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En même temps le sang jaillit en abondance de ses lèvres et de son nez.

– Jésus! dit-il, on me tue; à moi! à moi!

Catherine, qui l’avait suivi, le vit tomber; elle regarda un instant impassible et sans bouger; puis rappelée à elle, non par l’amour maternel, mais par la difficulté de la situation, elle ouvrit en criant:

– Le roi se trouve mal! au secours! au secours! À ce cri un monde de serviteurs, d’officiers et de courtisans s’empressèrent autour du jeune roi. Mais avant tout le monde une femme s’était élancée, écartant les spectateurs et relevant Charles pâle comme un cadavre.

– On me tue, nourrice, on me tue, murmura le roi baigné de sueur et de sang.

– On te tue! mon Charles! s’écria la bonne femme en parcourant tous les visages avec un regard qui fit reculer jusqu’à Catherine elle-même; et qui donc cela qui te tue?

Charles poussa un faible soupir et s’évanouit tout à fait.

– Ah! dit le médecin Ambroise Paré, qu’on avait envoyé chercher à l’instant même, ah! voilà le roi bien malade!

– Maintenant, de gré ou de force, se dit l’implacable Catherine, il faudra bien qu’il accorde un délai.

Et elle quitta le roi pour aller joindre son second fils, qui attendait avec anxiété dans l’oratoire le résultat de cet entretien si important pour lui.

X L’Horoscope

En sortant de l’oratoire, où elle venait d’apprendre à Henri d’Anjou tout ce qui s’était passé, Catherine avait trouvé René dans sa chambre.

C’était la première fois que la reine et l’astrologue se revoyaient depuis la visite que la reine lui avait faite à sa boutique du pont Saint-Michel; seulement, la veille, la reine lui avait écrit, et c’était la réponse à ce billet que René lui apportait en personne.

– Eh bien, lui demanda la reine, l’avez-vous vu?

– Oui.

– Comment va-t-il?

– Plutôt mieux que plus mal.

– Et peut-il parler?

– Non, l’épée a traversé le larynx.

– Je vous avais dit en ce cas de le faire écrire?

– J’ai essayé, lui-même a réuni toutes ses forces; mais sa main n’a pu tracer que deux lettres presque illisibles, puis il s’est évanoui: la veine jugulaire a été ouverte, et le sang qu’il a perdu lui a ôté toutes ses forces.

– Avez-vous vu ces lettres?

– Les voici.

René tira un papier de sa poche et le présenta à Catherine, qui le déplia vivement.

– Un M et un O, dit-elle… Serait-ce décidément ce La Mole, et toute cette comédie de Marguerite ne serait-elle qu’un moyen de détourner les soupçons?

– Madame, dit René, si j’osais émettre mon opinion dans une affaire où Votre Majesté hésite à former la sienne, je lui dirais que je crois M. de La Mole trop amoureux pour s’occuper sérieusement de politique.

– Vous croyez?

– Oui, surtout trop amoureux de la reine de Navarre pour servir avec dévouement le roi, car il n’y a pas de véritable amour sans jalousie.

– Et vous le croyez donc tout à fait amoureux?

– J’en suis sûr.

– Aurait-il eu recours à vous?

– Oui.

– Et il vous a demandé quelque breuvage, quelque philtre?

– Non, nous nous en sommes tenus à la figure de cire.

– Piquée au cœur?

– Piquée au cœur.

– Et cette figure existe toujours?

– Oui.

– Elle est chez vous?

– Elle est chez moi.

– Il serait curieux, dit Catherine, que ces préparations cabalistiques eussent réellement l’effet qu’on leur attribue.

– Votre Majesté est plus que moi à même d’en juger.

– La reine de Navarre aime-t-elle M. de La Mole?

– Elle l’aime au point de se perdre pour lui. Hier elle l’a sauvé de la mort au risque de son honneur et de sa vie. Vous voyez, madame, et cependant vous doutez toujours.

– De quoi?

– De la science.

– C’est qu’aussi la science m’a trahie, dit Catherine en regardant fixement René, qui supporta admirablement bien ce regard.

– En quelle occasion?

– Oh! vous savez ce que je veux dire; à moins toutefois que ce soit le savant et non la science.

– Je ne sais ce que vous voulez dire, madame, répondit le Florentin.

– René, vos parfums ont-ils perdu leur odeur?

– Non, madame, quand ils sont employés par moi; mais il est possible qu’en passant par la main des autres… Catherine sourit et hocha la tête.

– Votre opiat a fait merveille, René, dit-elle, et madame de Sauve a les lèvres plus fraîches et plus vermeilles que jamais.

– Ce n’est pas mon opiat qu’il faut en féliciter, madame, car la baronne de Sauve, usant du droit qu’a toute jolie femme d’être capricieuse, ne m’a plus reparlé de cet opiat, et moi, de mon côté, après la recommandation que m’avait faite Votre Majesté, j’ai jugé à propos de ne lui en point envoyer. Les boîtes sont donc toutes encore à la maison telles que vous les y avez laissées, moins une qui a disparu sans que je sache quelle personne me l’a prise ni ce que cette personne a voulu en faire.

– C’est bien, René, dit Catherine; peut-être plus tard reviendrons-nous là-dessus; en attendant, parlons d’autre chose.

– J’écoute, madame.

– Que faut-il pour apprécier la durée probable de la vie d’une personne?

– Savoir d’abord le jour de sa naissance, l’âge qu’elle a, et sous quel signe elle a vu le jour.

– Puis ensuite?

– Avoir de son sang et de ses cheveux.

– Et si je vous porte de son sang et de ses cheveux, si je vous dis sous quel signe il a vu le jour, si je vous dis l’âge qu’il a, le jour de sa naissance, vous me direz, vous, l’époque probable de sa mort?

– Oui, à quelques jours près.

– C’est bien. J’ai de ses cheveux, je me procurerai de son sang.

– La personne est-elle née pendant le jour ou pendant la nuit?

– À cinq heures vingt-trois minutes du soir.