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Et Joe s’appuyait sur sa bêche, dodelinant de la tête d’un petit air béat.

– Oui, fit Lawrence, impatienté, je veux voir ton maître.

– C’est chose facile, fit Joe. Si vous voulez me suivre…

Lawrence suivit Joe.

Et Joe poussa la porte du vestibule en ajoutant:

– C’est derrière cette porte que vous le trouverez. Il est dans son cabinet.

Lawrence voulut ouvrir la porte, mais Joe l’arrêta:

– Pardon, monsieur Lawrence! Pardon!

– Quoi? demanda Lawrence d’un air mauvais. Joe prenait la basque du pardessus de Lawrence.

– Votre pardessus, dit-il. Il faut retirer votre pardessus. Mon maître ne saurait supporter qu’on entre chez lui avec un pardessus. C’est une manie qu’il a prise en Russie.

Ce disant, Joe retirait déjà le pardessus de Lawrence, qui se laissait faire, oubliant que dans la poche de ce vêtement il avait glissé un revolver.

– Oui, continuait Joe, en Russie, toute personne qui conserverait son pardessus serait considérée comme…

– Finissons-en, coupa Lawrence.

– Voilà, monsieur, voilà! Cela a un avantage dans ce pays de nihilistes: c’est qu’on ne peut entrer chez les gens avec des bombes dans ses poches sans qu’on s’en aperçoive tout de suite.

Cette dernière parole rappela le revolver à Lawrence. Il regarda Joe d’une façon singulière.

– Entrez, dit Joe.

Lawrence entra.

Quand il eut refermé la porte, Joe plongea sa vaste main dans la poche du pardessus et en tira le revolver.

Il le regarda d’un air fort sérieux.

– Il est d’un bon calibre, fit Joe.

Puis il replongea tranquillement l’arme dans la poche où il l’avait prise.

Et il resta derrière la porte.

Lawrence, aussitôt entré, vit, en face de lui, Arnoldson, derrière le bureau.

Mais, cette fois, à côté de lui, il y avait un colosse. C’était l’Aigle, qui semblait veiller sur son maître. Il fixait d’un œil perçant le visiteur.

Quand il aperçut Arnoldson, le premier mouvement de Lawrence fut de se précipiter sur le misérable et de le gifler. Mais il fut détourné de ce dessein par le coup d’œil de l’Aigle et il comprit que toute tentative d’agression brutale, dans de pareilles conditions, était devenue tout à fait impossible.

Il s’avança jusqu’au bureau. Arnoldson, maintenant, le regardait:

– Ah! c’est vous, monsieur Lawrence!

– Oui, c’est moi! fit Lawrence, d’une voix brève. Avant de venir chez vous, j’ai passé chez moi. Je reviens des Volubilis, et vous devez penser, monsieur, que j’ai des choses pressées à vous dire. Mais je voudrais vous dire ces choses en particulier. Éloignez, je vous prie, votre domestique.

– Ce serait peine inutile, fit Arnoldson en souriant: cet homme ne saurait nous gêner.

– Il ne vous gêne pas, mais il me gêne, moi. Cela doit vous suffire.

– Vous avez tort, dit Arnoldson. Vous êtes même injuste. Vous pouvez dire tout ce que vous voudrez: cet homme ne répétera jamais vos paroles.

– J’en doute.

– Pourquoi doutez-vous? Il est sourd-muet! déclara Arnoldson en épanouissant son sourire. N’insistez pas, monsieur Lawrence. L’Aigle restera près de moi.

– Je comprends, monsieur, s’écria violemment Lawrence. Vous avez peur!

– Peur? Et de quoi? Et de qui?

– De moi! vous dis-je, de moi! Je vous apprends que j’ai passé par les Volubilis: cela ne signifie-t-il rien pour vous?

– Mais vous parlez un langage incompréhensible!

– Trêve d’hypocrisies, monsieur. J’ai vu ma femme, j’ai vu les lettres, et je sais qui les lui a remises!

Arnoldson prit un air contrarié:

– Vraiment? Elle vous a dit tout cela? Mon Dieu! comme c’est contrariant.

Lawrence considéra avec stupéfaction cet homme qui lui servait tranquillement une pareille phrase au moment où il devait s’attendre à un acte de terrible vengeance de la part de celui qu’il avait offensé.

Arnoldson, sans regarder Lawrence, continuait:

– Oh! contrariant, très contrariant! J’avais prié Mme Lawrence de ne point vous entretenir de cet enfantillage…

Lawrence écumait:

– J’étais venu pour te châtier comme tu le mérites, vieillard infâme! Et si tu ne t’étais entouré de tes serviteurs, qui te protègent et qui me désarment avant de m’introduire près de toi, ce serait déjà chose faite!

Arnoldson reprenait, dodelinant de la tête:

– Je me doutais bien que, si votre femme vous racontait ce qui s’est passé entre elle et moi, vous seriez tout prêt à vous livrer à quelque excentricité. Aussi ai-je pris mes précautions…

Lawrence avait croisé les bras et fixait sur Arnoldson un regard d’une rage inexprimable.

– Ainsi, c’est vous qui lui avez porté ces lettres? fit-il.

– Mon Dieu, oui, c’est moi! Et je me suis laissé aller, je l’avoue et je m’en excuse, à un langage peu convenable avec votre femme, mon cher Lawrence. J’étais fou! Elle est si jolie, encore, votre femme, que tout le monde – excepté vous, bien entendu – comprendrait ma conduite. Depuis longtemps, sa beauté m’avait frappé. Mon cher Lawrence, je n’ai pas été gâté, dans la vie, par les femmes. Que j’aie eu le rêve, vers la fin de ma misérable existence, de me… rapprocher d’une créature aussi parfaite que Mme Lawrence, mon crime est-il si grand?… Si vous saviez comment les choses se sont passées, peut-être vous décideriez-vous à me montrer un visage moins terrible.

Lawrence se domptant, d’un dernier effort, écouta:

– Jamais, mon cher monsieur Lawrence, jamais je n’eusse pensé à faire une déclaration à votre femme si je ne lui avais porté ces lettres, qui étaient une occasion évidente de la détacher de son mari et pouvaient la rapprocher d’un éventuel amant. Mais, pour lui porter ces lettres, il fallait les avoir. Or, écoutez ce qu’il advint. On me les apporta.

– Qui? s’écria Lawrence.

– Ah! qui? Vous ne le sauriez jamais si je ne vous le disais pas. C’est évidemment quelqu’un qui avait intérêt à vous éloigner, qui espérait qu’à la suite de la livraison de ces lettres entre les mains de votre femme il en résulterait quelque chose qui vous éloignerait de Diane. Croyez-moi, c’est de ce côté qu’il vous faut chercher. On a moins songé à vous perdre dans l’esprit de votre femme qu’à vous rendre désormais impossible toute relation avec Diane.