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«D’un côté, le jeune homme…»

– C’était un jeune homme? demanda Lawrence, qui devint d’une pâleur de cire.

– Ai-je dit: «un jeune homme»?… Eh bien, oui, c’était un jeune homme. Ce jeune homme donc avait besoin d’argent. Il savait que j’étais riche. Il s’était aperçu, disons, de mon penchant pour Mme Lawrence et pensa que j’achèterais les lettres. Il avait puissamment raisonné. Je les lui payai dix mille francs.

– Le nom de ce jeune homme? demanda Lawrence d’une voix tellement effrayante que le sourire éternel qui errait aux lèvres de l’Homme de la nuit disparut.

– Ce jeune homme, fit solennellement Arnoldson, ce jeune homme qui a des calculs de vieillard, qui vous a volé votre maîtresse, monsieur, et qui, pour la conserver, me vend dix mille francs des lettres qu’il sait destinées à être remises à votre femme, ce jeune homme, c’est votre fils!

Et l’Homme de la nuit se leva.

– C’est Pold Lawrence! acheva-t-il.

Le malheureux Lawrence attendait le coup. La conversation, depuis quelques instants, avait pris une tournure telle qu’il avait prévu que quelque chose de formidable allait s’abattre sur lui, quelque chose qui devait être plus terrible encore que la colère d’Adrienne, plus terrible que la révélation qui lui était venue de la lettre de Mme Martinet.

Un vague pressentiment lui disait qu’une corrélation étroite devait exister entre cette lettre et ce qu’il allait apprendre.

Et, bien qu’il s’y attendît, il fléchit sous le coup.

De fait, Lawrence pensa qu’il allait mourir. Il tomba comme une masse sur un fauteuil.

Des minutes de silence s’écoulèrent.

L’Homme de la nuit, les mains sur son bureau, courbé vers Lawrence, vers cette pauvre chose vaincue… regardait.

Et son sourire reparut, l’effroyable sourire de la victoire.

Lawrence fit un effort suprême pour se lever et y parvint. Il s’appuyait aux meubles pour ne pas tomber.

Il arriva ainsi en face d’Arnoldson. Il ouvrit la bouche et sa bouche laissa échapper des sons inintelligibles. Que voulait-il? que demandait-il? qu’exigeait-il encore?

L’Homme de la nuit lui tendait une feuille sur laquelle on avait tracé quelques lignes.

Lawrence prit cette feuille et parvint à lire:

«Reçu de M. Arnoldson dix mille francs pour les lettres soustraites dans le secrétaire de Diane.»

Et c’était signé Pold!

Lawrence, d’une main fiévreuse, froissa le papier, qu’il enfouit dans sa poche. Puis, il se dirigea vers la porte.

Et il quitta Arnoldson pendant que celui-ci le poursuivait de ces paroles:

– Vraiment, tout ceci est arrivé parce que vous l’avez voulu. Je vous avais demandé pour affaires! Pourquoi n’avoir pas parlé affaires? Je vous aurais appris que notre dernière liquidation en Bourse se liquide par cent mille francs que vous me devez encore, et cela pour n’avoir point voulu suivre le conseil que je vous donnais de lâcher les mines d’or et de suivre, en garçon bien sage, les pronostics de mon ami Fried, le bulletinier-financier bien connu…

Lawrence descendit par le bois de Misère vers Esbly.

Dans la poche de son pardessus [1], il caressait la crosse de son revolver. Quelle effroyable résolution venait-il de prendre? Vers quel but marchait-il?

Et il faisait sa marche plus précipitée encore. Il courait vers Villiers, où il trouverait une voiture qui le conduirait en une demi-heure à Esbly. Une heure plus tard, il descendrait à Paris… Et alors… les voir… les surprendre… et tuer! la tuer, elle, cette bête immonde et malfaisante.

La nuit tombait. Quand il atteignit la route de Picardie, il croisa un homme qui remontait vers le bois de Misère. Cet homme resta sur la route à le regarder. Et Lawrence disparaissait au tournant du chemin que l’homme regardait encore.

– Mon Dieu! se dit le passant, où va-t-il? il marche comme un fou. Il a une tête effrayante… C’est sans doute cette Diane qui le retourne ainsi… Pourquoi aussi se fourre-t-il dans ses griffes? Est-ce raisonnable, un homme de son âge… avec ma belle-sœur. Ils veulent tous faire partie de ma famille… curieux… je dois être sympathique.

En monologuant, l’homme avait repris son chemin: «Vite, Marguerite ne m’attend pas»…

XV LE MÉNAGE MARTINET

Car cet homme n’était autre que M. Martinet, lequel s’ennuyait à Paris de l’absence de sa femme et qui mettait à exécution la menace qu’il lui avait faite de la venir chercher.

Quand il arriva aux Pavots, il rencontra sur le seuil Arnoldson, qui se disposait à monter dans un coupé stationnant à quelques pas de là.

– Vous voilà, fit Arnoldson, vous voilà, monsieur Martinet!

Et Arnoldson parlait sur un ton de sensible contrariété.

– Mais oui, monsieur. Je viens chercher ma femme.

– Mme Martinet? Mais elle est très bien ici… Et elle a beaucoup d’ouvrage en perspective…

– C’est que j’ai besoin d’elle à Paris.

Arnoldson vint à Martinet:

– Vous n’allez pas l’emmener tout de suite, j’espère bien, dit-il. Elle n’a pas besoin d’être à Paris ce soir.

– Mais rien ne nous force à partir ce soir, monsieur. Avec votre permission, nous ne prendrons le train que demain matin.

– C’est cela! c’est cela! fit avec empressement Arnoldson.

Et Arnoldson appela:

– Joe!

– M. Martinet va passer la nuit ici, dit Arnoldson. Je veux qu’il s’y trouve très bien.

Et il ajouta, d’une voix singulière:

– Je tiens à ce que M. Martinet soit si bien chez moi qu’il ne prenne fantaisie ni à lui ni à sa femme de partir avant demain matin.

Joe fit signe qu’il avait compris.

– Soyez tranquille, maître.

Arnoldson sauta dans son coupé, qui descendit vers Esbly. À côté du cocher, on distinguait la haute silhouette de l’Aigle.

M. Martinet arrivait une minute plus tard au pavillon habité par Mme Martinet. Celle-ci l’accueillit aimablement, sans enthousiasme.

– Tu sais que je m’en vais demain, fit-elle.

– Alors, tout va bien. Je venais te chercher. Nous partirons à la première heure. On est très bien ici, ajouta Martinet en se renversant sur sa chaise.