraient, sur son visage, un perpétuel et bien plaisant combat.

Il serra tour à tour entre ses bras M. de Sairmeuse et Martial, non sans les combler de compliments débités d’une petite voix de tête, qui étonnait, venant de ce grand corps, autant que surprendraient des sons de flûte sortant des flancs d’un ophicléide.

– Enfin, vous voici… répétait-il; nous vous attendions pour délibérer… c’est très grave… très délicat aussi. Il s’agit de rédiger une adresse à Sa Majesté. La noblesse, qui a tant souffert de la Révolution, attend de larges compensations… Enfin, tous nos amis des environs, au nombre de seize, sont réunis dans mon cabinet, transformé en chambre du conseil…

Martial frémit à l’idée de tout ce qu’il allait être obligé d’entendre de choses niaises et insipides, et la recommandation de son père lui revenant à propos:

– N’aurons-nous donc pas l’honneur, demanda-t-il, de présenter nos respects à Mlle de Courtomieu?…

– Ma fille doit être dans le salon avec notre vieille cousine, répondit le marquis de Courtomieu d’un ton distrait… à moins qu’elles ne soient au jardin…

Cela pouvait signifier: «Allez-y, si bon vous semble!» Martial le prit ainsi, et arrivé dans le vestibule, il laissa monter seuls son père et le marquis.

Un domestique lui ouvrit la porte du grand salon… mais il était vide.