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– Sans doute, et mal habitée.

– Je m’en doutais.

– Ces tribus éparses sont comprises sous la dénomination générale de Nyam-Nyam, et ce nom n’est autre chose qu’une onomatopée; il reproduit le bruit de la mastication.

– Parfait, dit Joe; nyam! nyam!

– Mon brave Joe, si tu étais la cause immédiate de cette onomatopée, tu ne trouverais pas cela parfait.

– Que voulez-vous dire?

– Que ces peuplades sont considérées comme anthropophages.

– Cela est-il certain?

– Très certain; on avait aussi prétendu que ces indigènes étaient pourvus d’une queue comme de simples quadrupèdes; mais on a bientôt reconnu que cet appendice appartenait aux peaux de bête dont ils sont revêtus.

– Tant pis! une queue est fort agréable pour chasser les moustiques.

– C’est possible, Joe; mais il faut reléguer cela au rang des fables, tout comme les têtes de chiens que le voyageur Brun-Rollet attribuait à certaines peuplades.

– Des têtes de chiens? Commode pour aboyer et même pour être anthropophage!

– Ce qui est malheureusement avéré, c’est la férocité de ces peuples, très avides de la chair humaine qu’ils recherchent avec passion.

– Je demande, dit Joe, qu’ils ne se passionnent pas trop pour mon individu.

– Voyez-vous cela! dit le chasseur.

– C’est ainsi, monsieur Dick. Si jamais je dois être mangé dans un moment de disette, je veux que ce soit à votre profit et à celui de mon maître! Mais nourrir ces moricauds, fi donc! j’en mourrais de honte!

– Eh bien! mon brave Joe, fit Kennedy, voilà qui est entendu, nous comptons sur toi à l’occasion.

– À votre service, messieurs.

– Joe parle de la sorte, répliqua le docteur, pour que nous prenions soin de lui, en l’engraissant bien.

– Peut-être! répondit Joe; l’homme est un animal si égoïste!»

Dans l’après-midi, le ciel se couvrit d’un brouillard chaud qui suintait du sol; l’embrun permettait à peine de distinguer les objets terrestres; aussi, craignant de se heurter contre quelque pic imprévu, le docteur donna vers cinq heures le signal d’arrêt.

La nuit se passa sans accident, mais il avait fallu redoubler de vigilance par cette profonde obscurité.

La mousson souffla avec une violence extrême pendant la matinée du lendemain; le vent s’engouffrait dans les cavités inférieures du ballon; il agitait violemment l’appendice par lequel pénétraient les tuyaux de dilatation; on dut les assujettir par des cordes, manœuvre dont Joe s’acquitta fort adroitement.

Il constata en même temps que l’orifice de l’aérostat demeurait hermétiquement fermé.

«Ceci a une double importance pour nous, dit le docteur Fergusson; nous évitons d’abord la déperdition d’un gaz précieux; ensuite, nous ne laissons point autour de nous une traînée inflammable, à laquelle nous finirions par mettre le feu.

– Ce serait un fâcheux incident de voyage, dit Joe.

– Est-ce que nous serions précipités à terre? demanda Dick.

– Précipités, non! Le gaz brûlerait tranquillement, et nous descendrions peu à peu. Pareil accident est arrivé à une aéronaute française, madame Blanchard; elle mit le feu à son ballon en lançant des pièces d’artifice, mais elle ne tomba pas, et elle ne se serait pas tuée, sans doute, si sa nacelle ne se fût heurtée à une cheminée, d’où elle fut jetée à terre.

– Espérons que rien de semblable ne nous arrivera, dit le chasseur; jusqu’ici notre traversée ne me paraît pas dangereuse, et je ne vois pas de raison qui nous empêche d’arriver à notre but.

– Je n’en vois pas non plus, mon cher Dick; les accidents, d’ailleurs, ont toujours été causés par l’imprudence des aéronautes ou par la mauvaise construction de leurs appareils. Cependant, sur plusieurs milliers d’ascensions aérostatiques, on ne compte pas vingt accidents ayant causé la mort. En général, ce sont les atterrissements et les départs qui offrent le plus de dangers. Aussi, en pareil cas, ne devons-nous négliger aucune précaution.

– Voici l’heure du déjeuner, dit Joe; nous nous contenterons de viande conservée et de café, jusqu’à ce que M. Kennedy ait trouvé moyen de nous régaler d’un bon morceau de venaison.»

XX

La bouteille céleste. – Les figuiers-palmiers. – Les «mammouth trees». – L’arbre de guerre. – L’attelage ailé. – Combats de deux peuplades. – Massacre. – Intervention divine.

Le vent devenait violent et irrégulier. Le Victoria courait de véritables bordées dans les airs. Rejeté tantôt dans le nord, tantôt dans le sud, il ne pouvait rencontrer un souffle constant.

«Nous marchons très vite sans avancer beaucoup, dit Kennedy, en remarquant les fréquentes oscillations de l’aiguille aimantée.

– Le Victoria file avec une vitesse d’au moins trente lieues à l’heure, dit Samuel Fergusson. Penchez-vous, et voyez comme la campagne disparaît rapidement sous nos pieds. Tenez! cette forêt a l’air de se précipiter au-devant de nous!

– La forêt est déjà devenue une clairière, répondit le chasseur.

– Et la clairière un village, riposta Joe, quelques instants plus tard. Voilà-t-il des faces de Nègres assez ébahies!

– C’est bien naturel, répondit le docteur. Les paysans de France, à la première apparition des ballons, ont tiré dessus, les prenant pour des monstres aériens; il est donc permis à un Nègre du Soudan d’ouvrir de grands yeux.

– Ma foi! dit Joe, pendant que le Victoria rasait un village à cent pied du sol, je m’en vais leur jeter une bouteille vide, avec votre permission mon maître; si elle arrive saine et sauve, ils l’adoreront; si elle se casse ils se feront des talismans avec les morceaux!»

Et, ce disant, il lança une bouteille, qui ne manqua pas de se briser en mille pièces, tandis que les indigènes se précipitaient dans leurs hutte rondes, en poussant de grands cris.

Un peu plus loin, Kennedy s’écria:

«Regardez donc cet arbre singulier! il est d’une espèce par en haut, et d’une autre par en bas.

– Bon! fit Joe; voilà un pays où les arbres poussent les uns sur les autres.

– C’est tout simplement un tronc de figuier, répondit le docteur, sur lequel il s’est répandu un peu de terre végétale. Le vent un beau jour y a jeté une graine de palmier, et le palmier a poussé comme en plein champ.

– Une fameuse mode, dit Joe, et que j’importerai en Angleterre; cela fera bien dans les parcs de Londres; sans compter que ce serait un moyen de multiplier les arbres à fruit; on aurait des jardins en hauteur; voilà qui sera goûté de tous les petits propriétaires.»