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– C’est bien, dit-il, je sais où est le jardin.

Mais c’est en vain qu’il le parcourut en tout sens, ce jardin: personne.

Il allait se décider à rentrer, et à marcher bravement à l’ennemi, quand, à travers le feuillage d’un berceau de jasmin, il crut distinguer comme une robe blanche.

Il s’avança doucement, et son cœur battit, quand il reconnut qu’il avait bien vu.

Mlle Blanche de Courtomieu était assise près d’une vieille dame, et elle lui lisait à demi-voix une lettre.

Il fallait qu’elle fût bien préoccupée, pour n’avoir pas entendu le sable crier sous les bottes de Martial.

Il était à dix pas d’elle, si près qu’il distinguait, par une éclaircie des jasmins, jusqu’à l’ombre de ses longs cils.

Il s’arrêta, retenant son haleine, s’abandonnant à une délicieuse extase.

– Ah!… elle est bien belle, pensait-il, elle aussi!…

Belle, non!… Mais jolie à ravir l’imagination. En elle, tout souriait au désir, ses grands yeux d’un bleu velouté et ses lèvres entr’ouvertes. Elle était blonde, mais de ce blond vivant et doré des pays du soleil; et de son chignon tordu haut sur la nuque s’échappaient à profusion des boucles folles où la lumière, en se jouant, semblait allumer des étincelles.

Peut-être l’eût-on souhaitée un peu plus grande… Mais elle avait le charme pénétrant des femmes petites et mignonnes, mais sa taille avait des rondeurs exquises, ses mains aux doigts effilés étaient celles d’une enfant.

Hélas!… ces jolis dehors mentaient, autant et plus que les apparences du marquis de Courtomieu.

Cette jeune fille au regard candide avait la sécheresse d’âme d’un vieux courtisan. Elle avait été tant fêtée au couvent, en sa qualité de fille unique d’un grand seigneur archi-millionnaire, on l’avait entourée de tant d’adulations! Le poison de la flatterie avait flétri en leur germe toutes ses bonnes qualités.

Elle n’avait pas dix-neuf ans, et elle ne pouvait plus être sensible qu’aux jouissances de la vanité ou de l’ambition satisfaites. Elle pensait à un tabouret à la cour, comme une pensionnaire rêve d’un amoureux…

Si elle avait daigné remarquer Martial, – car elle l’avait remarqué, – c’est que son père lui avait dit que ce jeune homme emporterait sa femme aux plus hautes sphères du pouvoir. Là dessus, elle avait prononcé un «c’est bien, nous verrons!» à faire fuir un prétendant à mille lieues…

Cependant, Martial, craignant d’être surpris, s’avança et Mlle Blanche, à sa vue, se dressa avec un mouvement de biche effarouchée…

Lui s’inclina bien bas, et d’une voix amicalement respectueuse:

– M. de Courtomieu, mademoiselle, dit-il, ayant eu l’imprudence de m’apprendre où j’aurais l’honneur de vous rencontrer, je ne me suis plus senti le courage d’affronter des discussions graves… seulement…

Il montra la lettre que la jeune fille tenait à la main et ajouta:

– Seulement, je suis peut-être indiscret?

– Oh! en aucune façon, monsieur le marquis, quoique cette lettre que je viens de lire m’ait profondément émue… elle m’est adressée par une pauvre enfant à qui je m’intéressais, que j’envoyais chercher, parfois, quand je m’ennuyais: Marie-Anne Lacheneur.

Exercé dès son enfance à la savante hypocrisie des salons, le jeune marquis de Sairmeuse avait habitué son visage à ne rien trahir de ses impressions.

Il savait rester riant avec l’angoisse au cœur, grave quand le fou-rire eût dû le secouer de ses hoquets.

Et cependant, à ce nom de Marie-Anne montant aux lèvres de Mlle de Courtomieu, son œil, où la satisfaction de soi le disputait au mépris des autres, son œil si clair se voila.

– Elles se connaissent!… pensa-t-il.

L’idée d’un rapprochement de ces deux femmes entre lesquelles hésitait sa passion le troublait extraordinairement, et éveillait en lui toutes sortes de pudeurs inconnues.

La main tournée, rien ne paraissait de son trouble, mais Mlle Blanche l’avait aperçu.

– Qu’est-ce que cela signifie?… se dit-elle, toute inquiète.

Cependant, c’est avec le naturel parfait de l’innocence qu’elle poursuivit:

– Au fait, vous devez l’avoir vue, monsieur le marquis, cette pauvre Marie-Anne, puisque son père était le dépositaire de Sairmeuse?

– Je l’ai vue, en effet, mademoiselle, répondit simplement Martial.

– N’est-ce pas, qu’elle est remarquablement belle, et d’une beauté tout étrange, et qui surprend?

Un sot eût protesté. Le marquis de Sairmeuse ne commit pas cette faute.

– Oui, elle est très belle, dit-il.

Cette soi-disant franchise déconcerta un peu Mlle Blanche, et c’est avec un air d’hypocrite compassion qu’elle ajouta:

– Pauvre fille!… que va-t-elle devenir? Voici son père réduit à bêcher la terre.

– Oh!… vous exagérez, mademoiselle, mon père préservera toujours Lacheneur de la gêne.

– Soit… je comprends cela… mais cherchera-t-il aussi un mari pour Marie-Anne?

– Elle en a un tout trouvé, mademoiselle… J’ai ouï dire qu’elle va épouser un garçon des environs qui a quelque bien, un certain Chanlouineau.

La naïve pensionnaire était plus forte que Martial. Elle le soumettait à un interrogatoire en règle, et il ne s’en apercevait pas. Elle éprouva un certain dépit en le voyant si bien instruit de tout ce qui concernait Mlle Lacheneur.

– Et vous croyez, monsieur le marquis, dit-elle, que c’est là le parti qu’elle avait rêvé?… Enfin!… Dieu veuille qu’elle soit heureuse; nul plus que nous ne le souhaite, car nous l’aimons beaucoup, ici… oui, beaucoup. N’est-ce pas, tante Médie?

Tante Médie, c’était la vieille demoiselle assise près de Mlle Blanche.

– Oui, beaucoup, répondit-elle.

Cette tante, cousine plutôt, était une parente pauvre que M. de Courtomieu avait recueillie, et à qui Mlle Blanche faisait payer chèrement son pain; elle l’avait dressée à jouer le rôle d’écho.

– Ce qui me désole, reprit Mlle de Courtomieu, c’est que je vois brisées des relations qui m’étaient chères… Mais écoutez plutôt ce que Marie-Anne m’écrit.

Elle retira de sa ceinture, où elle l’avait passée, la lettre de Mlle Lacheneur, et lut:

«Ma chère Blanche,

«Vous savez le retour de M. le duc de Sairmeuse. Il nous a surpris comme un coup de foudre. Mon père et moi, nous étions trop accoutumés à regarder comme nôtre le dépôt remis à notre fidélité; nous en avons été punis… Enfin, nous avons fait notre devoir, et à cette heure tout est consommé… Celle que vous appeliez votre amie n’est plus qu’une pauvre paysanne, comme sa mère…»