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– Non, monsieur le juge d’instruction, je n’ai point prétendu cela. Je ne dis pas que le mobile du crime a été le vol et je ne le crois pas.

– Alors, que signifie cette carte?

– Elle signifie que l’un des mobiles du crime a été le vol.

Qu’est-ce qui vous a renseigné?

– Ceci! si vous voulez bien m’accompagner.»

Et le jeune homme nous pria de le suivre dans le vestibule, ce que nous fîmes. Là, il se dirigea du côté du lavatory et pria M. le juge d’instruction de se mettre à genoux à côté de lui. Ce lavatory recevait du jour par sa porte vitrée et, quand la porte était ouverte, la lumière qui y pénétrait était suffisante pour l’éclairer parfaitement. M. de Marquet et M Joseph Rouletabille s’agenouillèrent sur le seuil. Le jeune homme montrait un endroit de la dalle.

«Les dalles du lavatory n’ont point été lavées par le père Jacques, fit-il, depuis un certain temps; cela se voit à la couche de poussière qui les recouvre. Or, voyez, à cet endroit, la marque de deux larges semelles et de cette cendre noire qui accompagne partout les pas de l’assassin. Cette cendre n’est point autre chose que la poussière de charbon qui couvre le sentier que l’on doit traverser pour venir directement, à travers la forêt, d’Épinay au Glandier. Vous savez qu’à cet endroit il y a un petit hameau de charbonniers et qu’on y fabrique du charbon de bois en grande quantité. Voilà ce qu’a dû faire l’assassin: il a pénétré ici l’après-midi quand il n’y eut plus personne au pavillon, et il a perpétré son vol.

– Mais quel vol? Où voyez-vous le vol? Qui vous prouve le vol? nous écriâmes nous tous en même temps.

– Ce qui m’a mis sur la trace du vol, continua le journaliste…

– C’est ceci! interrompit M. de Marquet, toujours à genoux.

– Évidemment», fit M. Rouletabille.

Et M. de Marquet expliqua qu’il y avait, en effet, sur la poussière des dalles, à côté de la trace des deux semelles, l’empreinte fraîche d’un lourd paquet rectangulaire, et qu’il était facile de distinguer la marque des ficelles qui l’enserraient…

«Mais vous êtes donc venu ici, monsieur Rouletabille; j’avais pourtant ordonné au père Jacques de ne laisser entrer personne; il avait la garde du pavillon.

– Ne grondez pas le père Jacques, je suis venu ici avec M. Robert Darzac.

– Ah! vraiment…» s’exclama M. de Marquet mécontent, et jetant un regard de côté à M. Darzac, lequel restait toujours silencieux.

«Quand j’ai vu la trace du paquet à côté de l’empreinte des semelles, je n’ai plus douté du vol, reprit M. Rouletabille. Le voleur n’était pas venu avec un paquet… Il avait fait, ici, ce paquet, avec les objets volés sans doute, et il l’avait déposé dans ce coin, dans le dessein de l’y reprendre au moment de sa fuite; il avait déposé aussi, à côté de son paquet, ses lourdes chaussures; car, regardez, aucune trace de pas ne conduit à ces chaussures, et les semelles sont à côté l’une de l’autre, comme des semelles au repos et vides de leurs pieds. Ainsi comprendrait-on que l’assassin, quand il s’enfuit de la «Chambre Jaune», n’a laissé aucune trace de ses pas dans le laboratoire ni dans le vestibule. Après avoir pénétré avec ses chaussures dans la «Chambre Jaune», il les y a défaites, sans doute parce qu’elles le gênaient ou parce qu’il voulait faire le moins de bruit possible. La marque de son passage aller à travers le vestibule et le laboratoire a été effacée par le lavage subséquent du père Jacques, ce qui nous mène à faire entrer l’assassin dans le pavillon par la fenêtre ouverte du vestibule lors de la première absence du père Jacques, avant le lavage qui a eu lieu à cinq heure et demie!

