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– Mon cher Coconnas, il est vrai que le roi furieux d’avoir reçu sur l’épaule une aiguière d’argent, le duc d’Anjou mécontent d’avoir été coiffé avec une compote d’oranges, et le duc de Guise humilié d’avoir été souffleté avec un quartier de sanglier, ont fait la partie de tuer M. de La Mole; mais un ami de votre ami a détourné le coup. La partie a donc manqué, je vous en donne ma parole de prince.

– Ah! fit Coconnas respirant sur cette assurance comme un soufflet de forge, ah! mordi, Monseigneur, voilà qui est bien, et je voudrais connaître cet ami, pour lui prouver ma reconnaissance.

M. d’Alençon ne répondit rien, mais sourit plus agréablement encore qu’il ne l’avait fait; ce qui laissa croire à Coconnas que cet ami n’était autre que le prince lui-même.

– Eh bien, Monseigneur! reprit-il, puisque vous avez tant fait que de me dire le commencement de l’histoire, mettez le comble à vos bontés en me racontant la fin. On voulait le tuer, mais on ne l’a pas tué, me dites-vous; voyons! qu’en a-t-on fait? Je suis courageux, allez! dites, et je sais supporter une mauvaise nouvelle. On l’a jeté dans quelque cul de basse-fosse, n’est-ce pas? Tant mieux, cela le rendra circonspect. Il ne veut jamais écouter mes conseils. D’ailleurs on l’en tirera, mordi! Les pierres ne sont pas dures pour tout le monde.

D’Alençon hocha la tête.

– Le pis de tout cela, dit-il, mon brave Coconnas, c’est que depuis cette aventure ton ami a disparu, sans qu’on sache où il est passé.

– Mordi! s’écria le Piémontais en pâlissant de nouveau, fût-il passé en enfer, je saurai où il est.

– Écoute, dit d’Alençon qui avait, mais par des motifs bien différents, aussi bonne envie que Coconnas de savoir où était La Mole, je te donnerai un conseil d’ami.

– Donnez, Monseigneur, dit Coconnas, donnez.

– Va trouver la reine Marguerite, elle doit savoir ce qu’est devenu celui que tu pleures.

– S’il faut que je l’avoue à Votre Altesse, dit Coconnas, j’y avais déjà pensé, mais je n’avais point osé; car, outre que madame Marguerite m’impose plus que je ne saurais dire, j’avais peur de la trouver dans les larmes. Mais, puisque Votre Altesse m’assure que La Mole n’est pas mort et que Sa Majesté doit savoir où il est, je vais faire provision de courage et aller la trouver.

– Va, mon ami, va, dit le duc François. Et quand tu auras des nouvelles, donne-m’en à moi-même; car je suis en vérité aussi inquiet que toi. Seulement souviens-toi d’une chose, Coconnas…

– Laquelle?

– Ne dis pas que tu viens de ma part, car en commettant cette imprudence tu pourrais bien ne rien apprendre.

– Monseigneur, dit Coconnas, du moment où Votre Altesse me recommande le secret sur ce point, je serai muet comme une tanche ou comme la reine mère.

«Bon prince, excellent prince, prince magnanime», murmura Coconnas en se rendant chez la reine de Navarre.

Marguerite attendait Coconnas, car le bruit de son désespoir était arrivé jusqu’à elle, et en apprenant par quels exploits ce désespoir s’était signalé, elle avait presque pardonné à Coconnas la façon quelque peu brutale dont il traitait son amie madame la duchesse de Nevers, à laquelle le Piémontais ne s’était point adressé à cause d’une grosse brouille existant déjà depuis deux ou trois jours entre eux. Il fut donc introduit chez la reine aussitôt qu’annoncé.

Coconnas entra, sans pouvoir surmonter ce certain embarras dont il avait parlé à d’Alençon qu’il éprouvait toujours en face de la reine, et qui lui était bien plus inspiré par la supériorité de l’esprit que par celle du rang; mais Marguerite l’accueillit avec un sourire qui le rassura tout d’abord.

