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– Margot, je n’ai pas trois mois à vivre, dit Charles.

– Vous, mon frère! Toi, mon Charles! s’écria-t-elle.

– Margot, je suis empoisonné. Marguerite jeta un cri.

– Tais-toi donc, dit Charles; il faut qu’on croie que je meurs par magie.

– Et vous connaissez le coupable?

– Je le connais.

– Vous avez dit que ce n’est pas La Mole?

– Non, ce n’est pas lui.

– Ce n’est pas Henri non plus, certainement… Grand Dieu! serait-ce…?

– Qui?

– Mon frère… d’Alençon?… murmura Marguerite.

– Peut-être.

– Ou bien, ou bien… (Marguerite baissa la voix comme épouvantée elle même de ce qu’elle allait dire.) ou bien… notre mère?

Charles se tut. Marguerite le regarda, lut dans son regard tout ce qu’elle y cherchait, et tomba toujours à genoux et demi-renversée sur un fauteuil.

– Oh! mon Dieu! mon Dieu! murmura-t-elle, c’est impossible!

– Impossible! dit Charles avec un rire strident; il est fâcheux que René ne soit pas ici, il te raconterait mon histoire.

– Lui, René?

– Oui. Il te raconterait, par exemple, qu’une femme à laquelle il n’ose rien refuser a été lui demander un livre de chasse enfoui dans sa bibliothèque; qu’un poison subtil a été versé sur chaque page de ce livre; que le poison, destiné à quelqu’un, je ne sais à qui, est tombé par un caprice du hasard, ou par un châtiment du ciel, sur une autre personne que celle à qui il était destiné. Mais en l’absence de René, si tu veux voir le livre, il est là, dans mon cabinet, et, écrit de la main du Florentin, tu verras que ce livre, qui contient dans ses feuilles la mort de vingt personnes encore, a été donné de sa main à sa compatriote.

– Silence, Charles, à ton tour, silence! dit Marguerite.

– Tu vois bien maintenant qu’il faut qu’on croie que je meurs par magie.

– Mais c’est inique, mais c’est affreux! grâce! grâce! vous savez bien qu’il est innocent.

– Oui, je le sais, mais il faut qu’on le croie coupable. Souffre donc la mort de ton amant; c’est peu pour sauver l’honneur de la maison de France. Je souffre bien la mort pour que le secret meure avec moi.

Marguerite courba la tête, comprenant qu’il n’y avait rien à faire pour sauver La Mole du côté du roi, et se retira toute pleurante et n’ayant plus d’espoir qu’en ses propres ressources.

Pendant ce temps, comme l’avait prévu Charles, Catherine ne perdait pas une minute, et elle écrivait au procureur général Laguesle une lettre dont l’histoire a conservé jusqu’au dernier mot, et qui jette sur toute cette affaire de sanglantes lueurs:

«Monsieur le procureur, ce soir on me dit pour certain que La Mole a fait le sacrilège. En son logis à Paris, on a trouvé beaucoup de méchantes choses, comme des livres et des papiers. Je vous prie d’appeler le premier président et d’instruire au plus vite l’affaire de la figure de cire à laquelle ils ont donné un coup au cœur, et ce, contre le roi [6].

» CATHERINE.»

XXV Les boucliers invisibles

Le lendemain du jour où Catherine avait écrit la lettre qu’on vient de lire, le gouverneur entra chez Coconnas avec un appareil des plus imposants: il se composait de deux hallebardiers et de quatre robes noires.

Coconnas était invité à descendre dans une salle où le procureur Laguesle et deux juges l’attendaient pour l’interroger selon les instructions de Catherine.

Pendant les huit jours qu’il avait passés en prison, Coconnas avait beaucoup réfléchi; sans compter que chaque jour La Mole et lui, réunis un instant pour les soins de leur geôlier qui, sans leur rien dire, leur avait fait cette surprise que selon toute probabilité ils ne devaient pas à sa seule philanthropie; sans compter, disons-nous, que La Mole et lui s’étaient recordés sur la conduite qu’ils avaient à tenir et qui était une négation absolue, il était donc persuadé qu’avec un peu d’adresse son affaire prendrait la meilleure tournure, les charges n’étaient pas plus fortes pour eux que pour les autres. Henri et Marguerite n’avaient fait aucune tentative de fuite, ils ne pouvaient donc être compromis dans une affaire où les principaux coupables étaient libres. Coconnas ignorait que Henri habitât le même château que lui, et la complaisance de son geôlier lui apprenait qu’au-dessus de sa tête planaient des protections qu’il appelait ses boucliers invisibles.

Jusque-là, les interrogatoires avaient porté sur les desseins du roi de Navarre, sur les projets de fuite et sur la part que les deux amis devaient prendre à cette fuite. À tous ces interrogatoires, Coconnas avait constamment répondu d’une façon plus que vague et beaucoup plus qu’adroite; il s’apprêtait encore à répondre de la même façon, et d’avance il avait préparé toutes ses petites reparties, lorsqu’il s’aperçut tout à coup que l’interrogatoire avait changé d’objet.

Il s’agissait d’une ou de plusieurs visites faites à René, d’une ou de plusieurs figures de cire faites à l’instigation de La Mole.

Coconnas, tout préparé qu’il était, crut remarquer que l’accusation perdait beaucoup de son intensité, puisqu’il ne s’agissait plus, au lieu d’avoir trahi un roi, que d’avoir fait une statue de reine; encore cette statue était-elle haute de huit à dix pouces tout au plus.

Il répondit donc fort gaiement que ni lui ni son ami ne jouaient plus depuis longtemps à la poupée, et remarqua avec plaisir que plusieurs fois ses réponses avaient eu le privilège de faire sourire ses juges.

On n’avait pas encore dit en vers: j’ai ri, me voilà désarmé; mais cela s’était déjà beaucoup dit en prose. Et Coconnas crut avoir à moitié désarmé ses juges parce qu’ils avaient souri.

Son interrogatoire terminé, il remonta donc dans sa chambre si chantant, si bruyant, que La Mole, pour qui il faisait tout ce tapage, dut en tirer les plus heureuses conséquences.

On le fit descendre à son tour. La Mole, comme Coconnas, vit avec étonnement l’accusation abandonner sa première voie et entrer dans une voie nouvelle. On l’interrogea sur ses visites à René. Il répondit qu’il avait été chez le Florentin une fois seulement. On lui demanda si cette fois il ne lui avait pas commandé une figure de cire. Il répondit que René lui avait montré cette figure toute faite. On lui demanda si cette figure ne représentait pas un homme. Il répondit qu’elle représentait une femme. On lui demanda si le charme n’avait point pour but de faire mourir cet homme. Il répondit que le but de ce charme était de se faire aimer de cette femme.

Ces questions furent faites, tournées et retournées de cent façons différentes; mais à toutes ces questions, sous quelque face qu’elles lui fussent présentées, La Mole fit constamment les mêmes réponses.