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ce fut la liberté de ses décisions,

dont les êtres doués d’intelligence, eux seuls,

furent alors pourvus et le sont depuis lors.

Or, en y pensant mieux, tu comprendras sans doute

l’importance d’un vœu, s’il fut fait de façon

que Dieu consente aussi, quand tu consens toi-même,

puisque l’homme, en signant ce contrat avec Dieu,

spontanément s’engage à lui sacrifier

ce trésor précieux dont j’ai dit l’intérêt.

Partant, que pourrait-on proposer en échange?

Si tu crois que tes dons servent à cet usage,

c’est d’un bien mal acquis vouloir de bons effets [40].

Te voilà rassuré sur ce point capital;

pourtant, comme l’Église en donne des dispenses

qui semblent infirmer ce que je viens de dire,

il ne faut pas encore abandonner la table,

car l’aliment trop cru que tu viens d’avaler

demande encor qu’on l’aide avant d’être accepté.

Ouvre donc ton esprit à ce que je te montre

et retiens tout ceci: le savoir ne vient pas

du seul fait de comprendre, il y faut la mémoire.

Si de ce sacrifice on regarde l’essence,

on y voit deux aspects: d’un côté l’on distingue

un objet, et de l’autre une obligation.

Or, on ne peut jamais supprimer celle-ci,

sauf en l’exécutant; et c’est à son sujet

que je parlais tantôt avec tant de détail;

c’est pourquoi chez les Juifs on jugeait nécessaire

le devoir de donner, bien que parfois l’offrande

changeât de contenu, comme tu dois savoir.

Pour l’objet, tu comprends qu’il s’agit de matière:

il se peut qu’il soit tel qu’on puisse sans erreur

le remplacer parfois par quelque autre matière [41].

Mais personne ne doit faire changer d’épaule

cette charge à lui seul ou de son propre chef,

sans que tournent d’abord la clef blanche et la jaune [42]:

la substitution est toujours insensée,

si l’objet qu’on reprend n’était pas contenu

comme quatre dans six dans l’objet qui remplace.

Si donc du remplaçant la valeur n’est pas telle

qu’irrésistiblement il penche la balance,

on ne peut acquitter par aucune autre offrande.

Ne prenez pas, mortels, les vœux à la légère!

Réfléchissez d’abord, ne soyez pas aveugles,

évitez de Jephté l’erreur du premier vœu [43];

car mieux valait pour lui dire: «J’ai mal agi!»

que de faire le pire en l’observant. De même,

le commandant des Grecs ne fut pas moins stupide,

qui fit sur sa beauté pleurer Iphigénie,

et pleurer sur son sort les sages et les fous,

en entendant parler d’un culte si nouveau.

Soyez, chrétiens, plus lents dans vos décisions!

N’imitez pas la plume, emportée à tout vent,

car n’importe quelle eau ne peut pas vous laver.

Vous avez le Nouveau et le Vieux Testament;

le pasteur de l’Église est là pour vous guider:

cela doit être assez, pour trouver le salut!

Et si la soif du gain vous inspire autre chose,

il faut agir en hommes, et non pas en moutons,

pour que chez vous le Juif ne se moque de vous.

Et ne faites jamais comme l’agneau qui laisse

de sa mère le lait par simple espièglerie,

afin d’aller, par jeu, se battre avec son ombre.»

Béatrice me dit ce que je viens d’écrire,

puis elle se tourna, d’un grand désir poussée,

vers cette région où le monde est plus vif [44].

Son silence et l’aspect qui la transfigurait

imposaient le silence à mon esprit avide,

où d’autres questions se pressaient sans arrêt;

et pareil au carreau qui vient frapper le but

dès avant que la corde ait cessé de vibrer,

notre vol arrivait au second des royaumes.

Là, je vis que ma dame était si radieuse,

dès qu’elle eut pénétré dans l’éclat de ce ciel,

que plus resplendissante en devint la planète.

Si l’étoile sourit et changea de visage,

que devais-je sentir, moi, qui de ma nature

suis enclin à changer de toutes les façons?

Comme dans un vivier à l’eau tranquille et pure

accourent les poissons vers tout ce qu’on leur jette

du dehors, en pensant que c’est de la pâture,

de même je vis là plus de mille splendeurs

se diriger vers nous, et chacune disait:

«Voici quelqu’un qui vient augmenter nos amours!» [45]

Et comme chacun d’eux s’approchait davantage,

on pouvait voir l’esprit qui, rempli d’allégresse,

résidait dans chacun des éblouissements.

Pense, si le récit que je commence ici

s’interrompait, lecteur, comme tu sentirais

le désir angoissant d’en savoir davantage;

et par toi tu verras comment je désirais

apprendre de ceux-ci quel était leur destin,

aussitôt qu’à mes yeux ils se manifestèrent.

«Ô toi, mortel heureux et bien né, que la grâce

du triomphe éternel laisse admirer les trônes,

avant d’abandonner l’état de la milice,

nous sommes embrasés par l’éclat répandu

dans tout ce ciel; partant, si de nous tu désires

savoir quoi que ce soit, satisfais ton envie!»

C’est ainsi que me dit l’un des pieux esprits;

et Béatrice: «Dis; parle avec assurance,

crois ce qu’ils te diront, comme l’on croit aux dieux!»

«Je vois bien, dis-je alors, que tu t’es fait un nid

dans ta propre splendeur, qui jaillit de tes yeux,

car je les vois briller pendant que tu souris;

j’ignore cependant qui tu fus, âme digne,

et pourquoi tu jouis du cercle de ce globe [46]

qui se voile aux mortels sous les rayons d’un autre.»

Je demandai ceci, me tournant vers l’éclat

qui parla le premier; et il devint alors

bien plus resplendissant qu’il n’était tout d’abord.

Et pareil au soleil qui se cache parfois

dans son éclat trop grand, à l’heure où la chaleur

consume les vapeurs qui semblaient l’amoindrir,

sa plus grande liesse également cachait

cette sainte figure au creux de ses rayons;

et ainsi prise, prise elle me répondit

comme chante le chant qui suit un peu plus loin.