Изменить стиль страницы

Sa parole enflammée avait une telle puissance d’émotion, que Marie-Anne ne sut pas résister à l’inspiration qu’elle eut de lui serrer la main. Et ce seul geste les vengea de Martial qui pâlit.

– Mais j’ai d’autres droits encore, poursuivit Maurice… Mon père a eu hier l’honneur de demander pour moi à M. Lacheneur la main de sa fille…

– Et je l’ai refusée!… cria une voix terrible.

Marie-Anne et les deux jeunes gens se retournèrent avec un même mouvement de surprise et d’effroi.

M. Lacheneur était là devant eux, et à ses côtés se tenait Chanlouineau qui roulait des yeux menaçants.

– Oui, je l’ai refusée, reprit M. Lacheneur, et je ne prévoyais pas que ma fille irait jamais contre mes volontés… Que m’avez-vous juré ce matin, Marie-Anne?… Est-ce bien vous… vous, qui donnez des rendez-vous aux galants dans les bois!… Rentrez à la maison, à l’instant…

– Mon père…

– Rentrez!… insista-t-il en jurant, rentrez, je l’ordonne.

Elle obéit et s’éloigna, non sans avoir adressé à Maurice un regard où se lisait un adieu qu’elle croyait devoir être éternel.

Dès qu’elle fut à vingt pas, M. Lacheneur vint se placer devant Maurice, les bras croisés:

– Quant à vous, monsieur d’Escorval, dit-il rudement, j’espère ne plus vous reprendre à rôder autour de ma fille…

– Je vous jure, monsieur…

– Oh!… pas de serments. C’est une mauvaise action que de détourner une jeune fille de son devoir, qui est l’obéissance… Vous venez de rompre à tout jamais toutes relations entre votre famille et la mienne…

Le pauvre garçon essaya encore de se disculper, mais M. Lacheneur l’interrompit.

– Assez, croyez-moi, reprenez le chemin de votre logis.

Et Maurice hésitant, il le saisit au collet et le porta presque jusqu’au sentier qui traversait le bois de la Rèche.

Ce fut l’affaire de dix secondes, et cependant il eut le temps de lui dire à l’oreille, et de son ton amical d’autrefois:

– Mais allez-vous-en donc, petit malheureux!… voulez-vous rendre toutes mes précautions inutiles!…

Il suivit de l’œil Maurice, qui se retirait tout étourdi de cette scène, stupéfié de ce qu’il venait d’entendre, et c’est seulement quand il le vit hors de la portée de la voix qu’il revint à Martial.

– Puisque j’ai l’honneur de vous rencontrer, monsieur le marquis, dit-il, je dois vous avertir que Chupin et un de ses fils vous cherchent partout… C’est de la part de M. le duc qui vous attend pour se rendre au château de Courtomieu.

Il se retourna vers Chanlouineau, et ajouta:

– Et nous, en route!…

Mais Martial l’arrêta d’un geste.

– Je suis bien surpris qu’on me cherche, dit-il. Mon père sait bien où il m’a envoyé… J’allais chez vous, monsieur, et de sa part…

– Chez moi?…

– Chez vous, oui, monsieur, et je m’y rendais pour vous porter l’expression de nos regrets sincères de la scène qui a eu lieu chez le curé Midon…

Et sans attendre une réponse, Martial, avec une extrême habileté et un rare bonheur d’expression, se mit à répéter au père l’histoire qu’il venait de conter à la fille.

À l’entendre, son père et lui étaient désespérés… Se pouvait-il que M. Lacheneur eût cru à une ingratitude si noire… Pourquoi s’était-il retiré si précipitamment?… Le duc de Sairmeuse tenait à sa disposition telle somme qu’il lui plairait de fixer, soixante, cent mille francs, davantage même…

Cependant M. Lacheneur ne semblait pas ébloui, et quand Martial eut fini, il répondit respectueusement mais froidement qu’il réfléchirait.

Cette froideur devait stupéfier Chanlouineau; il ne le cacha pas dès que le marquis de Sairmeuse se fut retiré après force protestations.

– Nous avions mal jugé ces gens-là, déclara-t-il.

Mais M. Lacheneur haussa les épaules.

– Comme cela, fit-il, tu crois que c’est à moi qu’on offre tout cet argent?

– Dame!… j’ai des oreilles…

– Eh bien! mon pauvre garçon, il faut se défier de ce qu’elles entendent. La vérité est que ces grosses sommes sont destinées aux beaux yeux de ma fille. Elle a plu à ce freluquet de marquis, et il voudrait en faire sa maîtresse…

Chanlouineau s’arrêta court, l’œil flamboyant, les poings crispés.

– Saint bon Dieu!… s’écria-t-il, prouvez-moi cela, et je suis à vous, corps et âme… et pour tout ce que vous voudrez.

XII

– Non, décidément, je n’ai de ma vie rencontré une femme qui se puisse comparer à cette Marie-Anne. Quelle grâce et quelle majesté!… Ah! sa beauté est divine!…

Ainsi pensait Martial en regagnant Sairmeuse, après ses propositions à M. Lacheneur.

Au risque de s’égarer, il avait pris au plus court, et il s’en allait à travers champs, se servant de son fusil comme d’une perche pour sauter les fossés.

Il trouvait une jouissance toute nouvelle pour lui, et délicieuse, à se représenter Marie-Anne telle qu’il venait de la voir, palpitante et émue, pâlissant et rougissant tour à tour, près de défaillir ou se redressant superbe de fierté.

– Comment soupçonner, se disait-il, sous ces chastes dehors, sous cette naïveté pudique, une âme de feu et une indomptable énergie! Quelle adorable expression avait son visage, que de passion dans ses deux grands yeux noirs pendant qu’elle regardait ce petit imbécile d’Escorval!… Que ne donnerait-on pas pour être regardé ainsi, ne fut-ce qu’une minute!… Comment ce garçon ne serait-il pas fou d’elle!…

Lui-même l’aimait, sans vouloir encore se l’avouer. Cependant, quel nom donner à cet envahissement de sa pensée, à ces furieux désirs qui frémissaient en lui.

– Ah!… n’importe, s’écria-t-il, je la veux… Oui, je la veux et je l’aurai.

En conséquence, il se mit à étudier le côté politique et stratégique de l’entreprise, avec la sagacité d’une expérience souvent mise à l’épreuve.

Son début, force lui était d’en convenir, n’avait été ni heureux ni adroit.

– C’est mon père, murmurait-il, qui me vaut cette école… Comment, moi qui le connais, ai-je pu prendre ses rêveries pour des réalités!…

Il est sûr que l’épreuve qu’il venait de tenter était faite pour porter la lumière dans son esprit. Hommages et argent avaient été repoussés. Si Marie-Anne avait entendu avec une visible horreur ses déclarations déguisées, M. Lacheneur avait accueilli plus que froidement ses avances et l’offre d’une véritable fortune.