«L’assassin, après qu’il eut défait ses chaussures, qui, certainement le gênaient, les a portées à la main dans le lavatory et les y a déposées du seuil, car, sur la poussière du lavatory, il n’y a pas trace de pieds nus ou enfermés dans des chaussettes, ou encore dans d’autres chaussures. Il a donc déposé ses chaussures à côté de son paquet. Le vol était déjà, à ce moment, accompli. Puis l’homme retourne à la «Chambre Jaune» et s’y glisse alors sous le lit où la trace de son corps est parfaitement visible sur le plancher et même sur la natte qui a été, à cet endroit, légèrement roulée et très froissée. Des brins de paille même, fraîchement arrachés, témoignent également du passage de l’assassin sous le lit…

– Oui, oui, cela nous le savons… dit M. de Marquet.

– Ce retour sous le lit prouve que le vol, continua cet étonnant gamin de journaliste, n’était point le seul mobile de la venue de l’homme. Ne me dites point qu’il s’y serait aussitôt réfugié en apercevant, par la fenêtre du vestibule, soit le père Jacques, soit M. et Mlle Stangerson s’apprêtant à rentrer dans le pavillon. Il était beaucoup plus facile pour lui de grimper au grenier, et, caché, d’attendre une occasion de se sauver, si son dessein n’avait été que de fuir. Non! Non! Il fallait que l’assassin fût dans la «Chambre Jaune»…

Ici, le chef de la Sûreté intervint:

«Ça n’est pas mal du tout, cela, jeune homme! mes félicitations… et si nous ne savons pas encore comment l’assassin est parti, nous suivons déjà, pas à pas, son entrée ici, et nous voyons ce qu’il y a fait: il a volé. Mais qu’a-t-il donc volé?

– Des choses extrêmement précieuses», répondit le reporter.

À ce moment, nous entendîmes un cri qui partait du laboratoire. Nous nous y précipitâmes, et nous y trouvâmes M. Stangerson qui, les yeux hagards, les membres agités, nous montrait une sorte de meuble-bibliothèque qu’il venait d’ouvrir et qui nous apparut vide.

Au même instant, il se laissa aller dans le grand fauteuil qui était poussé devant le bureau et gémit:

«Encore une fois, je suis volé…»

Et puis une larme, une lourde larme, coula sur sa joue:

«Surtout, dit-il, qu’on ne dise pas un mot de ceci à ma fille… Elle serait encore plus peinée que moi…»

Il poussa un profond soupir, et, sur le ton d’une douleur que je n’oublierai jamais:

«Qu’importe, après tout… pourvu qu’elle vive!…

– Elle vivra! dit, d’une voix étrangement touchante, Robert Darzac.

– Et nous vous retrouverons les objets volés, fit M Dax. Mais qu’y avait-il dans ce meuble?

– Vingt ans de ma vie, répondit sourdement l’illustre professeur, ou plutôt de notre vie, à ma fille et à moi. Oui, nos plus précieux documents, les relations les plus secrètes sur nos expériences et sur nos travaux, depuis vingt ans, étaient enfermés là. C’était une véritable sélection parmi tant de documents dont cette pièce est pleine. C’est une perte irréparable pour nous, et, j’ose dire, pour la science. Toutes les étapes par lesquelles j’ai dû passer pour arriver à la preuve décisive de l’anéantissement de la matière, avaient été, par nous, soigneusement énoncées, étiquetées, annotées, illustrées de photographies et de dessins. Tout cela était rangé là. Le plan de trois nouveaux appareils, l’un pour étudier la déperdition, sous l’influence de la lumière ultra-violette, des corps préalablement électrisés; l’autre qui devait rendre visible la déperdition électrique sous l’action des particules de matière dissociée contenue dans les gaz des flammes; un troisième, très ingénieux, nouvel électroscope condensateur différentiel; tout le recueil de nos courbes traduisant les propriétés fondamentales de la substance intermédiaire entre la matière pondérable et l’éther impondérable; vingt ans d’expériences sur la chimie intra-atomique et sur les équilibres ignorés de la matière; un manuscrit que je voulais faire paraître sous ce titre: Les Métaux qui souffrent. Est-ce que je sais? est-ce que je sais? L’homme qui est venu là m’aura tout pris… Ma fille et mon œuvre… mon cœur et mon âme…