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Et sans perdre de son flegme, Henri prit la bougie pour éclairer Marguerite dans la recherche qu’elle s’apprêtait à faire de l’échelle; la recherche ne fut pas longue, elle était enfermée dans une armoire du fameux cabinet.

– Là, c’est cela, dit Henri; maintenant, madame, si ce n’est pas trop exiger de votre complaisance, attachez, je vous prie, cette échelle au balcon.

– Pourquoi moi et non pas vous, Sire? dit Marguerite.

– Parce que les meilleurs conspirateurs sont les plus prudents. La vue d’un homme effaroucherait peut-être notre ami, vous comprenez.

Marguerite sourit et attacha l’échelle.

– Là, dit Henri en restant caché dans l’angle de l’appartement, montrez-vous bien; maintenant faites voir l’échelle. À merveille; je suis sûr que de Mouy va monter.

En effet, dix minutes après, un homme ivre de joie enjamba le balcon, et, voyant que la reine ne venait pas au-devant de lui, demeura quelques secondes hésitant. Mais, à défaut de Marguerite, Henri s’avança:

– Tiens, dit-il gracieusement, ce n’est point de Mouy, c’est M. de La Mole. Bonsoir, monsieur de la Mole; entrez donc, je vous prie.

La Mole demeura un instant stupéfait.

Peut-être, s’il eût été encore suspendu à son échelle au lieu d’être posé le pied ferme sur le balcon, fût-il tombé en arrière.

– Vous avez désiré parler au roi de Navarre pour affaires urgentes, dit Marguerite; je l’ai fait prévenir, et le voilà. Henri alla fermer la fenêtre.

– Je t’aime, dit Marguerite en serrant vivement la main du jeune homme.

– Eh bien, monsieur, fit Henri en présentant une chaise à La Mole, que disons-nous?

– Nous disons, Sire, répondit celui-ci, que j’ai quitté M. de Mouy à la barrière. Il désire savoir si Maurevel a parlé et si sa présence dans la chambre de Votre Majesté est connue.

– Pas encore, mais cela ne peut tarder; il faut donc nous hâter.

– Votre opinion est la sienne, Sire, et si demain, pendant la soirée, M. d’Alençon est prêt à partir, il se trouvera à la porte Saint-Marcel avec cent cinquante hommes; cinq cents vous attendront à Fontainebleau: alors vous gagnerez Blois, Angoulême et Bordeaux.

– Madame, dit Henri en se tournant vers sa femme, demain, pour mon compte, je serai prêt, le serez-vous?

Les yeux de La Mole se fixèrent sur ceux de Marguerite avec une profonde anxiété.

– Vous avez ma parole, dit la reine, partout où vous irez, je vous suis; mais vous le savez, il faut que M. d’Alençon parte en même temps que nous. Pas de milieu avec lui, il nous sert ou il nous trahit; s’il hésite, ne bougeons pas.

– Sait-il quelque chose de ce projet, monsieur de la Mole? demanda Henri.

– Il a dû, il y a quelques jours, recevoir une lettre de M. de Mouy.

– Ah! ah! dit Henri, et il ne m’a parlé de rien!

– Défiez-vous, monsieur, dit Marguerite, défiez-vous.

– Soyez tranquille, je suis sur mes gardes. Comment faire tenir une réponse à M. de Mouy?

– Ne vous inquiétez de rien, Sire. À droite ou à gauche de Votre Majesté, visible ou invisible, demain, pendant la réception des ambassadeurs, il sera là: un mot dans le discours de la reine qui lui fasse comprendre si vous consentez ou non, s’il doit fuir ou vous attendre. Si le duc d’Alençon refuse, il ne demande que quinze jours pour tout réorganiser en votre nom.

– En vérité, dit Henri, de Mouy est un homme précieux. Pouvez-vous intercaler dans votre discours la phrase attendue, madame?

– Rien de plus facile, répondit Marguerite.

– Alors, dit Henri, je verrai demain M. d’Alençon; que de Mouy soit à son poste et comprenne à demi-mot.

– Il y sera, Sire.

– Eh bien, monsieur de la Mole, dit Henri, allez lui porter ma réponse. Vous avez sans doute dans les environs un cheval, un serviteur?

– Orthon est là qui m’attend sur le quai.

– Allez le rejoindre, monsieur le comte. Oh! non point par la fenêtre; c’est bon dans les occasions extrêmes. Vous pourriez être vu, et comme on ne saurait pas que c’est pour moi que vous vous exposez ainsi, vous compromettriez la reine.

– Mais par où, Sire?

– Si vous ne pouvez pas entrer seul au Louvre, vous en pouvez sortir avec moi, qui ai le mot d’ordre. Vous avez votre manteau, j’ai le mien; nous nous envelopperons tous deux, et nous traverserons le guichet sans difficulté. D’ailleurs, je serai aise de donner quelques ordres particuliers à Orthon. Attendez ici, je vais voir s’il n’y a personne dans les corridors.

Henri, de l’air du monde le plus naturel, sortit pour aller explorer le chemin. La Mole resta seul avec la reine.

– Oh! quand vous reverrai-je? dit La Mole.

– Demain soir si nous fuyons: un de ces soirs, dans la maison de la rue Cloche-Percée, si nous ne fuyons pas.

– Monsieur de la Mole, dit Henri en rentrant, vous pouvez venir, il n’y a personne. La Mole s’inclina respectueusement devant la reine.

– Donnez-lui votre main à baiser, madame, dit Henri; monsieur de La Mole n’est pas un serviteur ordinaire. Marguerite obéit.

– À propos, dit Henri, serrez l’échelle de corde avec soin; c’est un meuble précieux pour des conspirateurs; et, au moment où l’on s’y attend le moins, on peut avoir besoin de s’en servir. Venez, monsieur de la Mole, venez.

XII Les ambassadeurs

Le lendemain toute la population de Paris s’était portée vers le faubourg Saint-Antoine, par lequel il avait été décidé que les ambassadeurs polonais feraient leur entrée. Une haie de Suisses contenait la foule, et des détachements de cavaliers protégeaient la circulation des seigneurs et des dames de la cour qui se portaient au-devant du cortège.

Bientôt parut, à la hauteur de l’abbaye Saint-Antoine, une troupe de cavaliers vêtus de rouge et de jaune, avec des bonnets et des manteaux fourrés, et tenant à la main des sabres larges et recourbés comme les cimeterres des Turcs.

Les officiers marchaient sur le flanc des lignes.

Derrière cette première troupe en venait une seconde équipée avec un luxe tout à fait oriental. Elle précédait les ambassadeurs, qui, au nombre de quatre, représentaient magnifiquement le plus mythologique des royaumes chevaleresques du XVIe siècle.

L’un de ces ambassadeurs était l’évêque de Cracovie. Il portait un costume demi-pontifical, demi-guerrier, mais éblouissant d’or et de pierreries. Son cheval blanc à longs crins flottants et au pas relevé semblait souffler le feu par ses naseaux; personne n’aurait pensé que depuis un mois le noble animal faisait quinze lieues chaque jour par des chemins que le mauvais temps avait rendus presque impraticables.