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Voilà pourquoi la reine n’était pas inquiète du sort de La Mole, auquel, du reste, de peur que ses pas ne fussent épiés, elle refusait opiniâtrement tout autre rendez-vous que ces entrevues à l’espagnole, qui duraient depuis sa fuite et se renouvelaient dans la soirée de chacun des jours qui s’écoulaient dans l’attente de la réception des ambassadeurs, réception remise à quelques jours, comme on l’a vu, par les ordres exprès d’Ambroise Paré.

La veille de cette réception, vers neuf heures du soir, comme tout le monde au Louvre était préoccupé des préparatifs du lendemain, Marguerite ouvrit sa fenêtre et s’avança sur le balcon; mais à peine y fut-elle que, sans attendre la lettre de Marguerite, La Mole, plus pressé que de coutume, envoya la sienne, qui vint, avec son adresse accoutumée, tomber aux pieds de sa royale maîtresse. Marguerite comprit que la missive devait renfermer quelque chose de particulier, elle rentra pour la lire.

Le billet, sur le recto de la première page, renfermait ces mots:

«Madame, il faut que je parle au roi de Navarre. L’affaire est urgente. J’attends.»

Et sur le second recto ces mots, que l’on pouvait isoler des premiers en séparant les deux feuilles:

«Madame et ma reine, faites que je puisse vous donner un de ces baisers que je vous envoie. J’attends.»

Marguerite achevait à peine cette seconde partie de la lettre, qu’elle entendit la voix de Henri de Navarre qui, avec sa réserve habituelle, frappait à la porte commune, et demandait à Gillonne s’il pouvait entrer.

La reine divisa aussitôt la lettre, mit une des pages dans son corset, l’autre dans sa poche, courut à la fenêtre qu’elle ferma, et s’élançant vers la porte:

– Entrez, Sire, dit-elle.

Si doucement, si promptement, si habilement que Marguerite eût fermé cette fenêtre, la commotion en était arrivée jusqu’à Henri, dont les sens toujours tendus avaient, au milieu de cette société dont il se défiait si fort, presque acquis l’exquise délicatesse où ils sont portés chez l’homme vivant dans l’état sauvage. Mais le roi de Navarre n’était pas un de ces tyrans qui veulent empêcher leurs femmes de prendre l’air et de contempler les étoiles.

Henri était souriant et gracieux comme d’habitude.

– Madame, dit-il, tandis que nos gens de cour essaient leurs habits de cérémonie, je pense à venir échanger avec vous quelques mots de mes affaires, que vous continuez de regarder comme les vôtres, n’est-ce pas?

– Certainement, monsieur, répondit Marguerite, nos intérêts ne sont-ils pas toujours les mêmes?

– Oui, madame, et c’est pour cela que je voulais vous demander ce que vous pensez de l’affectation que M. le duc d’Alençon met depuis quelques jours à me fuir, à ce point que depuis avant-hier il s’est retiré à Saint-Germain. Ne serait-ce pas pour lui soit un moyen de partir seul, car il est peu surveillé, soit un moyen de ne point partir du tout? Votre avis, s’il vous plaît, madame? il sera, je vous l’avoue, d’un grand poids pour affermir le mien.

– Votre Majesté a raison de s’inquiéter du silence de mon frère. J’y ai songé aujourd’hui toute la journée, et mon avis est que, les circonstances ayant changé, il a changé avec elles.

– C’est-à-dire, n’est-ce pas, que, voyant le roi Charles malade, le duc d’Anjou roi de Pologne, il ne serait pas fâché de demeurer à Paris pour garder à vue la couronne de France?

– Justement.

– Soit. Je ne demande pas mieux, dit Henri, qu’il reste; seulement cela change tout notre plan; car il me faut, pour partir seul, trois fois les garanties que j’aurais demandées pour partir avec votre frère, dont le nom et la présence dans l’entreprise me sauvegardaient. Ce qui m’étonne seulement, c’est de ne pas entendre parler de M. de Mouy. Ce n’est point son habitude de demeurer ainsi sans bouger. N’en auriez-vous point eu des nouvelles, madame?

– Moi, Sire! dit Marguerite étonnée; et comment voulez-vous?…

– Eh! pardieu, ma mie, rien ne serait plus naturel; vous avez bien voulu, pour me faire plaisir, sauver la vie au petit La Mole… Ce garçon a dû aller à Mantes… et quand on y va, on en peut bien revenir…

– Ah! voilà qui me donne la clef d’une énigme dont je cherchais vainement le mot, répondit Marguerite. J’avais laissé la fenêtre ouverte, et j’ai trouvé, en rentrant, sur mon tapis, une espèce de billet.

– Voyez-vous cela! dit Henri.

– Un billet auquel d’abord je n’ai rien compris, et auquel je n’ai attaché aucune importance, continua Marguerite; peut-être avais-je tort et vient-il de ce côté-là.

– C’est possible, dit Henri; j’oserais même dire que c’est probable. Peut-on voir ce billet?

– Certainement, Sire, répondit Marguerite en remettant au roi celle des deux feuilles de papier qu’elle avait introduite dans sa poche.

Le roi jeta les yeux dessus.

– N’est-ce point l’écriture de M. de La Mole? dit-il.

– Je ne sais, répondit Marguerite; le caractère m’en a paru contrefait.

– N’importe, lisons, dit Henri. Et il lut: «Madame, il faut que je parle au roi de Navarre. L’affaire est urgente. J’attends.»

– Ah! oui-da!… continua Henri. Voyez-vous, il dit qu’il attend!

– Certainement je le vois…, dit Marguerite. Mais que voulez-vous?

– Eh! ventre-saint-gris, je veux qu’il vienne.

– Qu’il vienne! s’écria Marguerite en fixant sur son mari ses beaux yeux étonnés; comment pouvez-vous dire une chose pareille, Sire? Un homme que le roi a voulu tuer… qui est signalé, menacé… qu’il vienne! dites-vous; est-ce que c’est possible?… Les portes sont-elles bien faites pour ceux qui ont été…

– Obligés de fuir par la fenêtre… vous voulez dire?

– Justement, et vous achevez ma pensée.

– Eh bien! mais, s’ils connaissent le chemin de la fenêtre, qu’ils reprennent ce chemin, puisqu’ils ne peuvent absolument pas entrer par la porte. C’est tout simple, cela.

– Vous croyez? dit Marguerite rougissant de plaisir à l’idée de se rapprocher de La Mole.

– J’en suis sûr.

– Mais comment monter? demanda la reine.

– N’avez-vous donc pas conservé l’échelle de corde que je vous avais envoyée? Ah! je ne reconnaîtrais point là votre prévoyance habituelle.

– Si fait, Sire, dit Marguerite.

– Alors, c’est parfait, dit Henri.

– Qu’ordonne donc Votre Majesté?

– Mais c’est tout simple, dit Henri, attachez-la à votre balcon et la laissez pendre. Si c’est de Mouy qui attend… et je serais tenté de le croire… si c’est de Mouy qui attend et qu’il veuille monter, il montera, ce digne ami.