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– Un an! s’écria René, un an à peine, et cet homme sera mort, et une femme pleurera seule sur lui. Mais non, là-bas, au bout de la lame, une autre femme encore, qui tient comme un enfant dans ses bras.

Catherine regarda son fils, et, toute mère qu’elle était, sembla lui demander quelles étaient ces deux femmes.

Mais René achevait à peine, que la plaque d’acier redevint blanche; tout s’y était graduellement effacé.

Alors Catherine ouvrit le livre au hasard, et lut, d’une voix dont, malgré toute sa force, elle ne pouvait cacher l’altération, le distique suivant:

Ains a peri cil que l’on redoutoit, Plus tôt, trop tôt, si prudence n’étoit.

Un profond silence régna quelque temps autour du brasier.

– Et pour celui que tu sais, demanda Catherine, quels sont les signes de ce mois?

– Florissant comme toujours, madame. À moins de vaincre le destin par une lutte de dieu à dieu, l’avenir est bien certainement à cet homme. Cependant…

– Cependant, quoi?

– Une des étoiles qui composent sa pléiade est restée pendant le temps de mes observations couverte d’un nuage noir.

– Ah! s’écria Catherine, un nuage noir… Il y aurait donc quelque espérance?

– De qui parlez-vous, madame? demanda le duc d’Anjou. Catherine emmena son fils loin de la lueur du brasier et lui parla à voix basse. Pendant ce temps René s’agenouillait, et à la clarté de la flamme, versant dans sa main une dernière goutte de sang demeurée au fond de la fiole:

– Bizarre contradiction, disait-il, et qui prouve combien peu sont solides les témoignages de la science simple que pratiquent les hommes vulgaires! Pour tout autre que moi, pour un médecin, pour un savant, pour maître Ambroise Paré lui-même, voilà un sang si pur, si fécond, si plein de mordant et de sucs animaux, qu’il promet de longues années au corps dont il est sorti; et cependant toute cette vigueur doit disparaître bientôt, toute cette vie doit s’éteindre avant un an!

Catherine et Henri d’Anjou s’étaient retournés et écoutaient. Les yeux du prince brillaient à travers son masque.

– Ah! continua René, c’est qu’aux savants ordinaires le présent seul appartient; tandis qu’à nous appartiennent le passé et l’avenir.

– Ainsi donc, continua Catherine, vous persistez à croire qu’il mourra avant une année?

– Aussi certainement que nous sommes ici trois personnes vivantes qui un jour reposeront à leur tour dans le cercueil.

– Cependant vous disiez que le sang était pur et fécond, vous disiez que ce sang promettait une longue vie?

– Oui, si les choses suivaient leur cours naturel. Mais n’est-il pas possible qu’un accident…

– Ah! oui, vous entendez, dit Catherine à Henri, un accident…

– Hélas! dit celui-ci, raison de plus pour demeurer.

– Oh! quant à cela, n’y songez plus, c’est chose impossible. Alors se retournant vers René:

– Merci, dit le jeune homme en déguisant le timbre de sa voix, merci; prends cette bourse.

– Venez, comte, dit Catherine, donnant à dessein à son fils un titre qui devait dérouter les conjectures de René. Et ils partirent.

– Oh! ma mère, vous voyez, dit Henri, un accident!… et si cet accident-là arrive, je ne serai point là; je serai à quatre cents lieues de vous…

– Quatre cents lieues se font en huit jours, mon fils.

– Oui; mais sait-on si ces gens-là me laisseront revenir? Que ne puis-je attendre, ma mère!…

– Qui sait? dit Catherine; cet accident dont parle René n’est-il pas celui qui, depuis hier, couche le roi sur un lit de douleur? Écoutez, rentrez de votre côté, mon enfant; moi, je vais passer par la petite porte du cloître des Augustines, ma suite m’attend dans ce couvent. Allez, Henri, allez, et gardez-vous d’irriter votre frère, si vous le voyez.

XI Les confidences

La première chose qu’apprit le duc d’Anjou en arrivant au Louvre, c’est que l’entrée solennelle des ambassadeurs était fixée au cinquième jour. Les tailleurs et les joailliers attendaient le prince avec de magnifiques habits et de superbes parures que le roi avait commandés pour lui.

Pendant qu’il les essayait avec une colère qui mouillait ses yeux de larmes, Henri de Navarre s’égayait fort d’un magnifique collier d’émeraudes, d’une épée à poignée d’or et d’une bague précieuse que Charles lui avait envoyés le matin même.

D’Alençon venait de recevoir une lettre et s’était renfermé dans sa chambre pour la lire en toute liberté.

Quant à Coconnas, il demandait son ami à tous les échos du Louvre.

En effet, comme on le pense bien, Coconnas, assez peu surpris de ne pas voir rentrer La Mole de toute la nuit, avait commencé dans la matinée à concevoir quelque inquiétude: il s’était en conséquence mis à la recherche de son ami, commençant son investigation par l’hôtel de la Belle-Étoile, passant de l’hôtel de la Belle-Étoile à la rue Cloche-Percée, de la rue Cloche-Percée à la rue Tizon, de la rue Tizon au pont Saint-Michel, enfin du pont Saint-Michel au Louvre.

Cette investigation avait été faite, vis-à-vis de ceux auxquels elle s’adressait, d’une façon tantôt si originale, tantôt si exigeante, ce qui est facile à concevoir quand on connaît le caractère excentrique de Coconnas, qu’elle avait suscité entre lui et trois seigneurs de la cour des explications qui avaient fini à la mode de l’époque, c’est-à-dire sur le terrain. Coconnas avait mis à ces rencontres la conscience qu’il mettait d’ordinaire à ces sortes de choses; il avait tué le premier et blessé les deux autres, en disant:

– Ce pauvre La Mole, il savait si bien le latin!

C’était au point que le dernier, qui était le baron de Boissey, lui avait dit en tombant:

– Ah! pour l’amour du ciel, Coconnas, varie un peu, et dis au moins qu’il savait le grec.

Enfin, le bruit de l’aventure du corridor avait transpiré: Coconnas s’en était gonflé de douleur, car un instant il avait cru que tous ces rois et tous ces princes lui avaient tué son ami, et l’avaient jeté dans quelque oubliette.

Il apprit que d’Alençon avait été de la partie, et passant par-dessus la majesté qui entourait le prince du sang, il l’alla trouver et lui demanda une explication comme il l’eût fait envers un simple gentilhomme.

D’Alençon eut d’abord bonne envie de mettre à la porte l’impertinent qui venait lui demander compte de ses actions; mais Coconnas parlait d’un ton de voix si bref, ses yeux flamboyaient d’un tel éclat, l’aventure des trois duels en moins de vingt-quatre heures avait placé le Piémontais si haut, qu’il réfléchit, et qu’au lieu de se livrer à son premier mouvement, il répondit à son gentilhomme avec un charmant sourire: