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La voiture de Marie Touchet s’ébranla.

Entraigues demeura un moment sur place pour voir quels étaient ces cavaliers si pressés qui accouraient dans un nuage de poussière. En tête de ce groupe, en avant de plus de cinquante pas, galopait un homme qu’Entraigues ne tarda pas à reconnaître.

Il pâlit et murmura:

– Le roi de Pologne ici [32]… Ah! maintenant je vois bien que Charles va mourir, puisque les corbeaux accourent!

Alors, d’un temps de trot rapide, il rejoignit la voiture de Marie Touchet et rentra avec elle dans Paris.

Charles IX était demeuré seul avec sa nourrice.

Après le départ de Marie Touchet et d’Entraigues, il s’approcha de la fenêtre qui donnait sur de beaux sycomores et sembla prendre plaisir à contempler toute cette verdure, le ciel rayonnant où passaient de légers nuages blancs…

– Comme il ferait bon de vivre! murmura-t-il. Oh! vivre dans la paix des champs, n’être plus roi, n’être plus le misérable que je suis, ne plus deviner les poignards dans l’ombre, ne plus redouter le poison dans le pain que je mange, dans l’eau que je bois, dans l’air que je respire!… Je serais un petit bourgeois… ou même un villageois, j’aurais une maison au fond d’un jardin, près d’une forêt, je vivrais entre mon fils et celle qui m’aime… celle que j’aime: la maison serait blanche, et il y aurait des roses dans le jardin… Oh! mon rêve de roi!… Vivre! Oh! vivre encore!… Seigneur, un peu de paix, par pitié!…

Deux larmes coulèrent le long de ses joues amaigries, décharnées; il laissa retomber le rideau et, courbé, voûté, rejoignit son fauteuil où il se laissa tomber.

– Madame la reine ne vient pas? demanda-t-il.

Non, Catherine de Médicis ne venait pas ce matin-là! Sans doute, elle devait être fort occupée, depuis que le cavalier aperçu par Entraigues, était entré au château.

– Couche-moi, nourrice, reprit Charles au bout d’un moment.

La vieille nourrice obéit. Bientôt le roi fut installé dans son grand lit. Elle le borda maternellement. Il ferma les yeux et parut s’assoupir tranquillement.

– Il va mieux, songea la nourrice qui s’éloigna sur la pointe des pieds. Pauvre petit roi si malheureux!…

Lorsqu’il comprit qu’il était seul, Charles IX ouvrit les yeux.

– Seul! murmura-t-il. Tout seul! Autour de moi, le silence, l’abandon! Plus de courtisans, plus de gardes! On sait que je vais mourir… et on me laisse mourir comme un chien à un coin de rue…

La solitude, en effet, était profonde autour du roi. C’était bien le silence de l’abandon. Seule, la vieille nourrice venait de temps à autre se pencher sur lui…

Pourtant, en prêtant l’oreille, il semblait à Charles qu’il entendait dans le château des bruits inaccoutumés, un mouvement de va-et-vient de gens empressés, une rumeur lointaine, du côté de l’appartement de sa mère, une rumeur joyeuse, eût-on dit! Cette rumeur d’une foule de courtisans qui s’empresse autour d’un roi…

Quelle était donc cette Majesté qu’on saluait ainsi, tandis que lui demeurait seul, tout seul en présence de la mort?…

Charles se le demanda d’abord, puis il cessa d’y penser…

Les heures s’écoulèrent.

La nourrice elle-même ne venait plus: peut-être l’avait-on écartée sous quelque prétexte, afin qu’elle ne pût renseigner le roi sur la cause de ces bruits joyeux qui troublaient son agonie.

Vers le soir, Charles voulut se lever. Il frappa sur un timbre. Il appela, personne ne vint.

Alors, il voulut se lever, seul, sans aide.

Mais il retomba sur son lit, et constata avec épouvante que ses forces, depuis le matin, s’en étaient allées.

Il demeura faible, baigné d’une sueur froide, pris d’une angoisse terrible. Il voulut crier, et ses lèvres ne rendirent qu’un son rauque à peine intelligible.