– Eh! madame, dit-il, rendez-moi mon ami, je vous en supplie, ou dites-moi tout au moins ce qu’il est devenu; car sans lui je ne puis pas vivre. Supposez Euryale sans Nisus, Damon sans Pythias, ou Oreste sans Pylade, et ayez pitié de mon infortune en faveur d’un des héros que je viens de vous citer, et dont le cœur, je vous le jure, ne l’emportait pas en tendresse sur le mien.

Marguerite sourit, et après avoir fait promettre le secret à Coconnas, elle lui raconta la fuite par la fenêtre. Quant au lieu de son séjour, si instantes que fussent les prières du Piémontais, elle garda sur ce point le plus profond silence. Cela ne satisfaisait qu’à demi Coconnas; aussi se laissa-t-il aller à des aperçus diplomatiques de la plus haute sphère. Il en résulta que Marguerite vit clairement que le duc d’Alençon était de moitié dans le désir qu’avait son gentilhomme de connaître ce qu’était devenu La Mole.

– Eh bien, dit la reine, si vous voulez absolument savoir quelque chose de positif sur le compte de votre ami, demandez au roi Henri de Navarre, c’est le seul qui ait le droit de parler; quant à moi, tout ce que je puis vous dire, c’est que celui que vous cherchez est vivant: croyez-en ma parole.

– J’en crois une chose plus certaine encore, madame, répondit Coconnas, ce sont vos beaux yeux qui n’ont point pleuré.

Puis, croyant qu’il n’y avait rien à ajouter à une phrase qui avait le double avantage de rendre sa pensée et d’exprimer la haute opinion qu’il avait du mérite de La Mole, Coconnas se retira en ruminant un raccommodement avec madame de Nevers, non pas pour elle personnellement, mais pour savoir d’elle ce qu’il n’avait pu savoir de Marguerite.

Les grandes douleurs sont des situations anormales dont l’esprit secoue le joug aussi vite qu’il lui est possible. L’idée de quitter Marguerite avait d’abord brisé le cœur de La Mole; et c’était bien plutôt pour sauver la réputation de la reine que pour préserver sa propre vie qu’il avait consenti à fuir.

Aussi dès le lendemain au soir était-il revenu à Paris pour revoir Marguerite à son balcon. Marguerite, de son côté, comme si une voix secrète lui eût appris le retour du jeune homme, avait passé toute la soirée à sa fenêtre; il en résulta que tous deux s’étaient revus avec ce bonheur indicible qui accompagne les jouissances défendues. Il y a même plus: l’esprit mélancolique et romanesque de La Mole trouvait un certain charme à ce contretemps. Cependant, comme l’amant véritablement épris n’est heureux qu’un moment, celui pendant lequel il voit ou possède, et souffre pendant tout le temps de l’absence, La Mole, ardent de revoir Marguerite, s’occupa d’organiser au plus vite, l’événement qui devait la lui rendre, c’est-à-dire la fuite du roi de Navarre.

Quant à Marguerite, elle se laissait, de son côté, aller au bonheur d’être aimée avec un dévouement si pur. Souvent elle s’en voulait de ce qu’elle regardait comme une faiblesse; elle, cet esprit viril, méprisant les pauvretés de l’amour vulgaire, insensible aux minuties qui en font pour les âmes tendres le plus doux, le plus délicat, le plus désirable de tous les bonheurs, elle trouvait sa journée sinon heureusement remplie, du moins heureusement terminée, quand vers neuf heures, paraissant à son balcon vêtue d’un peignoir blanc, elle apercevait sur le quai, dans l’ombre, un cavalier dont la main se posait sur ses lèvres, sur son cœur; c’était alors une toux significative, qui rendait à l’amant le souvenir de la voix aimée. C’était quelquefois aussi un billet vigoureusement lancé par une petite main et qui enveloppait quelque bijou précieux, mais bien plus précieux encore pour avoir appartenu à celle qui l’envoyait que pour la matière qui lui donnait sa valeur, et qui allait résonner sur le pavé à quelques pas du jeune homme. Alors La Mole, pareil à un milan, fondait sur cette proie, la serrait dans son sein, répondait par la même voie, et Marguerite ne quittait son balcon qu’après avoir entendu se perdre dans la nuit les pas du cheval poussé à toute bride pour venir, et qui, pour s’éloigner, semblait d’une matière aussi inerte que le fameux colosse qui perdit Troie.