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La stupeur de la foule fut immense de voir l’un de ses Waganga s’élancer dans l’espace.

«Hurrah! s’écria Joe pendant que le Victoria, grâce à sa puissance ascensionnelle, montait avec une grande rapidité.

– Il se tient bien, dit Kennedy; un petit voyage ne lui fera pas de mal.

– Est-ce que nous allons lâcher ce nègre tout d’un coup? demanda Joe.

– Fi donc! répliqua le docteur! nous le replacerons tranquillement à terre, et je crois qu’après une telle aventure, son pouvoir de magicien s’accroîtra singulièrement dans l’esprit de ses contemporains.

– Ils sont capables d’en faire un dieu», s’écria Joe.

Le Victoria était parvenu à une hauteur de mille pieds environ. Le Nègre se cramponnait à la corde avec une énergie terrible. Il se taisait, ses yeux demeuraient fixes. Sa terreur se mêlait d’étonnement. Un léger vent d’ouest poussait le ballon au-delà de la ville.

Une demi-heure plus tard, le docteur, voyant le pays désert, modéra la flamme du chalumeau, et se rapprocha de terre. À vingt pieds du sol, le Nègre prit rapidement son parti; il s’élança, tomba sur les jambes, et se mit à fuir vers Kazeh, tandis que, subitement délesté, le Victoria remontait dans les airs.

XVI

Symptômes d’orage. – Le pays de la Lune. – L’avenir du continent africain. – La machine de la dernière heure. – Vue du pays au soleil couchant – Flore et Faune. – L’orage. – La zone de feu. – Le ciel étoilé.

«Voilà ce que c’est, dit Joe, de faire les Fils de la Lune sans sa permission! Ce satellite a failli nous jouer là un vilain tour! Est-ce que, par hasard, mon maître, vous auriez compromis sa réputation par votre médecine.

– Au fait, dit le chasseur, qu’était ce sultan de Kazeh?

– Un vieil ivrogne à demi-mort, répondit le docteur, et dont la perte ne se fera pas trop vivement sentir. Mais la morale de ceci, c’est que les honneurs sont éphémères, et il ne faut pas trop y prendre goût.

– Tant pis, répliqua Joe. Cela m’allait! Être adoré! faire le dieu à sa fantaisie! Mais que voulez-vous! la Lune s’est montrée, et toute rouge, ce qui prouve bien qu’elle était fâchée!»

Pendant ces discours et autres, dans lesquels Joe examina l’astre des nuits à un point de vue entièrement nouveau, le ciel se chargeait de gros nuages vers le nord, de ces nuages sinistres et pesants. Un vent assez vif, ramassé à trois cents pieds du sol, poussait le Victoria vers le nord-nord-est. Au-dessus de lui, la voûte azurée était pure, mais on la sentait lourde.

Les voyageurs se trouvèrent, vers huit heures du soir, par 32° 40’de longitude et 4° 17’de latitude; les courants atmosphériques, sous l’influence d’un orage prochain, les poussaient avec une vitesse de trente-cinq milles à l’heure. Sous leurs pieds passaient rapidement les plaines ondulées et fertiles de Mfuto. Le spectacle en était admirable, et fut admiré.

«Nous sommes en plein pays de la Lune, dit le docteur Fergusson, car il a conservé ce nom que lui donna l’Antiquité, sans doute parce que la lune y fut adorée de tout temps. C’est vraiment une contrée magnifique, et l’on rencontrerait difficilement une végétation plus belle.

– Si on la trouvait autour de Londres, ce ne serait pas naturel, répondit Joe; mais ce serait fort agréable! Pourquoi ces belles choses-là sont-elles réservées à des pays aussi barbares?

– Et sait-on, répliqua le docteur, si quelque jour cette contrée ne deviendra pas le centre de la civilisation? Les peuples de l’avenir s’y porteront peut-être, quand les régions de l’Europe se seront épuisées à nourrir leurs habitants.

– Tu crois cela? fit Kennedy.

– Sans doute, mon cher Dick. Vois la marche des événements; considère les migrations successives des peuples, et tu arriveras à la même conclusion que moi. L’Asie est la première nourrice du monde, n’est-il pas vrai? Pendant quatre mille ans peut-être, elle travaille, elle est fécondée, elle produit, et puis quand les pierres ont poussé là où poussaient les moissons dorées d’Homère, ses enfants abandonnent son sein épuisé et flétri. Tu les vois alors se jeter sur l’Europe, jeune et puissante, qui les nourrit depuis deux mille ans. Mais déjà sa fertilité se perd; ses facultés productrices diminuent chaque jour; ces maladies nouvelles dont sont frappés chaque année les produits de la terre, ces fausses récoltes, ces insuffisantes ressources, tout cela est le signe certain d’une vitalité qui s’altère, d’un épuisement prochain. Aussi voyons-nous déjà les peuples se précipiter aux nourrissantes mamelles de l’Amérique, comme à une source non pas inépuisable, mais encore inépuisée. À son tour, ce nouveau continent se fera vieux, ses forêts vierges tomberont sous la hache de l’industrie; son sol s’affaiblira pour avoir trop produit ce qu’on lui aura trop demandé; là où deux moissons s’épanouissaient chaque année, à peine une sortira-t-elle de ces terrains à bout de forces. Alors l’Afrique offrira aux races nouvelles les trésors accumulés depuis des siècles dans son sein. Ces climats fatals aux étrangers s’épureront par les assolements et les drainages; ces eaux éparses se réuniront dans un lit commun pour former une artère navigable. Et ce pays sur lequel nous planons, plus fertile, plus riche, plus vital que les autres, deviendra quelque grand royaume, où se produiront des découvertes plus étonnantes encore que la vapeur et l’électricité.

– Ah! monsieur, dit Joe, je voudrais bien voir cela.

– Tu t’es levé trop matin, mon garçon.

– D’ailleurs, dit Kennedy, cela sera peut-être une fort ennuyeuse époque que celle où l’industrie absorbera tout à son profit! À force d’inventer des machines, les hommes se feront dévorer par elles! Je me suis toujours figuré que le dernier jour du monde sera celui où quelque immense chaudière chauffée à trois milliards d’atmosphères fera sauter notre globe!

– Et j’ajoute, dit Joe, que les Américains n’auront pas été les derniers à travailler à la machine!

– En effet, répondit le docteur, ce sont de grands chaudronniers! Mais, sans nous laisser emporter à de semblables discussions, contentons-nous d’admirer cette terre de la Lune, puisqu’il nous est donné de la voir.»

Le soleil, glissant ses derniers rayons sous la masse des nuages amoncelés, ornait d’une crête d’or les moindres accidents du sol: arbres gigantesques, herbes arborescentes, mousses à ras de terre, tout avait sa part de cette effluve lumineuse; le terrain, légèrement ondulé, ressautait çà et là en petites collines coniques; pas de montagnes à l’horizon; d’immenses palissades broussaillées, des haies impénétrables, des jungles épineuses séparaient les clairières où s’étalaient de nombreux villages; les euphorbes gigantesques les entouraient de fortifications naturelles, en s’entremêlant aux branches coralliformes des arbustes.

Bientôt le Malagazari, principal affluent du lac Tanganayika, se mit à serpenter sous les massifs de verdure; il donnait asile à ces nombreux cours d’eau, nés de torrents gonflés à l’époque des crues, ou d’étangs creusés dans la couche argileuse du sol. Pour des observateurs élevés, c’était un réseau de cascades jeté sur toute la face occidentale du pays.