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– Laquelle?

– De l’argent. Je crois que vous n’en êtes pas fourni outre mesure.

– Au contraire, madame, au contraire, dit Charles IX. J’ai quatorze cent mille écus à la Bastille; mon épargne particulière m’a remis ces jours passés huit cent mille écus que j’ai enfouis dans mes caves du Louvre, et, en cas de pénurie, Nantouillet tient trois cent mille autres écus à ma disposition.

Catherine frémit; car elle avait vu jusqu’alors Charles violent et emporté, mais jamais prévoyant.

– Allons, fit-elle, Votre Majesté pense à tout, c’est admirable, et pour peu que les tailleurs, les brodeuses et les joailliers se hâtent, Votre Majesté sera en état de donner séance avant six semaines.

– Six semaines! s’écria Charles. Ma mère, les tailleurs, les brodeuses et les joailliers travaillent depuis le jour où l’on a appris la nomination de mon frère. À la rigueur, tout pourrait être prêt pour aujourd’hui; mais, à coup sûr, tout sera prêt dans trois ou quatre jours.

– Oh! murmura Catherine, vous êtes plus pressé encore que je ne le croyais, mon fils.

– Honneur pour honneur, je vous l’ai dit.

– Bien. C’est donc cet honneur fait à la maison de France qui vous flatte, n’est-ce pas?

– Assurément.

– Et voir un fils de France sur le trône de Pologne est votre plus cher désir?

– Vous dites vrai.

– Alors c’est le fait, c’est la chose et non l’homme qui vous préoccupe, et quel que soit celui qui règne là-bas…

– Non pas, non pas, ma mère, corbœuf! demeurons-en où nous sommes! Les Polonais ont bien choisi. Ils sont adroits et forts, ces gens-là! Nation militaire, peuple de soldats, ils prennent un capitaine pour prince, c’est logique, peste! d’Anjou fait leur affaire: le héros de Jarnac et de Moncontour leur va comme un gant… Qui voulez-vous que je leur envoie? d’Alençon? un lâche! cela leur donnerait une belle idée des Valois!… D’Alençon! il fuirait à la première balle qui lui sifflerait aux oreilles, tandis que Henri d’Anjou, un batailleur, bon! toujours l’épée au poing, toujours marchant en avant, à pied ou à cheval!… Hardi! pique, pousse, assomme, tue! Ah! c’est un homme que mon frère d’Anjou, un vaillant qui va les faire battre du matin au soir, depuis le premier jusqu’au dernier jour de l’année. Il boit mal, c’est vrai; mais il les fera tuer de sang-froid, voilà tout. Il sera là dans sa sphère, ce cher Henri! Sus! sus! au champ de bataille! Bravo les trompettes et les tambours! Vive le roi! vive le vainqueur! vive le général! On le proclame imperator trois fois l’an! Ce sera admirable pour la maison de France et l’honneur des Valois… Il sera peut-être tué; mais, ventremahon! ce sera une mort superbe!

Catherine frissonna et un éclair jaillit de ses yeux.

– Dites, s’écria-t-elle, que vous voulez éloigner Henri d’Anjou, dites que vous n’aimez pas votre frère!

– Ah! ah! ah! fit Charles en éclatant d’un rire nerveux, vous avez deviné cela, vous, que je voulais l’éloigner? Vous avez deviné cela, vous, que je ne l’aimais pas? Et quand cela serait, voyons? Aimer mon frère! Pourquoi donc l’aimerais-je? Ah! ah! ah! est-ce que vous voulez rire?… (Et à mesure qu’il parlait, ses joues pâles s’animaient d’une fébrile rougeur.) Est-ce qu’il m’aime, lui? Est-ce que vous m’aimez, vous? Est-ce que, excepté mes chiens, Marie Touchet et ma nourrice, est-ce qu’il y a quelqu’un qui m’ait jamais aimé? Non, non, je n’aime pas mon frère, je n’aime que moi, entendez-vous! et je n’empêche pas mon frère d’en faire autant que je fais.

