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– La paix, Pluton! La paix, Proserpine!

Pluton et Proserpine devaient être merveilleusement dressés, car ils se turent à l’instant. C’étaient deux chiens de forte taille, deux sortes de molosses à poil rude, aux yeux sanguinolents, aux mâchoires formidables. L’un, le chien Pluton, était tout noir. L’autre, la chienne Proserpine, était toute blanche. Mais tous deux étaient de même race.

Pendant une heure environ, les deux hommes demeurèrent en observation devant l’hôtel. Ils allaient et venaient avec précaution et paraissaient chercher à voir ce qui pouvait se passer à l’intérieur.

– Voyez-vous, dit à la fin l’un d’eux, c’est par là qu’il faudra attaquer, croyez-moi, monseigneur.

– Oui, Orthès, répondit l’autre. Tu avais raison. Allons, rappelle tes chiens et allons-nous-en.

L’homme qu’on venait d’appeler Orthès siffla doucement: Pluton, Proserpine et Pipeau se mirent en marche.

Quoi! Pipeau lui aussi?… Oui! Voici en effet ce qui s’était passé pendant que les deux hommes s’occupaient de leurs observations.

Pipeau, comme on a vu, s’était approché de Proserpine, et en son langage, lui avait fait compliment. Il lui avait présenté ces civilités en excellents termes, sans doute, car Proserpine avait doucement remué la queue; sur quoi, Pipeau s’était livré sans plus de bagatelles à une déclaration en règle; c’est-à-dire qu’il s’était mis à tourner autour de la donzelle en flairant tout ce qu’un chien croit devoir flairer. Ce fut du cynisme, et du plus vrai.

Or, Pluton, mari de la dame, ayant relevé ses lèvres épaisses, montra une double rangée de crocs formidables.

Pipeau jeta un regard oblique sur le mari. Son poil se hérissa. Sa lèvre tremblotante découvrit, chez lui aussi, des engins d’attaque et de défense d’un calibre raisonnable.

Il y eut de part et d’autre un grognement sourd.

La bataille était imminente.

Proserpine, assise commodément sur son derrière, s’apprêta à juger ce combat dont, comme Chimène, elle était le prix.

Tout à coup, Pipeau recula.

Lâcheté?… Non pas! Ruse, astuce, trait d’esprit profond qui pourra bien trouver des incrédules, mais dont nous garantissons la rigoureuse authenticité.

Pipeau recula jusqu’à la carcasse de poulet qu’on lui avait apportée et à laquelle il n’avait pas touché, soit par tristesse, soit qu’il voulut ménager ses provisions. Il la prit dans sa gueule et l’apporta, oui, l’apporta… à qui? à Proserpine? pas du tout: à Pluton!

Pluton était un chien féroce et bête. Il se précipita sur la carcasse et la dévora incontinent. Après quoi il jeta sur Pipeau un regard d’étonnement et de reconnaissance; et, en signe de paix, agita sa queue, puis se coucha tranquillement.

Pipeau comprit que dès lors, il était admis dans l’amitié du gros chien.

Il se retourna aussitôt vers Proserpine et, en toute sécurité, commença ses salamalecs.

Lorsque les deux hommes s’en allèrent, Pluton et Proserpine suivirent. Tout naturellement, Pipeau suivit.

Il oublia l’amitié pour l’amour. Il oublia sa tristesse. Il oublia son maître disparu. Il eût suivi Proserpine au bout du monde, d’autant plus que la ribaude faisait des grâces, jouait avec lui, et paraissait disposée à lui accorder ses faveurs.

Pluton marchait gravement, et peut-être se disait-il qu’après tout un camarade qui offrait ainsi des carcasses de poulet méritait bien un petit sacrifice de sa part.

La bande arriva jusqu’à une grande maison de la rue des Fossés-Montmartre; une lourde porte s’ouvrit, et Pipeau, se faufilant en douceur entre Proserpine et Pluton, entra dans la maison!…

La porte se referma.

Pipeau était l’hôte du maréchal de Damville et d’Orthès, vicomte d’Aspremont!…

XXV L’AMIRAL COLIGNY

Nous laisserons Pipeau s’occuper de ses amours, nous laisserons Catho, l’hôtesse des Deux morts qui parlent, s’occuper, en compagnie de la Roussotte et de Pâquette, d’une mystérieuse affaire pour laquelle elle se démenait fort, et avant de revenir aux Pardaillan qui, dans la prison du Temple, attendent l’heure lugubre où leur sera appliquée la question, nous conduirons nos lecteurs au Louvre.

Depuis le lundi 18 août, les fêtes succèdent aux fêtes.

Les huguenots sont radieux.

Catherine de Médicis se montre charmante pour tous.

Charles IX, seul, méfiant et taciturne, semble promener dans toute cette joie une incurable mélancolie.

Le vendredi 22 août, de bon matin, l’amiral Coligny quitta son hôtel de la rue de Béthisy et se rendit au Louvre.

Il était escorté, comme toujours, de cinq ou six gentilshommes huguenots et portait sous son bras une liasse de papiers.

C’était le plan définitif de la campagne qu’on allait entreprendre contre les Pays-Bas et dont Coligny devait avoir le commandement suprême.

Le roi devait étudier ce plan avec l’amiral et lui donner la dernière approbation.

L’état général des dépenses nécessitées par la campagne y était indiqué avec une minutie et une prévoyance qui prouvaient l’expérience consommée du vieux chef huguenot. Les attributions de la cavalerie se trouvaient réduites dans de notables proportions au bénéfice de l’artillerie.

– Si je pouvais, répétait Coligny, je n’emporterai que des canons avec moi.

Charles IX venait de se lever lorsque l’amiral arriva aux appartements du roi déjà envahis par la foule des courtisans. Il était ce matin-là de bonne humeur, et lorsqu’il aperçut Coligny, il alla à sa rencontre, le pressa tendrement dans ses bras et s’écria:

– Mon bon père, j’ai rêvé cette nuit que vous me battiez!

– Moi, Sire!

– Oui, oui, vous-même.

Déjà l’inquiétude se peignait sur le visage des huguenots présents, tandis que les catholiques ricanaient.

Les uns et les autres pressentaient quelqu’une de ces terribles plaisanteries dont Charles IX était coutumier.

Mais le roi, éclatant de rire, continua:

– Vous me battiez à la paume! Conçoit-on cela? Moi, le premier joueur de France.

– Et de Navarre, Sire! dit en souriant Henri de Béarn. Chacun sait que mon cousin Charles est imbattable à la paume.

Charles IX remercia Henri d’un geste gracieux et reprit:

– Amiral, je veux reprendre ma revanche sur mon rêve. Venez.

– Mais, sire, dit Coligny, Votre Majesté n’ignore pas que je n’ai jamais tenu une raquette…