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» Et la nuit même je m’échappai de la cour et j’allai trouver le duc. Je lui fis sentir combien il serait dangereux pour tous les deux que je fusse arrêtée. Il m’approuva et me dit de ne rien craindre. Par ses conseils, il m’engagea à me retirer dans une place forte qui lui appartient près d’ici, et il me donna deux hommes à lui, pour me servir d’escorte.

» Tu as vu, seigneur, quelles preuves de mon amour j’avais données à Polinesso, et tu peux juger si je méritais ou non de lui être chère. Or, écoute quelle récompense j’en ai reçue; vois le prix dont il a payé ma grande affection; vois si, parce qu’elle aime passionnément, une femme peut jamais espérer être aimée!

» Cet ingrat, ce perfide, ce cruel a fini par douter de ma foi; il en est venu à craindre que je révèle ses coupables ruses ourdies de si loin. Il a feint, pour attendre que la colère du roi se soit apaisée, de vouloir m’éloigner et me cacher dans une de ses places fortes, et il avait résolu de m’envoyer droit à la mort.

» Car, en secret, il avait ordonné à mes guides, pour digne prix de ma fidélité, de me tuer dans cette forêt où tu m’as soustraite à leurs coups. Et son projet se fût accompli, si tu n’étais accouru à mes cris. Vois comme Amour traite ceux qui lui sont soumis!» Voilà ce que Dalinda raconta au paladin, pendant qu’ils poursuivaient leur route.

Renaud fut charmé par-dessus tout d’avoir trouvé la donzelle qui lui avait raconté toute l’histoire de l’innocence de la belle Ginevra. Et s’il avait espéré la sauver quand elle paraissait accusée avec raison, il se sentit une bien plus grande force en ayant la preuve évidente qu’elle avait été calomniée.

Et vers la ville de Saint-André, où étaient le roi et toute sa famille, et où devait se livrer le combat singulier pour la querelle de sa fille, Renaud se dirigea aussi rapidement qu’il put, jusqu’à ce qu’il en fût arrivé à quelques milles. Aux environs de la ville, il trouva un écuyer qui lui apprit les plus fraîches nouvelles,

Et qu’un chevalier étranger était venu, qui s’était présenté pour défendre Ginevra. Ce chevalier portait des insignes inaccoutumés, et l’on n’avait pu le reconnaître, attendu qu’il se tenait le plus souvent caché; que, depuis son arrivée, personne n’avait encore vu son visage à découvert, et que l’écuyer qui le servait disait en jurant: «Je ne sais pas qui c’est.»

Ils ne chevauchèrent pas longtemps sans arriver sous les murs de la ville, près de la porte. Dalinda avait peur d’aller plus avant; pourtant elle continue son chemin, réconfortée par Renaud. La porte est fermée. À celui qui en avait la garde, Renaud demanda ce que cela signifiait, et il lui fut répondu que c’était parce que toute la population était sortie pour voir la bataille

Qui, entre Lurcanio et un chevalier étranger, se livrait de l’autre côté de la ville, dans un pré spacieux et uni, et que déjà le combat était commencé. La porte est ouverte au seigneur de Montauban, et le portier la ferme aussitôt sur lui. Renaud traverse la cité vide, après avoir tout d’abord laissé la donzelle dans une hôtellerie,

Et lui avoir dit de rester là en sûreté jusqu’à ce qu’il revienne vers elle, ce qui ne tardera pas. Puis il se dirige rapidement vers le champ de bataille, où les deux guerriers avaient déjà échangé de nombreux coups et s’en portaient encore. Lurcanio avait le cœur mal disposé contre Ginevra, et l’autre, pour sa défense, soutenait vaillamment son entreprise volontaire.

Six chevaliers à pied, armés de cuirasses, se tenaient avec eux dans la lice, ainsi que le duc d’Albanie, monté sur un puissant coursier de bonne race. Comme grand connétable, la garde du camp et de la place lui avait été confiée; et de voir Ginevra en un si grand danger, il avait le cœur joyeux et le regard plein d’orgueil.

