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«Puis il regagna la «Chambre Jaune». Mlle Stangerson arrive. Ce qui s’est passé a dû être rapide comme l’éclair!… Mlle Stangerson a dû crier… ou plutôt a voulu crier son effroi; l’homme l’a saisie à la gorge… Peut-être va-t-il l’étouffer, l’étrangler… Mais la main tâtonnante de Mlle Stangerson a saisi, dans le tiroir de la table de nuit, le revolver qu’elle y a caché depuis qu’elle redoute les menaces de l’homme. L’assassin brandit déjà, sur la tête de la malheureuse, cette arme terrible dans les mains de Larsan-Ballmeyer, un os de mouton… Mais elle tire… le coup part, blesse la main qui abandonne l’arme. L’os de mouton roule par terre, ensanglanté par la blessure de l’assassin… l’assassin chancelle, va s’appuyer à la muraille, y imprime ses doigts rouges, craint une autre balle et s’enfuit…

«Elle le voit traverser le laboratoire… Elle écoute… Que fait-il dans le vestibule?… Il est bien long à sauter par cette fenêtre… Enfin, il saute! Elle court à la fenêtre et la referme!… Et maintenant, est-ce que son père a vu? a entendu? Maintenant que le danger a disparu, toute sa pensée va à son père… douée d’une énergie surhumaine, elle lui cachera tout, s’il en est temps encore!… Et, quand M. Stangerson reviendra, il trouvera la porte de la «Chambre Jaune» fermée, et sa fille, dans le laboratoire, penchée sur son bureau, attentive, au travail, déjà!»

Rouletabille se tourne alors vers M. Darzac:

«Vous savez la vérité, s’écria-t-il, dites-nous donc si la chose ne s’est pas passée ainsi?

– Je ne sais rien, répond M. Darzac.

– Vous êtes un héros! fait Rouletabille, en se croisant les bras… Mais si Mlle Stangerson était, hélas! en état de savoir que vous êtes accusé, elle vous relèverait de votre parole… elle vous prierait de dire tout ce qu’elle vous a confié… que dis-je, elle viendrait vous défendre elle-même!…»

M. Darzac ne fit pas un mouvement, ne prononça pas un mot. Il regarda tristement Rouletabille.

«Enfin, fit celui-ci, puisque Mlle Stangerson n’est pas là, il faut bien que j’y sois, moi! Mais, croyez-moi, monsieur Darzac, le meilleur moyen, le seul, de sauver Mlle Stangerson et de lui rendre la raison, c’est encore de vous faire acquitter!»

Un tonnerre d’applaudissements accueillit cette dernière phrase. Le président n’essaya même pas de réfréner l’enthousiasme de la salle. Robert Darzac était sauvé. Il n’y avait qu’à regarder les jurés pour en être certain! Leur attitude manifestait hautement leur conviction.

Le président s’écria alors:

«Mais enfin, quel est ce mystère qui fait que Mlle Stangerson, que l’on tente d’assassiner, dissimule un pareil crime à son père?

– Ça, m’sieur, fit Rouletabille, j’sais pas!… Ça ne me regarde pas!…»

Le président fit un nouvel effort auprès de M. Robert Darzac.

«Vous refusez toujours de nous dire, monsieur, quel a été l’emploi de votre temps pendant qu’ «on» attentait à la vie de Mlle Stangerson?

– Je ne peux rien vous dire, monsieur…»

Le président implora du regard une explication de Rouletabille:

«On a le droit de penser, m’sieur le président, que les absences de M. Robert Darzac étaient étroitement liées au secret de Mlle Stangerson… Aussi M. Darzac se croit-il tenu à garder le silence!… Imaginez que Larsan, qui a, lors de ses trois tentatives, tout mis en train pour détourner les soupçons sur M. Darzac, ait fixé, justement, ces trois fois-là, des rendez-vous à M. Darzac dans un endroit compromettant, rendez-vous où il devait être traité du mystère… M. Darzac se fera plutôt condamner que d’avouer quoi que ce soit, que d’expliquer quoi que ce soit qui touche au mystère de Mlle Stangerson. Larsan est assez malin pour avoir fait encore cette «combinaise-là!…»

Le président, ébranlé, mais curieux, répartit encore:

«Mais quel peut bien être ce mystère-là?

– Ah! m’sieur, j’pourrais pas vous dire! fit Rouletabille en saluant le président; seulement, je crois que vous en savez assez maintenant pour acquitter M. Robert Darzac!… À moins que Larsan ne revienne! mais j’crois pas!» fit-il en riant d’un gros rire heureux.

Tout le monde rit avec lui.

«Encore une question, monsieur, fit le président. Nous comprenons, toujours en admettant votre thèse, que Larsan ait voulu détourner les soupçons sur M. Robert Darzac, mais quel intérêt avait-il à les détourner aussi sur le père Jacques?…

– «L’intérêt du policier!» m’sieur! L’intérêt de se montrer débrouillard en annihilant lui-même ces preuves qu’il avait accumulées. C’est très fort, ça! C’est un truc qui lui a souvent servi à détourner les soupçons qui eussent pu s’arrêter sur lui-même! Il prouvait l’innocence de l’un, avant d’accuser l’autre. Songez, monsieur le président, qu’une affaire comme celle-là devait avoir été longuement «mijotée «à l’avance par Larsan. Je vous dis qu’il avait tout étudié et qu’il connaissait les êtres et tout. Si vous avez la curiosité de savoir comment il s’était documenté, vous apprendrez qu’il s’était fait un moment le commissionnaire entre «le laboratoire de la Sûreté» et M. Stangerson, à qui on demandait des «expériences». Ainsi, il a pu, avant le crime, pénétrer deux fois dans le pavillon. Il était grimé de telle sorte que le père Jacques, depuis, ne l’a pas reconnu; mais il a trouvé, lui, Larsan, l’occasion de chiper au père Jacques une vieille paire de godillots et un béret hors d’usage, que le vieux serviteur de M. Stangerson avait noués dans un mouchoir pour les porter sans doute à un de ses amis, charbonnier sur la route d’Épinay! Quand le crime fut découvert, le père Jacques, reconnaissant les objets à part lui, n’eut garde de les reconnaître immédiatement! Ils étaient trop compromettants, et c’est ce qui vous explique son trouble, à cette époque, quand nous lui en parlions. Tout cela est simple comme bonjour et j’ai acculé Larsan à me l’avouer. Il l’a du reste fait avec plaisir, car, si c’est un bandit – ce qui ne fait plus, j’ose l’espérer, de doute pour personne – c’est aussi un artiste!… C’est sa manière de faire, à cet homme, sa manière à lui… Il a agi de même lors de l’affaire du «Crédit universel» et des «Lingots de la Monnaie!» Des affaires qu’il faudra réviser, m’sieur le président, car il y a quelques innocents dans les prisons depuis que Ballmeyer-Larsan appartient à la Sûreté!»