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– C’est le Nil! répéta Kennedy, qui se laissait prendre à l’enthousiasme de Samuel Fergusson.

– Vive le Nil!» dit Joe, qui s’écriait volontiers vive quelque chose quand il était en joie.

Des rochers énormes embarrassaient çà et là le cours de cette mystérieuse rivière. L’eau écumait; il se faisait des rapides et des cataractes qui confirmaient le docteur dans ses prévisions. Des montagnes environnantes se déversaient de nombreux torrents, écumants dans leur chute; l’œil les comptait par centaines. On voyait sourdre du sol de minces filets d’eau éparpillés, se croisant, se confondant, luttant de vitesse, et tous couraient à cette rivière naissante, qui se faisait fleuve après les avoir absorbés.

«Voilà bien le Nil, répéta le docteur avec conviction. L’origine de son nom a passionné les savants comme l’origine de ses eaux; on l’a fait venir du grec, du copte, du sanscrit [41]; peu importe, après tout, puisqu’il a dû livrer enfin le secret de ses sources!

– Mais, dit le chasseur, comment s’assurer de l’identité de cette rivière et de celle que les voyageurs du nord ont reconnue!

– Nous aurons des preuves certaines, irrécusables, infaillibles, répondit Fergusson, si le vent nous favorise une heure encore.»

Les montagnes se séparaient, faisant place à des villages nombreux, à des champs cultivés de sésame, de dourrah, de cannes à sucre. Les tribus de ces contrées se montraient agitées, hostiles; elles semblaient plus près de la colère que de l’adoration; elles pressentaient des étrangers, et non des dieux. Il semblait qu’en remontant aux sources du Nil on vint leur voler quelque chose. Le Victoria dut se tenir hors de la portée des mousquets.

«Aborder ici sera difficile, dit l’Écossais.

– Eh bien! répliqua Joe, tant pis pour ces indigènes; nous les priverons du charme de notre conversation.

– Il faut pourtant que je descende, répondit le docteur Fergusson, ne fût-ce qu’un quart d’heure. Sans cela, je ne puis constater les résultats de notre exploration.

– C’est donc indispensable, Samuel?

– Indispensable, et nous descendrons, quand même nous devrions faire le coup de fusil!

– La chose me va, répondit Kennedy en caressant sa carabine.

– Quand vous voudrez, mon maître, dit Joe en se préparant au combat.

– Ce ne sera pas la première fois, répondit le docteur, que l’on aura fait de la science les armes à la main; pareille chose est arrivée à un savant français, dans les montagnes d’Espagne, quand il mesurait le méridien terrestre.

– Sois tranquille, Samuel, et fie-toi à tes deux gardes du corps.

– Y sommes-nous, monsieur?

– Pas encore. Nous allons même nous élever pour saisir la configuration exacte du pays.»

L’hydrogène se dilata, et, en moins de dix minutes, le Victoria planait à une hauteur de deux mille cinq cents pieds au-dessus du sol.

On distinguait de là un inextricable réseau de rivières que le fleuve recevait dans son lit; il en venait davantage de l’ouest, entre les collines nombreuses, au milieu de campagnes fertiles.

«Nous ne sommes pas à quatre-vingt-dix milles de Gondokoro, dit le docteur en pointant sa carte, et à moins de cinq milles du point atteint par les explorateurs venus du nord. Rapprochons-nous de terre avec précaution.»

Le Victoria s’abaissa de plus de deux mille pieds.

«Maintenant, mes amis, soyez prêts à tout hasard.

– Nous sommes prêts, répondirent Dick et Joe.

– Bien!»

Le Victoria marcha bientôt en suivant le lit du fleuve, et à cent pieds à peine. Le Nil mesurait cinquante toises en cet endroit, et les indigènes s’agitaient tumultueusement dans les villages qui bordaient ses rives. Au deuxième degré, il forme une cascade à pic de dix pieds de hauteur environ, et par conséquent infranchissable.

«Voilà bien la cascade indiquée par M. Debono», s’écria le docteur.

Le bassin du fleuve s’élargissait, parsemé d’îles nombreuses que Samuel Fergusson dévorait du regard; il semblait chercher un point de repère qu’il n’apercevait pas encore.

Quelques Nègres s’étant avancés dans une barque au-dessous du ballon, Kennedy les salua d’un coup de fusil, qui, sans les atteindre, les obligea à regagner la rive au plus vite.

«Bon voyage! leur souhaita Joe; à leur place, je ne me hasarderai pas à revenir! j’aurais singulièrement peur d’un monstre qui lance la foudre à volonté.»

Mais voici que le docteur Fergusson saisit soudain sa lunette et la braqua vers une île couchée au milieu du fleuve.

«Quatre arbres! s’écria-t-il; voyez, là-bas!»

En effet, quatre arbres isolés s’élevaient à son extrémité.

«C’est l’île de Benga! c’est bien elle! ajouta-t-il.

– Eh bien, après? demanda Dick.

– C’est là que nous descendrons, s’il plaît à Dieu!

– Mais elle paraît habitée, monsieur Samuel!

– Joe a raison; si je ne me trompe, voilà un rassemblement d’une vingtaine d’indigènes.

– Nous les mettrons en fuite; cela ne sera pas difficile, répondit Fergusson.

– Va comme il est dit», répliqua le chasseur.

Le soleil était au zénith. Le Victoria se rapprocha de l’île.

Les Nègres, appartenant à la tribu de Makado, poussèrent des cris énergiques. L’un d’eux agitait en l’air son chapeau d’écorce. Kennedy le prit pour point de mire, fit feu, et le chapeau vola en éclats.

Ce fut une déroute générale. Les indigènes se précipitèrent dans le fleuve et le traversèrent à la nage; des deux rives, il vint une grêle de balles et une pluie de flèches, mais sans danger pour l’aérostat dont l’ancre avait mordu une fissure de roc. Joe se laissa couler à terre.

«L’échelle! s’écria le docteur. Suis-moi, Kennedy!

– Que veux-tu faire?

– Descendons; il me faut un témoin.

– Me voici.

– Joe, fais bonne garde.

– Soyez tranquille, monsieur, je réponds de tout.

– Viens, Dick!» dit le docteur en mettant pied à terre.

Il entraîna son compagnon vers un groupe de rochers qui se dressaient à la pointe de l’île; là, il chercha quelque temps, fureta dans les broussailles, et se mit les mains en sang.

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[41] Un savant byzantin voyait dans Neilos un nom arithmétique. N représentait 50, E 5, I 10, L 30, O 70, S 200: ce qui fait le nombre des jours de l’année.