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Larsan fait chanter Darzac comme il fait chanter Mathilde… avec les mêmes armes, avec le même mystère… Dans des lettres, pressantes comme des ordres, il se déclare prêt à traiter, à livrer toute la correspondance amoureuse d’autrefois et surtout «à disparaître…» si on veut y mettre le prix… Darzac doit aller aux rendez-vous qu’il lui fixe, sous menace de divulgation dès le lendemain, comme Mathilde doit subir les rendez-vous qu’il lui donne… Et, dans l’heure même que Ballmeyer agit en assassin auprès de Mathilde, Robert débarque à Épinay, où un complice de Larsan, un être bizarre, «une créature d’un autre monde», que nous retrouverons un jour, le retient de force, et «lui fait perdre son temps, en attendant que cette coïncidence, dont l’accusé de demain ne pourra se résoudre à donner la raison, lui fasse perdre la tête…»

Seulement, Ballmeyer avait compté sans notre Joseph Rouletabille!

*

Ce n’est pas à cette heure que voilà expliqué «le mystère de la Chambre Jaune, que nous suivrons pas à pas Rouletabille en Amérique. Nous connaissons le jeune reporter, nous savons de quels moyens puissants d’information, logés dans les deux bosses de son front, il disposait «pour remonter toute l’aventure de Mlle Stangerson et de Jean Roussel». À Philadelphie, il fut renseigné tout de suite en ce qui concernait Arthur-William Rance; il apprit son acte de dévouement, mais aussi le prix dont il avait gardé la prétention de se le faire payer. Le bruit de son mariage avec Mlle Stangerson avait couru autrefois les salons de Philadelphie… Le peu de discrétion du jeune savant, la poursuite inlassable dont il n’avait cessé de fatiguer Mlle Stangerson, même en Europe, la vie désordonnée qu’il menait sous prétexte de «noyer ses chagrins», tout cela n’était point fait pour rendre Arthur Rance sympathique à Rouletabille, et ainsi s’explique la froideur avec laquelle il l’accueillit dans la salle des témoins. Tout de suite il avait du reste jugé que l’affaire Rance n’entrait point dans l’affaire Larsan-Stangerson. Et il avait découvert le flirt formidable Roussel-Mlle Stangerson. Qui était ce Jean Roussel? Il alla de Philadelphie à Cincinnati, refaisant le voyage de Mathilde. À Cincinnati, il trouva la vieille tante et sut la faire parler: l’histoire de l’arrestation de Ballmeyer lui fut une lueur qui éclaira tout. Il put visiter, à Louisville, le «presbytère» – une modeste et jolie demeure dans le vieux style colonial – qui n’avait en effet «rien perdu de son charme». Puis, abandonnant la piste de Mlle Stangerson, il remonta la piste Ballmeyer, de prison en prison, de bagne en bagne, de crime en crime; enfin, quand il reprenait le bateau pour l’Europe sur les quais de New-York, Rouletabille savait que, sur ces quais mêmes, Ballmeyer s’était embarqué cinq ans auparavant, ayant en poche les papiers d’un certain Larsan, honorable commerçant de la Nouvelle-Orléans, qu’il venait d’assassiner…

Et maintenant, connaissez-vous tout le mystère de Mlle Stangerson? Non, pas encore. Mlle Stangerson avait eu de son mari Jean Roussel un enfant, un garçon. Cet enfant était né chez la vieille tante qui s’était si bien arrangée que nul n’en sut jamais rien en Amérique. Qu’était devenu ce garçon? Ceci est une autre histoire que je vous conterai un jour.

*

Deux mois environ après ces événements, je rencontrai Rouletabille assis mélancoliquement sur un banc du palais de justice.

«Eh bien! lui dis-je, à quoi songez-vous, mon cher ami? Vous avez l’air bien triste. Comment vont vos amis?

– En dehors de vous, me dit-il, ai-je vraiment des amis?

– Mais j’espère que M. Darzac…

– Sans doute…

– Et que Mlle Stangerson… Comment va-t-elle, Mlle Stangerson?…

– Beaucoup mieux… mieux… beaucoup mieux…

– Alors il ne faut pas être triste…

– Je suis triste, fit-il, parce que je songe au parfum de la dame en noir…

– Le parfum de la dame en noir! Je vous en entends toujours parler! M’expliquerez-vous, enfin, pourquoi il vous poursuit avec cette assiduité?

– Peut-être, un jour… un jour, peut-être…» fit Rouletabille.

Et il poussa un gros soupir.

(1907)

[1] textuel