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Le maréchal voulait entreprendre de sauver la raison de celle qu’il avait adorée, qu’il adorait encore, et il imaginait de frapper vivement l’esprit de la pauvre folle en la conduisant un jour à Margency…

Mais un devoir plus immédiat sollicita son courage et son dévouement. Remettant donc à plus tard cette tentative – ce qui n’était pas un léger sacrifice – il organisa séance tenante la résistance aux ordres sauvages venus de la cour.

À peine Jeanne et sa fille furent-elles installées qu’il fit sonner le tocsin du manoir. Il ordonna à son capitaine d’armes de fermer les portes, de lever les ponts-levis, de faire couler dans les fossés les eaux qui en étaient détournées en temps de paix, de faire charger les vingt-quatre pièces d’artillerie, d’armer en guerre les quatre cents hommes de la garnison, enfin, de tout préparer pour soutenir au besoin un long siège.

En même temps, il envoyait des estafettes dans plusieurs directions.

Et nous devons dire ici que, dès la veille, c’est-à-dire dès la première nouvelle de ce qui se passait à Paris, quelques seigneurs, – de ceux qu’on appelait des politiques – s’étaient rassemblés autour de Montmorency avec leurs hommes d’armes, supposant que le maréchal entreprendrait sans doute d’arrêter le carnage dans la province.

À midi, François de Montmorency eut un entretien avec le chevalier de Pardaillan. Les dernières résolutions y furent prises.

Vers trois heures, il y avait près du château deux mille quatre cents cavaliers bien montés, bien armés, rassemblés sur cette esplanade même d’où jadis François s’était élancé vers Thérouanne.

Ce corps de cavalerie fut divisé en deux brigades, fortes chacune de douze cents hommes.

Le maréchal prit le commandement de l’une; Pardaillan fut mis à la tête de l’autre.

Puis chacun d’eux s’élança dans une direction différente; et ces deux hommes qui laissaient derrière eux tout ce qu’ils aimaient au monde, qui venaient d’échapper à tant de dangers, que quelques heures séparaient à peine des instants tragiques où ils avaient mille fois failli périr, ces deux hommes dont l’un avait vu l’incendie et la destruction de son antique demeure, et dont l’autre venait d’enterrer lui-même le vieux père, le bon compagnon de sa vie d’aventures, partirent sans regrets apparents pour remplir un devoir d’humanité.

Le maréchal s’élança vers Pontoise; de là, il battit le pays jusqu’à Magny, puis poussa droit au nord et arriva jusqu’à Beauvais. Partout où il passait, il rassemblait ceux qui étaient en état de porter les armes, leur parlait fortement, leur racontait les horreurs de Paris, et enfin les décidait à s’opposer les armes à la main à toute tentative de massacre.

Là où les ordres de Catherine étaient déjà arrivés, là où on commençait à tuer, il fondait tout à coup sur les massacreurs, faisait jeter en prison les plus enragés et décrétait que tout homme pris à violenter, molester ou piller, serait pendu haut et court sans procès.

D’un point, il courait à un autre.

Pendant un mois, il battit la campagne, traversant les villes, les villages les hameaux et inspirant partout une terreur salutaire aux trop fervents catholiques.

Pardaillan opérait de son côté, mais avec plus de fougue encore et de rapidité. Pendant deux mois, il ne laissa pas un point inexploré dans les pays qu’il traversa. Nous renonçons à peindre la joie délirante, les acclamations, les larmes de gratitude des infortunés que l’on commençait à «piller» et qui voyaient tout à coup arriver le secours et la délivrance.

De l’Isle-Adam, où il se dirigea tout d’abord, Pardaillan bondit jusqu’à Luzarches; de là, il remonta à Senlis, traversa Crépy, allant, revenant courant à l’est, à l’ouest, entra en coup de foudre à Compiègne et poussa jusqu’à Noyon dans une course audacieuse.

Alors, obliquant à gauche, il redescendit sur Montdidier, et par Crèvecœur, gagna enfin Beauvais où le maréchal avait établi ses quartiers.

Cette campagne faite de marches et de contre-marches avait duré trois mois.

Grâce donc au maréchal de Montmorency et au chevalier de Pardaillan, toute cette province fut exempte des horreurs qui s’abattirent sur presque tout le reste du royaume; quelques gouverneurs – bien rares – suivirent ce noble exemple et s’opposèrent par la force à l’exécution des ordres venus de Paris.

Au bout de ces trois mois, le calme s’était complètement rétabli.

Mais le maréchal, pendant un mois encore, promena sa petite armée pour achever d’intimider les forcenés.

Ce ne fut que le soir du 29 décembre, par un temps de neige, que le maréchal rentra dans son manoir.

Aucune attaque n’avait été essayée contre le château.

Vers la fin d’août seulement, un parti de cavaliers royalistes et catholiques s’était montré; mais deux ou trois coups de canon avaient suffi pour prouver à ces gens qu’on était décidé à se bien défendre.

Le 6 janvier, le maréchal licencia son armée après en avoir réuni les capitaines dans un repas qui eut lieu dans la grande salle des preux.

L’hiver s’écoula paisiblement.

Le mariage de Pardaillan et de Loïse avait été fixé au mois d’avril, sur la prière de François.

Pendant la campagne du maréchal et du chevalier, la santé de Jeanne de Piennes avait achevé de se rétablir. Sa beauté était redevenue éclatante; toute pâleur avait disparu; cette ombre de mélancolie qui couvrait son visage à l’époque qu’on l’appelait encore la Dame en noir s’était dissipée. C’était dans ses yeux et sur ses lèvres un sourire de bonheur.

Hélas! ce bonheur n’était qu’un rêve!

C’est à son rêve que souriait la pauvre démente…

Mais qui sait, après tout, si les bonheurs réels après lesquels nous courons ne sont pas eux-mêmes des rêves!… Et en ce cas, le pur rêve n’est-il pas, peut-être, l’idéal bonheur, puisque jamais la réalité ne répond exactement à l’espérance…

Quoi qu’il en soit, Jeanne demeurait folle.

Et c’était une chose poignante que ce sourire qui allait chercher un François imaginaire, alors que le François réel la contemplait les larmes aux yeux et cherchait en vain à éveiller son attention…

Quant à Loïse, la blessure qu’elle avait reçue de Maurevert sur la colline Montmartre s’était cicatrisée – moins promptement qu’on aurait pu s’y attendre, il est vrai; mais enfin, lorsque le maréchal et le chevalier étaient rentrés au château, il n’y avait plus qu’une légère trace rosée indiquant que Loïse avait été frappée là.

Sa santé, à elle aussi, s’était rétablie. Elle avait même pris une bonne mine qu’elle n’avait jamais eue. L’incarnat de ses lèvres, l’animation extraordinaire de son teint étonnèrent le maréchal. Il est vrai que, parfois, elle devenait soudain d’une pâleur mortelle et se mettait à grelotter; mais cela durait deux minutes, et ne pouvait paraître alarmant.