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– Sire, dit Henri, Votre Majesté aurait dû faire venir un médecin; son indisposition d’aujourd’hui est peut-être plus grave qu’elle ne pense.

– J’ai fait prévenir maître Ambroise Paré, Henriot.

– Alors, je m’éloigne plus tranquille.

– Sur mon âme, dit le roi, je crois que de toute ma famille tu es le seul qui m’aime véritablement.

– Est-ce bien votre opinion, Sire?

– Foi de gentilhomme!

– Eh bien, recommandez-moi à M. de Nancey comme un homme à qui votre colère ne donne pas un mois à vivre: c’est le moyen que je vous aime longtemps.

– Monsieur de Nancey! cria Charles. Le capitaine des gardes entra.

– Je remets le plus grand coupable du royaume entre vos mains, continua le roi, vous m’en répondez sur votre tête.

Et Henri, la mine consternée, sortit derrière M. de Nancey.

XXII Actéon

Charles, resté seul, s’étonna de n’avoir pas vu paraître l’un ou l’autre de ses deux fidèles; ses deux fidèles étaient sa nourrice Madeleine et son lévrier Actéon.

– La nourrice sera allée chanter ses psaumes chez quelque huguenot de sa connaissance, se dit-il, et Actéon me boude encore du coup de fouet que je lui ai donné ce matin.

En effet, Charles prit une bougie et passa chez la bonne femme. La bonne femme n’était pas chez elle. Une porte de l’appartement de Madeleine donnait, on se le rappelle, dans le cabinet des Armes. Il s’approcha de cette porte.

Mais, dans le trajet, une de ces crises qu’il avait déjà éprouvées, et qui semblaient s’abattre sur lui tout à coup, le reprit. Le roi souffrait comme si l’on eût fouillé ses entrailles avec un fer rouge. Une soif inextinguible le dévorait; il vit une tasse de lait sur une table, l’avala d’un trait, et se sentit un peu calmé.

Alors il reprit la bougie qu’il avait posée sur un meuble, et entra dans le cabinet.

À son grand étonnement, Actéon ne vint pas au-devant de lui. L’avait-on enfermé? En ce cas, il sentirait que son maître est revenu de la chasse, et hurlerait.

Charles appela, siffla; rien ne parut.

Il fit quatre pas en avant; et, comme la lumière de la bougie parvenait jusqu’à l’angle du cabinet, il aperçut dans cet angle une masse inerte étendue sur le carreau.

– Holà! Actéon; holà! dit Charles. Et il siffla de nouveau. Le chien ne bougea point. Charles courut à lui et le toucha; le pauvre animal était raide et froid. De sa gueule, contractée par la douleur, quelques gouttes de fiel étaient tombées, mêlées à une bave écumeuse et sanglante. Le chien avait trouvé dans le cabinet une barrette de son maître, et il avait voulu mourir en appuyant sa tête sur cet objet qui lui représentait un ami.

À ce spectacle qui lui fit oublier ses propres douleurs et lui rendit toute son énergie, la colère bouillonna dans les veines de Charles, il voulut crier; mais enchaînés qu’ils sont dans leurs grandeurs, les rois ne sont pas libres de ce premier mouvement que tout homme fait tourner au profit de sa passion ou de sa défense. Charles réfléchit qu’il y avait là quelque trahison, et se tut.

Alors il s’agenouilla devant son chien et examina le cadavre d’un œil expert. L’œil était vitreux, la langue rouge et criblée de pustules. C’était une étrange maladie, et qui fit frissonner Charles.

Le roi remit ses gants, qu’il avait ôtés et passés à sa ceinture, souleva la lèvre livide du chien pour examiner les dents, et aperçut dans les interstices quelques fragments blanchâtres accrochés aux pointes des crocs aigus.

Il détacha ces fragments, et reconnut que c’était du papier.

Près de ce papier l’enflure était plus violente, les gencives étaient tuméfiées, et la peau était rongée comme par du vitriol.

Charles regarda attentivement autour de lui. Sur le tapis gisaient deux ou trois parcelles de papier semblable à celui qu’il avait déjà reconnu dans la bouche du chien. L’une de ces parcelles, plus large que les autres, offrait des traces d’un dessin sur bois.

Les cheveux de Charles se hérissèrent sur sa tête, il reconnut un fragment de cette image représentant un seigneur chassant au vol, et qu’Actéon avait arrachée de son livre de chasse.

– Ah! dit-il en pâlissant, le livre était empoisonné. Puis tout à coup rappelant ses souvenirs:

– Mille démons! s’écria-t-il, j’ai touché chaque page de mon doigt, et à chaque page j’ai porté mon doigt à ma bouche pour le mouiller. Ces évanouissements, ces douleurs, ces vomissements!… Je suis mort!

Charles demeura un instant immobile sous le poids de cette effroyable idée. Puis, se relevant avec un rugissement sourd, il s’élança vers la porte de son cabinet.

– Maître René! cria-t-il, maître René le Florentin! qu’on coure au pont Saint-Michel, et qu’on me l’amène; dans dix minutes il faut qu’il soit ici. Que l’un de vous monte à cheval et prenne un cheval de main pour être plus tôt de retour. Quant à maître Ambroise Paré, s’il vient, vous le ferez attendre.

Un garde partit tout courant pour obéir à l’ordre donné.

– Oh! murmura Charles, quand je devrais faire donner la torture à tout le monde, je saurai qui a donné ce livre à Henriot.

Et, la sueur au front, les mains crispées, la poitrine haletante, Charles demeura les yeux fixés sur le cadavre de son chien.

Dix minutes après, le Florentin heurta timidement, et non sans inquiétude, à la porte du roi. Il est de certaines consciences pour lesquelles le ciel n’est jamais pur.

– Entrez! dit Charles.

Le parfumeur parut. Charles marcha à lui l’air impérieux et la lèvre crispée.

– Votre Majesté m’a fait demander, dit René tout tremblant.

– Vous êtes habile chimiste, n’est-ce pas?

– Sire…

– Et vous savez tout ce que savent les plus habiles médecins?

– Votre Majesté exagère.

– Non, ma mère me l’a dit. D’ailleurs, j’ai confiance en vous, et j’ai mieux aimé vous consulter, vous, que tout autre. Tenez, continua-t-il en démasquant le cadavre du chien, regardez, je vous prie, ce que cet animal a entre les dents, et dites-moi de quoi il est mort.

Pendant que René, la bougie à la main, se baissait jusqu’à terre, autant pour dissimuler son émotion que pour obéir au roi, Charles, debout, les yeux fixés sur cet homme, attendait avec une impatience facile à comprendre la parole qui devait être sa sentence de mort ou son gage de salut.

René tira une espèce de scalpel de sa poche, l’ouvrit, et, du bout de la pointe, détacha de la gueule du lévrier les parcelles de papier adhérentes à ses gencives, et regarda longtemps et avec attention le fiel et le sang que distillait chaque plaie.