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– Dans le cercle…

– Parfaitement. et sa figure ne me surprendra pas!…

– Mais je croyais que vous aviez déjà vu sa figure, le soir où vous avez sauté dans la chambre…

– Mal… la bougie était par terre… et puis, toute cette barbe…

– Ce soir, il n’en aura donc plus?

– Je crois pouvoir affirmer qu’il en aura… Mais la galerie est claire, et puis, maintenant, je sais… ou du moins mon cerveau sait… alors mes yeux verront…

– S’il ne s’agit que de le voir et de le laisser échapper… pourquoi nous être armés?

– Parce que, mon cher, si l’homme de la «Chambre Jaune» et de la «galerie inexplicable» sait que je sais, il est capable de tout! Alors, il faudra nous défendre.

– Et vous êtes sûr qu’il viendra ce soir?…

– Aussi sûr que vous êtes là!… Mlle Stangerson, à dix heures et demie, ce matin, le plus habilement du monde, s’est arrangée pour être sans gardes-malades cette nuit; elle leur a donné congé pour vingt-quatre heures, sous des prétextes plausibles, et n’a voulu, pour veiller auprès d’elle, pendant leur absence, que son cher père, qui couchera dans le boudoir de sa fille et qui accepte cette nouvelle fonction avec une joie reconnaissante. La coïncidence du départ de M. Darzac (après les paroles qu’il m’a dites) et des précautions exceptionnelles de Mlle Stangerson, pour faire autour d’elle de la solitude, ne permet aucun doute. La venue de l’assassin, que Darzac redoute, Mlle Stangerson la prépare!

– C’est effroyable!

– Oui.

– Et le geste que nous lui avons vu faire, c’est le geste qui va endormir son père?

– Oui.

– En somme, pour l’affaire de cette nuit, nous ne sommes que deux?

– Quatre; le concierge et sa femme veillent à tout hasard… Je crois leur veille inutile, «avant»… Mais le concierge pourra m’être utile «après, si on tue»!

– Vous croyez donc qu’on va tuer?

– On tuera s’il le veut!

– Pourquoi n’avoir pas averti le père Jacques? Vous ne vous servez plus de lui, aujourd’hui?

– Non», me répondit Rouletabille d’un ton brusque.

Je gardai quelque temps le silence; puis, désireux de connaître le fond de la pensée de Rouletabille, je lui demandai à brûle-pourpoint:

«Pourquoi ne pas avertir Arthur Rance? Il pourrait nous être d’un grand secours…

– Ah ça! fit Rouletabille avec méchante humeur… Vous voulez donc mettre tout le monde dans les secrets de Mlle Stangerson!… Allons dîner… c’est l’heure… Ce soir nous dînons chez Frédéric Larsan… à moins qu’il ne soit encore pendu aux trousses de Robert Darzac… Il ne le lâche pas d’une semelle. Mais, bah! s’il n’est pas là en ce moment, je suis bien sûr qu’il sera là cette nuit!… En voilà un que je vais rouler!»

À ce moment, nous entendîmes du bruit dans la chambre à côté.

«Ce doit être lui, dit Rouletabille.

– J’oubliais de vous demander, fis-je: quand nous serons devant le policier, pas une allusion à l’expédition de cette nuit, n’est-ce pas?

– Évidemment; nous opérons seuls, pour notre compte personnel.

– Et toute la gloire sera pour nous?»

Rouletabille, ricanant, ajouta:

«Tu l’as dit, bouffi!»

Nous dînâmes avec Frédéric Larsan, dans sa chambre. Nous le trouvâmes chez lui… Il nous dit qu’il venait d’arriver et nous invita à nous mettre à table. Le dîner se passa dans la meilleure humeur du monde, et je n’eus point de peine à comprendre qu’il fallait l’attribuer à la quasi-certitude où Rouletabille et Frédéric Larsan, l’un et l’autre, et chacun de son côté, étaient de tenir enfin la vérité. Rouletabille confia au grand Fred que j’étais venu le voir de mon propre mouvement et qu’il m’avait retenu pour que je l’aidasse dans un grand travail qu’il devait livrer, cette nuit même, à L’Époque. Je devais repartir, dit-il, pour Paris, par le train d’onze heures, emportant sa «copie», qui était une sorte de feuilleton où le jeune reporter retraçait les principaux épisodes des mystères du Glandier. Larsan sourit à cette explication comme un homme qui n’en est point dupe, mais qui se garde, par politesse, d’émettre la moindre réflexion sur des choses qui ne le regardent pas. Avec mille précautions dans le langage et jusque dans les intonations, Larsan et Rouletabille s’entretinrent assez longtemps de la présence au château de M. Arthur-W. Rance, de son passé en Amérique qu’ils eussent voulu connaître mieux, du moins quant aux relations qu’il avait eues avec les Stangerson. À un moment, Larsan, qui me parut soudain souffrant, dit avec effort:

«Je crois, monsieur Rouletabille, que nous n’avons plus grand’chose à faire au Glandier, et m’est avis que nous n’y coucherons plus de nombreux soirs.

– C’est aussi mon avis, monsieur Fred.

– Vous croyez donc, mon ami, que l’affaire est finie?

– Je crois, en effet, qu’elle est finie et qu’elle n’a plus rien à nous apprendre, répliqua Rouletabille.

– Avez-vous un coupable? demanda Larsan.

– Et vous?

– Oui.

– Moi aussi, dit Rouletabille.

– Serait-ce le même?

– Je ne crois pas, si vous n’avez pas changé d’idée», dit le jeune reporter.

Et il ajouta avec force:

«M. Darzac est un honnête homme!

– Vous en êtes sûr? demanda Larsan. Eh bien, moi, je suis sûr du contraire… C’est donc la bataille?

– Oui, la bataille. Et je vous battrai, monsieur Frédéric Larsan.

– La jeunesse ne doute de rien», termina le grand Fred en riant et en me serrant la main.

Rouletabille répondit comme un écho:

«De rien!»

Mais soudain, Larsan, qui s’était levé pour nous souhaiter le bonsoir, porta les deux mains à sa poitrine et trébucha. Il dut s’appuyer à Rouletabille pour ne pas tomber. Il était devenu extrêmement pâle.

«Oh! oh! fit-il, qu’est-ce que j’ai là? Est-ce que je serais empoisonné?»

Et il nous regardait d’un œil hagard… En vain, nous l’interrogions, il ne nous répondait plus… Il s’était affaissé dans un fauteuil et nous ne pûmes en tirer un mot. Nous étions extrêmement inquiets, et pour lui, et pour nous, car nous avions mangé de tous les plats auxquels avait touché Frédéric Larsan. Nous nous empressions autour de lui. Maintenant, il ne semblait plus souffrir, mais sa tête lourde avait roulé sur son épaule et ses paupières appesanties nous cachaient son regard. Rouletabille se pencha sur sa poitrine et ausculta son cœur…