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Maurevert demeura un an à Rome, alors qu’il ne comptait y passer que quelques jours.

Que fit-il pendant cette année? Sans doute, il prépara sa fortune; probablement il s’aboucha avec certains personnages.

Le jour où il se mit en selle pour reprendre la route de Paris, ce qui arriva le 1er septembre de l’an 1573, une sombre satisfaction brillait dans ses yeux, et il murmura, en se touchant la joue que le chevalier avait cinglée:

– Et maintenant, Pardaillan, à nous deux!…

Huguette et son mari, maître Grégoire, avaient pu demeurer cachés dans une cave chez une de leur parente; lorsque les portes de Paris se rouvrirent, lorsque le calme se rétablit, faute de huguenots et de suspects à tuer, Huguette voulut retourner à son auberge.

Mais le timide Grégoire lui fit observer que Paris était un séjour encore bien dangereux, que tous les jours il y avait des processions où les cris de mort retentissaient encore; que les Parisiens, et même la cour, et même le roi Charles allaient à Montfaucon voir, par dérision, le cadavre de l’amiral pendu par les pieds; qu’on venait d’exécuter en place de Grève messieurs de Cavagnes et Briquemaut, qui refusaient d’abjurer; que le peuple était fort friand de ces spectacles, que lui, Landry Grégoire, était, Dieu merci! excellent catholique, mais enfin, qu’à défaut d’hérétiques, on pourrait bien le pendre ou le tenailler un jour pour avoir favorisé la fuite de Pardaillan, ce qui serait grand dommage, attendu que sa femme Huguette en mourrait certainement de chagrin.

Huguette, sans ajouter une foi complète à la dernière partie de ce discours, et cependant touchée par l’accent pathétique de son mari, se rendit à ses raisonnements, et consentit à aller attendre loin de Paris que la fameuse algarade survenue à la Devinière fût entièrement oubliée.

Ils se rendirent donc à Provins, pays natal d’Huguette, et y demeurèrent environ trois ans, au bout desquels maître Grégoire commença à se persuader que peut-être on l’avait oublié, et qu’il pouvait rentrer à Paris. C’est ce qu’il fit non d’ailleurs sans répugnance.

Le 18 juin 1585, l’auberge de la Devinière, ainsi baptisée jadis par Rabelais, fut rouverte, et nous devons dire que bientôt elle se trouva aussi achalandée que par le passé.

Aussi maître Landry, que la terreur avait un peu maigri, ne tarda-t-il pas à retrouver cette épaisse couche de graisse dont il ne laissait pas d’être fier, et son visage luisant resplendit comme un soleil.

Quant à Huguette, toujours jolie, accorte et avenante, elle continua à être l’ornement principal de la Devinière; mais une ombre de mélancolie s’était étendue sur son gracieux visage, et parfois, on la voyait arrêtée sur le perron de l’auberge, regardant au loin dans la rue Saint-Denis comme si elle eût attendu un mystérieux voyageur qui ne venait jamais…

Frère Thibaut mourut le troisième dimanche après la Saint-Barthélemy dans une circonstance assez curieuse.

Ce dimanche-là, le petit Jacques Clément voulut à toute force aller au cimetière des Innocents; et comme on craignait qu’il ne révélât la vérité sur le miracle de l’aubépine, frère Thibaut l’accompagna, le tenant par la main.

Il faisait une chaleur excessive, et le soleil dardait des rayons de feu.

Le petit Jacques Clément fut fort étonné et tout chagriné de ne plus retrouver la belle aubépine à laquelle il avait tant travaillé. Il interrogea Thibaut qui, avec l’aplomb d’un moine, lui répondit que sans aucun doute le diable avait enlevé le joli buisson à cause des péchés qu’avait dû commettre la défunte.

Le petit Jacques, devant cette explication, demeura tout songeur; deux larmes glissèrent sur ses joues pâles et il finit par murmurer:

– Ça m’est égal, j’en ferai d’autres! Et cette fois j’y mettrai des rosés, et j’y joindrai des baguettes de coudrier, puisque le coudrier met en fuite les esprits du mal…

En attendant, il se mit à ratisser la terre sur la tombe d’Alice, et à arracher les herbes folles, pendant que Thibaut ruisselant de sueur, se découvrait pour s’éponger le crâne.

– Allons! dit tout à coup le moine, il est temps de rentrer au couvent… d’ailleurs, je ne me sens pas bien.

Il achevait à peine ces mots qu’il tomba, foudroyé par l’insolation, en travers de la tombe. On le ramena au couvent où tous les efforts pour le rappeler à la vie furent vains; il mourut dans la soirée, sans avoir repris ses sens.

Jacques Clément continua à être élevé chez les Barrés jusqu’à l’âge de treize ans, époque de sa vie à laquelle il passa au couvent des Cordeliers pour des motifs que nous ignorons.

Quant à frère Lubin, il continua à vivre comme un saint dans le couvent où il était gardé à vie. D’ailleurs, il ne demandait pas à sortir, car il menait une véritable vie de cocagne, toujours abondamment pourvu de gibier, venaison et flacons à son goût.

On le trouva mort, en l’an 1579, un soir, dans sa cellule, au milieu d’une douzaine de flacons vides; dans sa main crispée, il tenait le goulot d’une bouteille.

Le bruit se répandit alors dans Paris que le fameux frère Lubin, celui-là même qui avait opéré le miracle de la chaudière et le non moins merveilleux miracle de l’aubépine, venait de mourir en odeur de sainteté. Tout Paris défila dans la chapelle ardente où son corps fut exposé, et le mot de la fin fut prononcé par un nommé Bravache, un de ces gamins comme il y en a eu de tout temps à Paris, lequel, ayant admiré la masse énorme de frère Lubin, s’écria d’une voix de fausset:

– C’est ça le saint? Eh bien, je plains la chaise du paradis où il va s’asseoir!

Ledit Bravache eut d’ailleurs une oreille à demi arrachée par le bedeau qui avait entendu cette exclamation intempestive, et fut expulsé à grand renfort de coups de pied dans les reins, ce qui fit que, toute sa vie, il garda une dent féroce aux bedeaux.

Ruggieri, pendant les horribles journées de carnage, demeura enfermé dans son laboratoire, en tête à tête avec le cadavre embaumé du malheureux comte de Marillac. L’avortement de sa tentative de réincarnation faillit le rendre fou de douleur. Ce ne fut que quinze jours plus tard qu’il se décida à faire enterrer le corps qui, par pur hasard et non par volonté de l’astrologue, fut placé au cimetière des Innocents à trois pas de la tombe d’Alice de Lux.

Ruggieri fit venir d’Italie un superbe bloc de marbre qui fut taillé en forme de pierre tombale très simple.

Sur la pierre, il fit graver un seul mot – le nom de l’infortuné jeune homme:

DÉODAT

Dès lors, Ruggieri vécut misérablement, se tuant à la recherche de l’insoluble problème, passant des nuits entières en observation sur sa tour, et des jours en rêveries sombres pendant lesquels, assis au fond d’un fauteuil, il contemplait d’un œil morne et vitreux un point dans l’espace.

Il paraît que Catherine eut peur de lui à un moment donné, car elle le fit impliquer dans le procès en sorcellerie intenté à La Mole et au comte de Coconasso. Peut-être la vieille victime eut-elle alors encore plus peur des révélations que Ruggieri pouvait faire. Car, après lui avoir pour ainsi dire montré de près l’échafaud, elle le sauva et le garda près d’elle, et sans doute, il lui rendit encore plus d’un mystérieux service.