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– Qu’avez-vous, Sire? demanda René d’une voix épouvantée.

– Rien, dit Charles; seulement j’ai soif, donnez-moi à boire.

René emplit un verre d’eau et le présenta d’une main tremblante à Charles, qui l’avala d’un seul trait.

– Maintenant, dit Charles, prenant une plume et la trempant dans l’encre, écrivez sur ce livre.

– Que faut-il que j’écrive?

– Ce que je vais vous dicter:

«Ce manuel de chasse au vol a été donné par moi à la reine mère Catherine de Médicis.»

René prit la plume et écrivit.

– Et maintenant signez. Le Florentin signa.

– Vous m’avez promis la vie sauve, dit le parfumeur.

– Et, de mon côté, je vous tiendrai parole.

– Mais, dit René, du côté de la reine mère?

– Oh! de ce côté, dit Charles, cela ne me regarde plus: si l’on vous attaque, défendez-vous.

– Sire, puis-je quitter la France quand je croirai ma vie menacée?

– Je vous répondrai à cela dans quinze jours.

– Mais en attendant…

Charles posa, en fronçant le sourcil, son doigt sur ses lèvres livides.

– Oh! soyez tranquille, Sire. Et, trop heureux d’en être quitte à si bon marché, le Florentin s’inclina et sortit. Derrière lui, la nourrice apparut à la porte de sa chambre.

– Qu’y a-t-il donc, mon Charlot? dit-elle.

– Nourrice, il y a que j’ai marché dans la rosée, et que cela m’a fait mal.

– En effet, tu es bien pâle, mon Charlot.

– C’est que je suis bien faible. Donne-moi le bras, nourrice, pour aller jusqu’à mon lit.

La nourrice s’avança vivement. Charles s’appuya sur elle et gagna sa chambre.

– Maintenant, dit Charles, je me mettrai au lit tout seul.

– Et si maître Ambroise Paré vient?

– Tu lui diras que je vais mieux et que je n’ai plus besoin de lui.

– Mais, en attendant, que prendras-tu?

– Oh! une médecine bien simple, dit Charles, des blancs d’œufs battus dans du lait. À propos, nourrice, continua-t-il, ce pauvre Actéon est mort. Il faudra, demain matin, le faire enterrer dans un coin du jardin du Louvre. C’était un de mes meilleurs amis… Je lui ferai faire un tombeau… Si j’en ai le temps.

XXIII Le bois de Vincennes

Ainsi que l’ordre en avait été donné par Charles IX, Henri fut conduit le même soir au bois de Vincennes. C’est ainsi qu’on appelait à cette époque le fameux château dont il ne reste plus aujourd’hui qu’un débris, fragment colossal qui suffit à donner une idée de sa grandeur passée.

Le voyage se fit en litière. Quatre gardes marchaient de chaque côté. M. de Nancey, porteur de l’ordre qui devait ouvrir à Henri les portes de la prison protectrice, marchait le premier.

À la poterne du donjon, on s’arrêta. M. de Nancey descendit de cheval, ouvrit la portière fermée à cadenas, et invita respectueusement le roi à descendre.

Henri obéit sans faire la moindre observation. Toute demeure lui semblait plus sûre que le Louvre, et dix portes se fermant sur lui se fermaient en même temps entre lui et Catherine de Médicis.

Le prisonnier royal traversa le pont-levis entre deux soldats, franchit les trois portes du bas du donjon et les trois portes du bas de l’escalier; puis, toujours précédé de M. de Nancey, il monta un étage. Arrivé là, le capitaine des gardes, voyant qu’il s’apprêtait encore à monter, lui dit:

– Monseigneur, arrêtez-vous là.

– Ah! ah! ah! dit Henri en s’arrêtant, il paraît qu’on me fait les honneurs du premier étage.

– Sire, répondit M. de Nancey, on vous traite en tête couronnée.

– Diable! diable! se dit Henri, deux ou trois étages de plus ne m’auraient aucunement humilié. Je serai trop bien ici: on se doutera de quelque chose.

– Votre Majesté veut-elle me suivre? dit M. de Nancey.

– Ventre-saint-gris! dit le roi de Navarre, vous savez bien, monsieur, qu’il ne s’agit point ici de ce que je veux ou de ce que je ne veux pas, mais de ce qu’ordonne mon frère Charles. Ordonne-t-il de vous suivre?

– Oui, Sire.

– En ce cas, je vous suis, monsieur. On s’engagea dans une espèce de corridor à l’extrémité duquel on se trouva dans une salle assez vaste, aux murs sombres et d’un aspect parfaitement lugubre.

Henri regarda autour de lui avec un regard qui n’était pas exempt d’inquiétude.

– Où sommes-nous? dit-il.

– Nous traversons la salle de la question, Monseigneur.

– Ah! ah! fit le roi. Et il regarda plus attentivement. Il y avait un peu de tout dans cette chambre: des brocs et des chevalets pour la question de l’eau, des coins et des maillets pour la question des brodequins; en outre, des sièges de pierre destinés aux malheureux qui attendaient la torture faisaient à peu près le tour de la salle, et au-dessus de ces sièges, à ces sièges eux-mêmes, au pied de ces sièges, étaient des anneaux de fer scellés dans le mur sans autre symétrie que celle de l’art tortionnaire. Mais leur proximité des sièges indiquait assez qu’ils étaient là pour attendre les membres de ceux qui seraient assis.

Henri continua son chemin sans dire une parole, mais ne perdant pas un détail de tout cet appareil hideux qui écrivait, pour ainsi dire, l’histoire de la douleur sur les murailles.

Cette attention à regarder autour de lui fit que Henri ne regarda point à ses pieds et trébucha.

– Eh! dit-il, qu’est-ce donc que cela?

Et il montrait une espèce de sillon creusé sur la dalle humide qui faisait le plancher.

– C’est la gouttière, Sire.

– Il pleut donc, ici?

– Oui, Sire, du sang.

– Ah! ah! dit Henri, fort bien. Est-ce que nous n’arriverons pas bientôt à ma chambre?

– Si fait, Monseigneur, nous y sommes, dit une ombre qui se dessinait dans l’obscurité et qui devenait, à mesure qu’on s’approchait d’elle, plus visible et plus palpable.

Henri, qui croyait avoir reconnu la voix, fit quelques pas et reconnut la figure.

– Tiens! c’est vous, Beaulieu, dit-il, et que diable faites-vous ici?

– Sire, je viens de recevoir ma nomination au gouvernement de la forteresse de Vincennes.