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«Nous nous sommes attardés, dit le docteur. Il nous faut maintenant traverser une zone de feu avec notre ballon rempli d’air inflammable!

– Mais à terre! à terre! reprenait toujours Kennedy.

– Le risque d’être foudroyé serait presque le même, et nous serions vite déchirés aux branches des arbres!

– Nous montons, monsieur Samuel!

– Plus vite! plus vite encore.»

Dans cette partie de l’Afrique, pendant les orages équatoriaux, il n’est pas rare de compter de trente à trente-cinq éclairs par minute. Le ciel est littéralement en feu, et les éclats du tonnerre ne discontinuent pas.

Le vent se déchaînait avec une violence effrayante dans cette atmosphère embrasée; il tordait les nuages incandescents; on eut dit le souffle d’un ventilateur immense qui activait tout cet incendie.

Le docteur Fergusson maintenait son chalumeau à pleine chaleur; le ballon se dilatait et montait; à genoux, au centre de la nacelle, Kennedy retenait les rideaux de la tente. Le ballon tourbillonnait à donner le vertige, et les voyageurs subissaient d’inquiétantes oscillations. Il se faisait de grandes cavités dans l’enveloppe de l’aérostat; le vent s’y engouffrait avec violence, et le taffetas détonait sous sa pression. Une sorte de grêle, précédée d’un bruit tumultueux, sillonnait l’atmosphère et crépitait sur le Victoria. Celui-ci, cependant, continuait sa marche ascensionnelle; les éclairs dessinaient des tangentes enflammées à sa circonférence; il était plein feu.

«À la garde de Dieu! dit le docteur Fergusson; nous sommes entre ses mains; lui seul peut nous sauver. Préparons-nous à tout événement, même à un incendie; notre chute peut n’être pas rapide.»

La voix du docteur parvenait à peine à l’oreille de ses compagnons; mais ils pouvaient voir sa figure calme au milieu du sillonnement des éclairs; il regardait les phénomènes de phosphorescence produits par le feu Saint-Elme qui voltigeait sur le filet de l’aérostat.

Celui-ci tournoyait, tourbillonnait, mais il montait toujours; au bout d’un quart d’heure, il avait dépassé la zone des nuages orageux, les effluences électriques se développaient au-dessous de lui, comme une vaste couronne de feux d’artifices suspendus à sa nacelle.

C’était là l’un des plus beaux spectacles que la nature pût donner à l’homme. En bas, l’orage. En haut, le ciel étoilé, tranquille, muet, impassible, avec la lune projetant ses paisibles rayons sur ces nuages irrités.

Le docteur Fergusson consulta le baromètre; il donna douze mille pieds d’élévation. Il était onze heures du soir.

«Grâce au ciel, tout danger est passé, dit-il; il nous suffit de nous maintenir à cette hauteur.

– C’était effrayant! répondit Kennedy.

– Bon, répliqua Joe, cela jette de la diversité dans le voyage, et je ne suis pas fâché d’avoir vu un orage d’un peu haut. C’est un joli spectacle!»

XVII

Les montagnes de la Lune. – Un océan de verdure. – On jette l’ancre. – L’éléphant remorqueur. – Feu nourri. – Mort du pachyderme. – Le four de campagne. – Repas sur l’herbe. – Une nuit à terre.

Vers six heures du matin, le lundi, le soleil s’élevait au-dessus de l’horizon; les nuages se dissipèrent, et un joli vent rafraîchit ces premières lueurs matinales.

La terre, toute parfumée, reparut aux yeux des voyageurs. Le ballon, tournant sur place au milieu des courants opposés, avait à peine dérivé; le docteur, laissant se contracter le gaz, descendit afin de saisir une direction plus septentrionale. Longtemps ses recherches furent vaines; le vent l’entraîna dans l’ouest, jusqu’en vue des célèbres montagnes de la Lune, qui s’arrondissent en demi-cercle autour de la pointe du lac Tanganayika; leur chaîne, peu accidentée, se détachait sur l’horizon bleuâtre; on eut dit une fortification naturelle, infranchissable aux explorateurs du centre de l’Afrique; quelques cônes isolés portaient la trace des neiges éternelles.

«Nous voilà, dit le docteur, dans un pays inexploré; le capitaine Burton s’est avancé fort avant dans l’ouest; mais il n’a pu atteindre ces montagnes célèbres; il en a même nié l’existence, affirmée par Speke son compagnon; il prétend qu’elles sont nées dans l’imagination de ce dernier; pour nous, mes amis, il n’y a plus de doute possible.

– Est-ce que nous les franchirons? demanda Kennedy.

– Non pas, s’il plaît à Dieu; j’espère trouver un vent favorable qui me ramènera à l’équateur; j’attendrai même, s’il le faut, et je ferai du Victoria comme d’un navire qui jette l’ancre par les vents contraires.»

Mais les prévisions du docteur ne devaient pas tarder à se réaliser. Après avoir essayé différentes hauteurs, le Victoria fila dans le nord-est avec une vitesse moyenne.

«Nous sommes dans la bonne direction, dit-il en consultant sa boussole, et à peine à deux cents pieds de terre, toutes circonstances heureuses pour reconnaître ces régions nouvelles; le capitaine Speke, en allant à la découverte du lac Ukéréoué, remontait plus à l’est, en droite ligne au-dessus de Kazeh.

– Irons-nous longtemps de la sorte? demanda Kennedy.

– Peut-être; notre but est de pousser une pointe du côté des sources du Nil, et nous avons plus de six cents milles à parcourir, jusqu’à la limite extrême atteinte par les explorateurs venus du Nord.

– Et nous ne mettrons pas pied à terre, fit Joe, histoire de se dégourdir les jambes?

– Si, vraiment; il faudra d’ailleurs ménager nos vivres, et, chemin faisant, mon brave Dick, tu nous approvisionneras de viande fraîche.

– Dès que tu le voudras, ami Samuel.

– Nous aurons aussi à renouveler notre réserve d’eau. Qui sait si nous ne serons pas entraînés vers des contrées arides. On ne saurait donc prendre trop de précautions.»

À midi, le Victoria se trouvait par 29° 15’de longitude et 3° 15’de latitude. Il dépassait le village d’Uyofu, dernière limite septentrionale de l’Unyamwezi, par le travers du lac Ukéréoué, que l’on ne pouvait encore apercevoir.

Les peuplades rapprochées de l’équateur semblent être un peu plus civilisées, et sont gouvernées par des monarques absolus, dont le despotisme est sans bornes; leur réunion la plus compacte constitue la province de Karagwah.

Il fut décidé entre les trois voyageurs qu’ils accosteraient la terre au premier emplacement favorable. On devait faire une halte prolongée, et l’aérostat serait soigneusement passé en revue; la flamme du chalumeau fut modérée; les ancres lancées au dehors de la nacelle vinrent bientôt raser les hautes herbes d’une immense prairie; d’une certaine hauteur, elle paraissait couverte d’un gazon ras, mais en réalité ce gazon avait de sept à huit pieds d’épaisseur.

Le Victoria effleurait ces herbes sans les courber, comme un papillon gigantesque. Pas un obstacle en vue. C’était comme un océan de verdure sans un seul brisant.