Renaud s’avance à travers la foule, où le bon destrier Bayard se fait ouvrir un large passage. Quiconque l’entend venir comme une tempête n’est ni long ni boiteux à lui faire place. Renaud se présente, dominant tout le monde et portant au visage la fleur de toute vaillance. Puis il va s’arrêter devant la place où siège le roi. Chacun s’approche pour entendre ce qu’il demande.

Renaud dit au roi: «Grand prince, ne laisse pas la bataille se poursuivre, car quel que soit celui de ces deux chevaliers qui meure, sache que tu l’auras laissé mourir à tort. L’un croit avoir raison et est induit en erreur; il soutient le faux et ne sait pas qu’il ment. Cette même erreur, qui a poussé son frère à la mort, lui met les armes aux mains.

» L’autre ne sait s’il a tort ou raison; mais il s’est exposé au péril uniquement par courtoisie et par bonté, et pour ne pas laisser périr tant de beauté. Moi, j’apporte le salut à celle qui est innocente et le châtiment à qui a usé de fausseté. Mais, pour Dieu, arrête d’abord ce combat; puis donne-moi audience pour entendre ce que je vais te raconter.»

Le roi fut si ému du ton d’autorité d’un homme aussi digne que lui paraissait être Renaud, qu’il fit un signe pour que le combat ne fût pas poussé plus loin. Alors, en présence des barons du royaume, des chevaliers et des autres spectateurs, Renaud dévoila toute la fourberie que Polinesso avait ourdie contre Ginevra;

Et il s’offrit à prouver par les armes que ce qu’il avait dit était vrai. Il appela Polinesso, et celui-ci parut, mais le visage tout troublé. Pourtant il commença à nier avec audace. Renaud dit: «Nous allons voir à l’épreuve.» L’un et l’autre étaient armés, le champ tout préparé, de telle sorte que sans retard ils en viennent aux mains.

Oh! comme le roi, comme son peuple font des vœux pour qu’il soit prouvé que Ginevra est innocente! Tous ont l’espérance que Dieu montrera clairement qu’elle a été accusée injustement d’impudicité. Polinesso avait la réputation d’un homme cruel, orgueilleux, inique et trompeur, si bien qu’à personne il ne paraît extraordinaire qu’une semblable fourberie ait été ourdie par lui.

L’air consterné, le cœur tremblant, le visage pâle, Polinesso attend, et au troisième son de la trompette, il met sa lance en arrêt. De son côté, Renaud se lance contre lui, et, désireux d’en finir, il le vise de façon à lui transpercer le cœur avec sa lance. L’effet suit de près le désir, car il lui plonge la moitié du fer dans la poitrine.

La lance fixée dans le corps, Polinesso est jeté à plus de six brasses loin de son destrier. Renaud saute promptement à terre, et, avant qu’il puisse se relever, lui saisit le casque et le délace. Mais celui-ci, qui ne peut plus continuer le combat, lui demande merci d’un air humble, et confesse, devant le roi et la cour qui l’entendent, la fraude qui l’a conduit à la mort.

Il n’achève pas; au milieu de ses aveux, la voix et la vie l’abandonnent. Le roi, qui voit sa fille sauvée de la mort et de l’infamie, joyeux et consolé, est plus heureux que si, après avoir perdu sa couronne, il se la voyait rendre. Il glorifie uniquement Renaud.

Puis, après l’avoir reconnu dès que celui-ci a ôté son casque – car il l’avait vu plusieurs fois déjà – il lève les mains au ciel, et remercie Dieu de lui avoir envoyé ainsi à temps un tel défenseur. Quant à l’autre chevalier inconnu qui avait secouru Ginevra dans sa triste situation, et avait combattu pour elle, il se tenait à l’écart, attentif à tout ce qui venait de se passer.