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– J’ai ordre de ne vous laisser que vos vêtements, et une relique n’est point un vêtement.

La Mole fit un mouvement de colère, qui, au milieu du calme douloureux et digne qui le distinguait, parut plus effrayant encore à ces gens habitués aux rudes émotions.

Mais il se remit presque aussitôt.

– C’est bien, monsieur, dit-il, et vous allez voir ce que vous demandez.

Alors se détournant comme pour s’approcher de la lumière, il détacha la prétendue relique, laquelle n’était autre qu’un médaillon contenant un portrait qu’il tira du médaillon et qu’il porta à ses lèvres. Mais après l’avoir baisé à plusieurs reprises, il feignit de le laisser tomber; et appuyant violemment dessus le talon de sa botte, il l’écrasa en mille morceaux.

– Monsieur!… dit le gouverneur. Et il se baissa pour voir s’il ne pourrait pas sauver de la destruction l’objet inconnu que La Mole voulait lui dérober; mais la miniature était littéralement en poussière.

– Le roi voulait avoir ce joyau, dit La Mole, mais il n’avait aucun droit sur le portrait qu’il renfermait. Maintenant voici le médaillon, vous le pouvez prendre.

– Monsieur, dit Beaulieu, je me plaindrai au roi. Et sans prendre congé du prisonnier par une seule parole, il se retira si courroucé, qu’il laissa au guichetier le soin de fermer les portes sans présider à leur fermeture. Le geôlier fit quelques pas pour sortir, et voyant que M. de Beaulieu descendait déjà les premières marches de l’escalier:

– Ma foi! monsieur, dit-il en se retournant, bien m’en a pris de vous inviter à me donner tout de suite les cent écus moyennant lesquels je consens à vous laisser parler à votre compagnon; car si vous ne les aviez pas donnés, le gouvernement vous les eût pris avec les trois cents autres, et ma conscience ne me permettrait plus de rien faire pour vous; mais j’ai été payé d’avance, je vous ai promis que vous verriez votre camarade… venez… un honnête homme n’a que sa parole… Seulement si cela est possible, autant pour vous que pour moi, ne causez pas politique.

La Mole sortit de sa chambre et se trouva en face de Coconnas qui arpentait les dalles de la chambre du milieu. Les deux amis se jetèrent dans les bras l’un de l’autre.

Le guichetier fit semblant de s’essuyer le coin de l’œil et sortit pour veiller à ce qu’on ne surprit pas les prisonniers, ou plutôt à ce qu’on ne le surprît pas lui-même.

– Ah! te voilà, dit Coconnas; eh bien, cet affreux gouverneur t’a fait sa visite?

– Comme à toi, je présume.

– Et il t’a tout pris?

– Comme à toi aussi.

– Oh! moi, je n’avais pas grand-chose, une bague de Henriette, voilà tout.

– Et de l’argent comptant?

– J’avais donné tout ce que je possédais à ce brave homme de guichetier pour qu’il nous procurât cette entrevue.

– Ah! ah! dit La Mole, il paraît qu’il reçoit des deux mains.

– Tu l’as donc payé aussi, toi?

– Je lui ai donné cent écus.

– Tant mieux que notre guichetier soit un misérable!

– Sans doute, on en fera tout ce qu’on voudra avec de l’argent, et, il faut l’espérer, l’argent ne nous manquera point.

– Maintenant, comprends-tu ce qui nous arrive?

– Parfaitement… Nous avons été trahis.

– Par cet exécrable duc d’Alençon. J’avais bien raison de vouloir lui tordre le cou, moi.

– Et crois-tu que notre affaire est grave?

– J’en ai peur.

– Ainsi, il y a à craindre… la question.

– Je ne te cache pas que j’y ai déjà songé.

– Que diras-tu si on en vient là?

– Et toi?

– Moi, je garderai le silence, répondit La Mole avec une rougeur fébrile.

– Tu te tairas? s’écria Coconnas.

– Oui, si j’en ai la force.

– Eh bien, moi, dit Coconnas, si on me fait cette infamie, je te garantis que je dirai bien des choses.

– Mais quelles choses? demanda vivement La Mole.

– Oh! sois tranquille, de ces choses qui empêcheront pendant quelque temps M. d’Alençon de dormir.

La Mole allait répliquer, lorsque le geôlier, qui sans doute avait entendu quelque bruit, accourut, poussa chacun des deux amis dans sa chambre et referma la porte sur lui.

XXIV La figure de cire

Depuis huit jours, Charles était cloué dans son lit par une fièvre de langueur entrecoupée par des accès violents qui ressemblaient à des attaques d’épilepsie. Pendant ces accès, il poussait parfois des hurlements qu’écoutaient avec effroi les gardes qui veillaient dans son antichambre, et que répétaient dans leurs profondeurs les échos du vieux Louvre, éveillés depuis quelque temps par tant de bruits sinistres. Puis, ces accès passés, écrasé de fatigue, l’œil éteint, il se laissait aller aux bras de sa nourrice avec des silences qui tenaient à la fois du mépris et de la terreur.

Dire ce que, chacun de son côté, sans se communiquer leurs sensations, car la mère et son fils se fuyaient plutôt qu’ils ne se cherchaient; dire ce que Catherine de Médicis et le duc d’Alençon remuaient de pensées sinistres au fond de leur cœur, ce serait vouloir peindre ce fourmillement hideux qu’on voit grouiller au fond d’un nid de vipères.

Henri avait été enfermé dans sa chambre; et, sur sa propre recommandation à Charles, personne n’avait obtenu la permission de le voir, pas même Marguerite. C’était aux yeux de tous une disgrâce complète. Catherine et d’Alençon respiraient, le croyant perdu, et Henri buvait et mangeait plus tranquillement, s’espérant oublié.

À la cour nul ne soupçonnait la cause de la maladie du roi. Maître Ambroise Paré et Mazille, son collègue, avaient reconnu une inflammation d’estomac, se trompant de la cause au résultat, voilà tout. Ils avaient, en conséquence, prescrit un régime adoucissant qui ne pouvait qu’aider au breuvage particulier indiqué par René, que Charles recevait trois fois par jour de la main de sa nourrice, et qui faisait sa principale nourriture.

La Mole et Coconnas étaient à Vincennes, au secret le plus rigoureux. Marguerite et madame de Nevers avaient fait dix tentatives pour arriver jusqu’à eux, ou tout au moins pour leur faire passer un billet, et n’y étaient point parvenues.

Un matin, au milieu des éternelles alternatives de bien et de mal qu’il éprouvait, Charles se sentit un peu mieux, et voulut qu’on laissât entrer toute la cour qui, comme d’habitude, quoique le lever n’eût plus lieu, se présentait tous les matins. Les portes furent donc ouvertes, et l’on put reconnaître, à la pâleur de ses joues, au jaunissement de son front d’ivoire, à la flamme fébrile qui jaillissait de ses yeux caves et entourés d’un cercle de bistre, quels effroyables ravages avait faits sur le jeune monarque la maladie inconnue dont il était atteint.