– Sire, dit Catherine s’animant à son tour, puisque vous me découvrez votre cœur, il faut que je vous ouvre le mien. Vous agissez en roi faible, en monarque mal conseillé; vous renvoyez votre second frère, le soutien naturel du trône, et qui est en tous points digne de vous succéder s’il vous advenait malheur, laissant dans ce cas votre couronne à l’abandon; car, comme vous le disiez, d’Alençon est jeune, incapable, faible, plus que faible, lâche!… Et le Béarnais se dresse derrière, entendez-vous?

– Eh! mort de tous les diables! s’écria Charles, qu’est-ce que me fait ce qui arrivera quand je n’y serai plus? Le Béarnais se dresse derrière mon frère, dites-vous? Corbœuf! tant mieux!… Je disais que je n’aimais personne… je me trompais, j’aime Henriot; oui, je l’aime, ce bon Henriot: il a l’air franc, la main tiède, tandis que je ne vois autour de moi que des yeux faux et ne touche que des mains glacées. Il est incapable de trahison envers moi, j’en jurerais. D’ailleurs je lui dois un dédommagement: on lui a empoisonné sa mère, pauvre garçon! des gens de ma famille, à ce que j’ai entendu dire. D’ailleurs je me porte bien. Mais, si je tombais malade, je l’appellerais, je ne voudrais pas qu’il me quittât, je ne prendrais rien que de sa main, et quand je mourrai je le ferai roi de France et de Navarre… Et, ventre du pape! au lieu de rire à ma mort, comme feraient mes frères, il pleurerait ou du moins il ferait semblant de pleurer.

La foudre tombant aux pieds de Catherine l’eût moins épouvantée que ces paroles. Elle demeura atterrée, regardant Charles d’un œil hagard; puis enfin, au bout de quelques secondes:

– Henri de Navarre! s’écria-t-elle, Henri de Navarre! roi de France au préjudice de mes enfants! Ah! sainte madone! nous verrons! C’est donc pour cela que vous voulez éloigner mon fils?

– Votre fils… et que suis-je donc moi? un fils de louve comme Romulus! s’écria Charles tremblant de colère et l’œil scintillant comme s’il se fût allumé par places. Votre fils! vous avez raison, le roi de France n’est pas votre fils lui, le roi de France n’a pas de frères, le roi de France n’a pas de mère, le roi de France n’a que des sujets. Le roi de France n’a pas besoin d’avoir des sentiments, il a des volontés. Il se passera qu’on l’aime, mais il veut qu’on lui obéisse.

– Sire, vous avez mal interprété mes paroles: j’ai appelé mon fils celui qui allait me quitter. Je l’aime mieux en ce moment parce que c’est lui qu’en ce moment je crains le plus de perdre. Est-ce un crime à une mère de désirer que son enfant ne la quitte pas?

– Et moi, je vous dis qu’il vous quittera, je vous dis qu’il quittera la France, qu’il s’en ira en Pologne, et cela dans deux jours; et si vous ajoutez une parole ce sera demain; et si vous ne baissez pas le front, si vous n’éteignez pas la menace de vos yeux, je l’étrangle ce soir comme vous vouliez qu’on étranglât hier l’amant de votre fille. Seulement je ne le manquerai pas, moi, comme nous avons manqué La Mole.

Sous cette première menace, Catherine baissa le front; mais presque aussitôt elle le releva.

– Ah! pauvre enfant! dit-elle, ton frère veut te tuer. Eh bien, soit tranquille, ta mère te défendra.

– Ah! l’on me brave! s’écria Charles. Eh bien, par le sang du Christ! il mourra, non pas ce soir, non pas tout à l’heure, mais à l’instant même. Ah! une arme! une dague! un couteau!… Ah!

Et Charles, après avoir porté inutilement les yeux autour de lui pour chercher ce qu’il demandait, aperçut le petit poignard que sa mère portait à sa ceinture, se jeta dessus, l’arracha de sa gaine de chagrin incrustée d’argent, et bondit hors de la chambre pour aller frapper Henri d’Anjou partout où il le trouverait. Mais en arrivant dans le vestibule ses forces surexcitées au-delà de la puissance humaine, l’abandonnèrent tout à coup: il étendit le bras, laissa tomber l’arme aiguë, qui resta fichée dans le parquet, jeta un cri lamentable, s’affaissa sur lui-même et roula sur le plancher.