– Mon Dieu! mon Dieu! râla-t-il. Est-ce que je vais mourir? Mon Dieu, fais-moi miséricorde pour tout le sang qui fut versé!… Mon Dieu, je te remets mon âme, et te prie de lui faire grâce!

À ce mot de sang, à ce mot de grâce, il se souleva subitement, ses yeux s’ouvrirent avec un indicible effroi, ses dents se mirent à claquer… la crise, la redoutable crise qui l’avait si souvent terrassé, s’abattait sur lui…

Les ombres du crépuscule envahissaient la chambre.

La nuit venait…

Charles, assis sur son lit, les jambes pendantes, d’un geste d’horreur, repoussait de la main droite les spectres qui, peu à peu, envahissaient la chambre, tandis que de la main gauche, il cherchait à remonter la couverture jusqu’à son cou, comme pour se cacher.

– Du sang! gronda-t-il. Qui a répandu tant de sang?… Grâce! Qui donc crie grâce et pitié?… Qui êtes-vous? Est-ce toi, Coligny? Et toi, Clermont, que veux-tu? Et toi, La Rochefoucauld? Et toi, Cavaignes? Et toi, La Force? Et toi, Pont? Et toi, Ramus? Et toi, Briquemaut? Et toi, La Trémoille? Et toi, La Place? Et toi, Rohan? Que me voulez-vous? Et vous tous, pourquoi entrez-vous ici? Oh!… la chambre se remplit… il y en a partout, partout, dans le couloir, dans la galerie, dans le château, dans la cour… Ils montent! Ils viennent tous! Qui êtes-vous? Que voulez-vous? À moi! à moi! Oh! c’est affreux! Quoi! vous me voulez tuer?… Non… oh! les voici qui tournent vers moi leurs yeux d’effroi, qui tordent leurs mains et me tendent les bras! Grâce! Pitié! Non, ce n’est pas ma mort qu’ils veulent… ils me demandent grâce! Ah! taisez-vous! Vos voix me déchirent le cœur! Arrêtez! Ne criez plus ainsi!… Des femmes, maintenant! Que veulent-elles? Grâce! Pitié! Elles m’entourent! Ne pleurez pas, femmes! Ne pleurez pas ainsi! Tuez-moi plutôt!… Quoi! Des enfants, maintenant? Pauvres petits! déchirés, poignardés, égorgés! Oh! ne me touchez pas de vos petites mains glacées! Ne criez pas! ne pleurez pas! Oh! comme ils crient! Tous! enfants et femmes et hommes! Quels effroyables gémissements! Quels cris d’agonie! Que sont ces mugissements par les airs? Les cloches! les cloches! Cela hurle dans ma tête! Cela rugit! Assez! Arrêtez! Grâce!…

Charles IX se tut subitement. Sa voix qui, peu à peu s’était enflée, se termina par une plainte affreuse.

Alors, il prit sa tête à deux mains et pleura.

Ses larmes glissaient, brûlantes, corrosives, sur ses joues livides. Il murmurait:

– Mon Dieu! mon Dieu! pardonnez-moi!

Tout à coup, il tendit ses bras décharnés vers cette foule de fantômes qui l’entourait.

– Pardon! Oh! pardon!… Que de malédictions sur moi! Quelles sont ces voix qui me vouent à l’éternelle damnation?… Pardon! Pardon! Ayez pitié!… Non! pas de pitié pour celui qui n’en eut pas! Seigneur! Ils me maudissent, tous, tous!…

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[32] Le duc d’Anjou. On sait qu’Henri d’Anjou, frère de Charles, était monté, peu après la Saint-Barthélemy, sur le trône de Pologne. On sait que prévenu en toute hâte par Catherine de Médicis, de la fin prochaine de Charles IX, il quitta secrètement la cour de Pologne et arriva à Vincennes juste à point pour voir mourir son frère, et recueillir sa couronne sous le nom d’Henri III. (Note de M. Zévaco.)