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Joe visita l’ancre; elle était solidement retenue à la défense demeurée intacte. Samuel et Dick sautèrent sur le sol, tandis que l’aérostat à demi dégonflé se balançait au-dessus du corps de l’animal.

«La magnifique bête! s’écria Kennedy. Quelle masse! Je n’ai jamais vu dans l’Inde un éléphant de cette taille!

– Cela n’a rien d’étonnant, mon cher Dick; les éléphants du centre de l’Afrique sont les plus beaux. Les Anderson, les Cumming les ont tellement chassés aux environs du Cap, qu’ils émigrent vers l’équateur, où nous les rencontrerons souvent en troupes nombreuses.

– En attendant, répondit Joe, j’espère que nous goûterons un peu de celui-là! Je m’engage à vous procurer un repas succulent aux dépens de cet animal. M. Kennedy va chasser pendant une heure ou deux, M. Samuel va passer l’inspection du Victoria, et, pendant ce temps, je vais faire la cuisine.

– Voilà qui est bien ordonné, répondit le docteur. Fais à ta guise.

– Pour moi, dit le chasseur, Je vais prendre les deux heures de liberté que Joe a daigné m’octroyer.

– Va, mon ami; mais pas d’imprudence. Ne t’éloigne pas.

– Sois tranquille.»

Et Dick, armé de son fusil, s’enfonça dans le bois.

Alors Joe s’occupa de ses fonctions. Il fit d’abord dans la terre un trou profond de deux pieds; il le remplit de branches sèches qui couvraient le sol, et provenaient des trouées faites dans le bois par les éléphants dont on voyait les traces. Le trou rempli, il entassa au-dessus un bûcher haut de deux pieds, et il y mit le feu.

Ensuite il retourna vers le cadavre de l’éléphant, tombé à dix toises du bois à peine; il détacha adroitement la trompe qui mesurait près de deux pieds de largeur à sa naissance; il en choisit la partie la plus délicate, et y joignit un des pieds spongieux de l’animal; ce sont en effet les morceaux par excellence, comme la bosse du bison, la patte de l’ours ou la hure du sanglier.

Lorsque le bûcher fut entièrement consumé à l’intérieur et à l’extérieur, le trou, débarrassé des cendres et des charbons, offrit une température très élevée; les morceaux de l’éléphant, entourés de feuilles aromatiques, furent déposés au fond de ce four improvisé, et recouverts de cendres chaudes; puis, Joe éleva un second bûcher sur le tout, et quand le bois fut consumé, la viande était cuite à point.

Alors Joe retira le dîner de la fournaise; il déposa cette viande appétissante sur des feuilles vertes, et disposa son repas au milieu d’une magnifique pelouse; il apporta des biscuits, de l’eau-de-vie, du café, et puisa une eau fraîche et limpide à un ruisseau voisin.

Ce festin ainsi dressé faisait plaisir à voir, et Joe pensait, sans être trop fier, qu’il ferait encore plus de plaisir à manger.

«Un voyage sans fatigue et sans danger! répétait-il. Un repas à ses heures! un hamac perpétuel! qu’est-ce que l’on peut demander de plus? Et ce bon M. Kennedy qui ne voulait pas venir!»

De son côté, le docteur Fergusson se livrait à un examen sérieux de l’aérostat. Celui-ci ne paraissait pas avoir souffert de la tourmente; le taffetas et la gutta-percha avaient merveilleusement résisté; en prenant la hauteur actuelle du sol, et en calculant la force ascensionnelle du ballon, il vit avec satisfaction que l’hydrogène était en même quantité; l’enveloppe jusque-là demeurait entièrement imperméable.

Depuis cinq jours seulement, les voyageurs avaient quitté Zanzibar; le pemmican n’était pas encore entamé; les provisions de biscuit et de viande conservée suffisaient pour un long voyage; il n’y eut donc que la réserve d’eau à renouveler.

Les tuyaux et le serpentin paraissaient être en parfait état; grâce à leurs articulations de caoutchouc, ils s’étaient prêtés à toutes les oscillations de l’aérostat.

Son examen terminé, le docteur s’occupa de mettre ses notes en ordre. Il fit une esquisse très réussie de la campagne environnante, avec la longue prairie à perte de vue, la forêt de camaldores, et le ballon immobile sur le corps du monstrueux éléphant.

Au bout de ses deux heures, Kennedy revint avec un chapelet de perdrix grasses, et un cuissot d’oryx, sorte de gemsbok, appartenant à l’espèce la plus agile des antilopes. Joe se chargea de préparer ce surcroît de provisions.

«Le dîner est servi», s’écria-t-il bientôt de sa plus belle voix.

Et les trois voyageurs n’eurent qu’à s’asseoir sur la pelouse verte; les pieds et la trompe d’éléphant furent déclarés exquis; on but à l’Angleterre comme toujours, et de délicieux havanes parfumèrent pour la première fois cette contrée charmante.

Kennedy mangeait, buvait et causait comme quatre; il était enivré; il proposa sérieusement à son ami le docteur de s’établir dans cette forêt, d’y construire une cabane de feuillage, et d’y commencer la dynastie des Robinsons africains.

La proposition n’eut pas autrement de suite, bien que Joe se fût proposé pour remplir le rôle de Vendredi.

La campagne semblait si tranquille, si déserte, que le docteur résolut de passer la nuit à terre. Joe dressa un cercle de feux, barricade indispensable contre les bêtes féroces; les hyènes, les couguars, les chacals, attirés par l’odeur de la chair d’éléphant, rodèrent aux alentours. Kennedy dut à plusieurs reprises décharger sa carabine sur des visiteurs trop audacieux; mais enfin la nuit s’acheva sans incident fâcheux.

XVIII

Le Karagwah. – Le lac Ukéréoué. – Une nuit dans une île. – L’Équateur. – Traversée du lac. – Les cascades. – Vue du pays. – Les sources du Nil. – L’île Benga. – La signature d’Andrea Debono. – Le pavillon aux armes d’Angleterre.

Le lendemain, dès cinq heures, commençaient les préparatifs du départ. Joe, avec la hache qu’il avait heureusement retrouvée, brisa les défenses de l’éléphant. Le Victoria, rendu à la liberté, entraîna les voyageurs vers le nord-est avec une vitesse de dix-huit milles.

Le docteur avait soigneusement relevé sa position par la hauteur des étoiles pendant la soirée précédente. Il était par 2° 40’de latitude au-dessous de l’équateur, soit à cent soixante milles géographiques; il traversa de nombreux villages sans se préoccuper des cris provoqués par son apparition; il prit note de la conformation des lieux avec des vues sommaires; il franchit les rampes du Rubemhé, presque aussi roides que les sommets de l’Ousagara, et rencontra plus tard, à Tenga, les premiers ressauts des chaînes de Karagwah, qui, selon lui, dérivent nécessairement des montagnes de la Lune. Or, la légende ancienne qui faisait de ces montagnes le berceau du Nil s’approchait de la vérité, puisqu’elles confinent au lac Ukéréoué, réservoir présumé des eaux du grand fleuve.

De Kafuro, grand district des marchands du pays, il aperçut enfin à l’horizon ce lac tant cherché, que le capitaine Speke entrevit le 3 août 1858.

Samuel Fergusson se sentait ému, il touchait presque à l’un des points principaux de son exploration, et, la lunette à l’œil, il ne perdait pas un coin de cette contrée mystérieuse que son regard détaillait ainsi: