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Et Maurice, qui sentait, qui était sûr qu’il mentait et mentait impudemment, Maurice restait ébahi de cette science de comédien que donna le commerce de la «haute société,» et qu’il ignorait, lui…

Mais où Martial en voulait-il venir, et pourquoi cette comédie?…

– Dois-je vous dire, mademoiselle, tout ce que j’ai souffert hier, dans cette petite salle du presbytère?… Non, je ne me rappelle pas, en ma vie, de si cruel moment. Je comprenais, moi, l’héroïsme de M. Lacheneur. Apprenant notre arrivée, il accourait, et sans hésitation, sans faste, il se dépouillait volontairement d’une fortune… et on le rudoyait. Cet excès d’injustice me faisait horreur. Et si je n’ai pas protesté hautement, si je ne me suis pas révolté, c’est que la contradiction irrite mon père jusqu’à la folie… Mais à quoi bon protester?… Le sublime élan de votre piété filiale devait être plus puissant que toutes mes paroles. Vous n’étiez pas hors du village, que déjà M. de Sairmeuse, honteux de ses préventions, me disait: «J’ai eu tort, mais je suis un vieillard, je ne saurais me résoudre à faire le premier pas, allez, vous, marquis, trouver M. Lacheneur, et obtenez qu’il oublie…»

Marie-Anne, plus rouge qu’une pivoine, baissait les yeux, horriblement embarrassée.

– Je vous remercie, monsieur, balbutia-t-elle, au nom de mon père…

– Oh!… ne me remerciez pas, interrompit Martial avec feu, ce sera à moi, au contraire, de vous rendre grâces, si vous obtenez de M. Lacheneur qu’il accepte les justes réparations qui lui sont dues… et il les acceptera si vous consentez à plaider notre cause… Qui donc résisterait à votre voix si douce, à vos beaux yeux suppliants…

Si inexpérimenté que fût Maurice; il ne pouvait plus ne pas comprendre les projets de Martial. Cet homme, qu’il haïssait déjà mortellement, osait parler d’amour à Marie-Anne devant lui, Maurice… C’est-à-dire que, depuis une heure, il le bafouait et l’outrageait; il se jouait abominablement de sa simplicité.

La certitude de cette affreuse insulte, charria tout son sang à son cerveau.

Il saisit Martial par le bras, et avec une vigueur irrésistible il le fit pirouetter par deux fois sur lui-même, et le repoussa, le lança plutôt à dix pas, en s’écriant:

– Ah! c’est trop d’impudence à la fin, marquis de Sairmeuse!…

L’attitude de Maurice était si formidable, que Martial le vit sur lui. La violence du choc l’avait fait tomber un genou en terre; sans se relever, il arma son fusil, prêt à faire feu.

Ce n’était pas lâcheté de la part du marquis de Sairmeuse, mais se colleter lui représentait quelque chose de si ignoble et de si bas, qu’il eût tué Maurice comme un chien, plutôt que de se laisser toucher du bout du doigt.

Cette explosion de la colère si légitime de Maurice, Marie-Anne l’attendait, la souhaitait même depuis un moment.

Elle était bien plus inexpérimentée encore que son ami, mais elle était femme et n’avait pu se méprendre à l’accent du jeune marquis de Sairmeuse.

Il était évident qu’il «lui faisait la cour.» Et avec quelles intentions!… il n’était que trop aisé de le deviner.

Son trouble, pendant que le marquis parlait d’une voix de plus en plus tendre, venait de la stupeur et de l’indignation qu’elle ressentait d’une si prodigieuse audace.

Comment, après cela, n’eût-elle pas béni la violence qui mettait fin à une situation atroce pour elle, ridicule pour Maurice!

Une femme vulgaire se fût jetée entre ces deux jeunes gens prêts à s’entre-tuer. Marie-Anne ne bougea pas.

Le devoir de Maurice n’était-il pas de la défendre quand on l’insultait! Qui donc, sinon lui, la protégerait contre la flétrissante galanterie d’un libertin? Elle eût rougi, elle qui était l’énergie même, d’aimer un être faible et pusillanime.

Mais toute intervention était inutile.

Si la passion, le plus souvent, aveugle, il arrive aussi parfois qu’elle éclaire.

Maurice comprit qu’il est de ces injures qu’on ne doit pas paraître soupçonner, sous peine de donner sur soi un avantage à qui les adresse.

Il sentit que Marie-Anne devait être hors de cause. C’était affaire à lui d’expliquer les motifs de son agression.

Cette intelligence instantanée de la situation opéra en lui une si puissante réaction, qu’il recouvra, comme par magie, tout son sang-froid et le libre exercice de ses facultés.

– Oui, reprit-il d’un ton de défi, c’est assez d’hypocrisie, monsieur!… Oser parler de réparations après le traitement que vous et les vôtres lui avez infligé, c’est ajouter à l’affront une humiliation préméditée… et je ne le souffrirai pas.

Martial avait désarmé son fusil; il s’était relevé, et il époussetait le genou de son pantalon, où s’étaient attachés quelques grains de sable, avec un flegme dont il avait surpris le secret en Angleterre.

Il était bien trop fin pour ne pas reconnaître que Maurice déguisait la véritable cause de son emportement, mais que lui importait!… S’il s’avouait, qu’emporté par l’étrange impression que produisait sur lui Marie-Anne, il était allé trop vite et trop loin, il n’en était pas absolument mécontent.

Cependant il fallait répondre, et garder la supériorité qu’il s’imaginait avoir eue jusqu’à ce moment.

– Vous ne saurez jamais, monsieur, dit-il, en regardant alternativement son fusil et Marie-Anne, tout ce que vous devez à Mlle Lacheneur. Nous nous rencontrerons encore, je l’espère…

– Vous me l’avez déjà dit, interrompit brutalement Maurice. Rien n’est si facile que de me rencontrer… Le premier paysan venu vous indiquera la maison du baron d’Escorval.

– Eh bien!… monsieur, je ne dis pas que je ne vous enverrai pas deux de mes amis…

– Oh!… quand il vous plairai…

– Naturellement… Mais il me plaît de savoir avant en vertu de quel mandat vous vous improvisez juge de l’honneur de M. Lacheneur, et prétendez le défendre quand on ne l’attaque pas… Quels sont vos droits?

Au ton goguenard de Martial, Maurice fut certain qu’il avait entendu au moins une partie de sa conversation avec Marie-Anne.

– Mes droits, répondit-il, sont ceux de l’amitié… Si je vous dis que vos démarches sont inutiles, c’est que je sais que M. Lacheneur n’acceptera rien de vous… non, rien, sous quelque forme que vous déguisiez l’aumône que vous voudriez bien lui jeter, sans doute pour faire taire votre conscience… Il prétend garder son affront qui est son honneur et votre honte. Ah! vous avez cru l’abaisser, messieurs de Sairmeuse!… vous l’avez élevé à mille pieds de votre fausse grandeur… Sa noble pauvreté écrase votre opulence, comme j’écrase, moi, du talon, cette motte de sable… Lui, recevoir quelque chose de vous… allons donc!… Sachez que tous vos millions ne vous donneront jamais un plaisir qui approche de l’ineffable jouissance qu’il ressentira, quand, vous voyant passer dans votre carrosse, il se dira: «Ces gens-là me doivent tout!»