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– Cherchez bien, mon fils, dit Catherine, rappelez-vous certains projets d’évasion qui devaient assurer l’impunité au meurtrier.

– Au meurtrier! s’écria Charles, au meurtrier, dites-vous? on a donc essayé de me tuer, ma mère?

L’œil chatoyant de Catherine roula hypocritement sous sa paupière plissée.

– Oui, mon fils: vous en doutez peut-être, vous; mais moi, j’en ai acquis la certitude.

– Je ne doute jamais de ce que vous me dites, répondit amèrement le roi. Et comment a-t-on essayé de me tuer? Je suis curieux de le savoir.

– Par la magie, mon fils.

– Expliquez-vous, madame, dit Charles ramené par le dégoût à son rôle d’observateur.

– Si ce conspirateur que je veux désigner… et que Votre Majesté a déjà désigné du fond du cœur… ayant tout disposé pour ses batteries, étant sûr du succès, eût réussi à s’esquiver, nul peut-être n’eût pénétré la cause des souffrances de Votre Majesté; mais heureusement, Sire, votre frère veillait sur vous.

– Quel frère?

– Votre frère d’Alençon.

– Ah! oui, c’est vrai; j’oublie toujours que j’ai un frère, murmura Charles en riant avec amertume. Et vous dites donc, madame…

– Qu’il a heureusement révélé le côté matériel de la conspiration à Votre Majesté. Mais tandis qu’il ne cherchait, lui, enfant inexpérimenté, que les traces d’un complot ordinaire, que les preuves d’une escapade de jeune homme, je cherchais, moi, des preuves d’une action bien plus importante; car je connais la portée de l’esprit du coupable.

– Ah ça! mais, ma mère, on dirait que vous parlez du roi de Navarre? dit Charles voulant voir jusqu’où irait cette dissimulation florentine.

Catherine baissa hypocritement les yeux.

– Je l’ai fait arrêter, ce me semble, et conduire à Vincennes pour l’escapade en question, continua le roi; serait-il donc encore plus coupable que je ne le soupçonne?

– Sentez-vous la fièvre qui vous dévore? demanda Catherine.

– Oui, certes, madame, dit Charles en fronçant le sourcil.

– Sentez-vous la chaleur brûlante qui ronge votre cœur et vos entrailles?

– Oui, madame, répondit Charles en s’assombrissant de plus en plus.

– Et les douleurs aiguës de tête qui passent par vos yeux pour arriver à votre cerveau, comme autant de coups de flèches?

– Oui, oui, madame; oh! je sens bien tout cela! oh! vous savez bien décrire mon mal!

– Eh bien, cela est tout simple, dit la Florentine; regardez… Et elle tira de dessous son manteau un objet qu’elle présenta au roi.

C’était une figurine de cire jaunâtre, haute de six pouces à peu près. Cette figure était vêtue d’abord d’une robe étoilée d’or, en cire, comme la figurine; puis d’un manteau royal de même matière.

– Eh bien, demanda Charles, qu’est-ce que cette petite statue?

– Voyez ce qu’elle a sur la tête, dit Catherine.

– Une couronne, répondit Charles.

– Et au cœur?

– Une aiguille.

– Eh bien, Sire, vous reconnaissez-vous?

– Moi?

– Oui, vous, avec votre couronne, avec votre manteau?

– Et qui donc a fait cette figure? dit Charles que cette comédie fatiguait; le roi de Navarre, sans doute?

– Non pas, Sire.

– Non pas!… alors je ne vous comprends plus.

– Je dis non, reprit Catherine, parce que Votre Majesté pourrait tenir au fait exact. J’aurais dit oui si Votre Majesté m’eût posé la question d’une autre façon.

Charles ne répondit pas. Il essayait de pénétrer toutes les pensées de cette âme ténébreuse, qui se refermait sans cesse devant lui au moment où il se croyait tout prêt à y lire.

– Sire, continua Catherine, cette statue a été trouvée, par les soins de votre procureur général Laguesle, au logis de l’homme qui, le jour de la chasse au vol, tenait un cheval de main tout prêt pour le roi de Navarre.

– Chez M. de La Mole? dit Charles.

– Chez lui-même; et, s’il vous plaît, regardez encore cette aiguille d’acier qui perce le cœur, et voyez quelle lettre est écrite sur l’étiquette qu’elle porte.

– Je vois un M, dit Charles.

– C’est-à-dire mort; c’est la formule magique, Sire. L’inventeur écrit ainsi son vœu sur la plaie même qu’il creuse. S’il eût voulu frapper de folie, comme le duc de Bretagne fit pour le roi Charles VI, il eût enfoncé l’épingle dans la tête et il eût mis un F au lieu d’un M.

– Ainsi, dit Charles IX, à votre avis, madame, celui qui en veut à mes jours, c’est M. de La Mole?

– Oui, comme le poignard en veut au cœur; oui, mais derrière le poignard, il y a le bras qui le pousse.

– Et voilà toute la cause du mal dont je suis atteint? le jour où le charme sera détruit, le mal cessera? Mais comment s’y prendre? demanda Charles; vous le savez, vous, ma bonne mère; mais moi, tout au contraire de vous, qui vous en êtes occupée toute votre vie, je suis fort ignorant en cabale et en magie.

– La mort de l’inventeur rompt le charme, voilà tout. Le jour où le charme sera détruit, le mal cessera, dit Catherine.

– Vraiment! dit Charles d’un air étonné.

– Comment! vous ne savez pas cela?

– Dame! je ne suis pas sorcier, dit le roi.

– Eh bien, maintenant, dit Catherine, Votre Majesté est convaincue, n’est ce pas?

– Certainement.

– La conviction va chasser l’inquiétude?

– Complètement.

– Ce n’est point par complaisance que vous le dites?

– Non, ma mère; c’est du fond de mon cœur. Le visage de Catherine se dérida.

– Dieu soit loué! s’écria-t-elle, comme si elle eût cru en Dieu.

– Oui, Dieu soit loué! reprit ironiquement Charles. Je sais maintenant comme vous à qui attribuer l’état où je me trouve, et par conséquent qui punir.

– Et nous punirons…

– M. de La Mole: n’avez-vous pas dit qu’il était le coupable?

– J’ai dit qu’il était l’instrument.

– Eh bien, dit Charles, M. de La Mole d’abord; c’est le plus important. Toutes ces crises dont je suis atteint peuvent faire naître autour de nous de dangereux soupçons. Il est urgent que la lumière se fasse, et qu’à l’éclat que jettera cette lumière la vérité se découvre.