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– Eh bien, mon cher ami, votre début vous fait honneur; un roi pour prisonnier, ce n’est point mal.

– Pardon, Sire, reprit Beaulieu, mais avant vous j’ai déjà reçu deux gentilshommes.

– Lesquels? Ah! pardon, je commets, peut-être une indiscrétion. Dans ce cas, prenons que je n’ai rien dit.

– Monseigneur, on ne m’a pas recommandé le secret. Ce sont MM. de La Mole et de Coconnas.

– Ah! c’est vrai, je les ai vu arrêter, ces pauvres gentilshommes; et comment supportent-ils ce malheur?

– D’une façon tout opposée, l’un est gai, l’autre est triste; l’un chante, l’autre gémit.

– Et lequel gémit?

– M. de La Mole, Sire.

– Ma foi, dit Henri, je comprends plutôt celui qui gémit que celui qui chante. D’après ce que j’en vois, la prison n’est pas une chose bien gaie. Et à quel étage sont-ils logés?

– Tout en haut, au quatrième. Henri poussa un soupir. C’est là qu’il eût voulu être.

– Allons, monsieur de Beaulieu, dit Henri, ayez la bonté de m’indiquer ma chambre, j’ai hâte de m’y voir, étant très fatigué de la journée que je viens de passer.

– Voici Monseigneur, dit Beaulieu, montrant à Henri une porte tout ouverte.

– Numéro 2, dit Henri; et pourquoi pas le numéro 1?

– Parce qu’il est retenu, Monseigneur.

– Ah! ah! il paraît alors que vous attendez un prisonnier de meilleure noblesse que moi?

– Je n’ai pas dit, Monseigneur, que ce fût un prisonnier.

– Et qui est-ce donc?

– Que Monseigneur n’insiste point, car je serais forcé de manquer, en gardant le silence, à l’obéissance que je lui dois.

– Ah! c’est autre chose, dit Henri. Et il devint plus pensif encore qu’il n’était; ce numéro 1 l’intriguait visiblement. Au reste, le gouverneur ne démentit pas sa politesse première. Avec mille précautions oratoires il installa Henri dans sa chambre, lui fit toutes ses excuses des commodités qui pouvaient lui manquer, plaça deux soldats à sa porte et sortit.

– Maintenant, dit le gouverneur s’adressant au guichetier, passons aux autres.

Le guichetier marcha devant. On reprit le même chemin qu’on venait de faire, on traversa la salle de la question, on franchit le corridor, on arriva à l’escalier; et toujours suivant son guide, M. de Beaulieu monta trois étages.

En arrivant au haut de ces trois étages, qui, y compris le premier, en faisaient quatre, le guichetier ouvrit successivement trois portes ornées chacune de deux serrures et de trois énormes verrous.

Il touchait à peine à la troisième porte que l’on entendit une voix joyeuse qui s’écriait:

– Eh! mordi! ouvrez donc quand ce ne serait que pour donner de l’air. Votre poêle est tellement chaud qu’on étouffe ici.

Et Coconnas, qu’à son juron favori le lecteur a déjà reconnu sans doute, ne fit qu’un bond de l’endroit où il était jusqu’à la porte.

– Un instant, mon gentilhomme, dit le guichetier, je ne viens pas pour vous faire sortir, je viens pour entrer et monsieur le gouverneur me suit.

– Monsieur le gouverneur! dit Coconnas, et que vient-il faire?

– Vous visiter.

– C’est beaucoup d’honneur qu’il me fait, répondit Coconnas; que monsieur le gouverneur soit le bienvenu.

M. de Beaulieu entra effectivement et comprima aussitôt le sourire cordial de Coconnas par une de ces politesses glaciales qui sont propres aux gouverneurs de forteresses, aux geôliers et aux bourreaux.

– Avez-vous de l’argent, monsieur? demanda-t-il au prisonnier.

– Moi, dit Coconnas, pas un écu!

– Des bijoux?

– J’ai une bague.

– Voulez-vous permettre que je vous fouille?

– Mordi! s’écria Coconnas rougissant de colère, bien vous prend d’être en prison et moi aussi.

– Il faut tout souffrir pour le service du roi.

– Mais, dit le Piémontais, les honnêtes gens qui dévalisent sur le Pont-Neuf sont donc, comme vous, au service du roi? Mordi! j’étais bien injuste, monsieur, car jusqu’à présent je les avais pris pour des voleurs.

– Monsieur, je vous salue, dit Beaulieu. Geôlier, enfermez monsieur.

Le gouverneur s’en alla emportant la bague de Coconnas, laquelle était une fort belle émeraude que madame de Nevers lui avait donnée pour lui rappeler la couleur de ses yeux.

– À l’autre, dit-il en sortant. On traversa une chambre vide, et le jeu des trois portes, des six serrures et des neuf verrous recommença. La dernière porte s’ouvrit, et un soupir fut le premier bruit qui frappa les visiteurs. La chambre était plus lugubre encore d’aspect que celle d’où M. de Beaulieu venait de sortir. Quatre meurtrières longues et étroites qui allaient en diminuant de l’intérieur à l’extérieur éclairaient faiblement ce triste séjour. De plus des barreaux de fer croisés avec assez d’art pour que la vue fût sans cesse arrêtée par une ligne opaque, empêchaient que par les meurtrières le prisonnier pût même voir le ciel. Des filets ogiviques partaient de chaque angle de la salle et allaient se réunir au milieu du plafond, où ils s’épanouissaient en rosace. La Mole était assis dans un coin, et malgré la visite et les visiteurs, il resta comme s’il n’eût rien entendu.

Le gouverneur s’arrêta sur le seuil et regarda un instant le prisonnier, qui demeurait immobile, la tête dans ses mains.

– Bonsoir, monsieur de la Mole, dit Beaulieu. Le jeune homme leva lentement la tête.

– Bonsoir, monsieur, dit-il.

– Monsieur, continua le gouverneur, je viens vous fouiller.

– C’est inutile, dit La Mole, je vais vous remettre tout ce que j’ai.

– Qu’avez-vous?

– Trois cents écus environ, ces bijoux, ces bagues.

– Donnez, monsieur, dit le gouverneur.

– Voici.

La Mole retourna ses poches, dégarnit ses doigts, et arracha l’agrafe de son chapeau.

– N’avez-vous rien de plus?

– Non pas que je sache.

– Et ce cordon de soie serré à votre cou, que porte-t-il? demanda le gouverneur.

– Monsieur, ce n’est pas un joyau, c’est une relique.

– Donnez.

– Comment! vous exigez?…