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À partir de ce moment, ils ne se dirent plus rien.

Accotés à la muraille de fer, les yeux ouverts, l’oreille tendue, les nerfs surexcités, ils attendirent, cherchant à voir et ne voyant que ténèbres, cherchant à entendre et n’entendant que silence.

Ils étaient comme ces grands et nobles fauves du désert qu’on vient de jeter dans une cage et qui, dans les premières heures de leur stupeur et de leur colère, se tiennent dans un coin, ramassés, la gueule en feu, toutes griffes dehors, prêts à bondir…

Quel espace de temps s’écoula ainsi?

Des minutes ou des heures?

Ils n’en eurent pas conscience…

Soudain, le vieux Pardaillan murmura:

– As-tu entendu?…

_ Oui… ne bougeons pas… Taisons-nous…

Un léger bruit, comme le bruit du déclic d’une machine qui va se mettre en mouvement venait de frapper leurs oreilles.

Ce bruit de déclic venait du plafond.

À ce moment même, une lumière pâle envahit la chambre… la cage de fer… puis cette lumière se renforça comme si une deuxième lampe mystérieuse eût été allumée… puis elle se renforça deux fois encore, en sorte que la clarté était maintenant suffisante pour montrer tous les détails de l’épouvantable oubliette… car les deux malheureux en étaient encore à croire qu’ils se trouvaient dans une oubliette!…

D’abord, les deux Pardaillan ne virent qu’eux-mêmes. Ils se virent hagards, hérissés, avec des visages terribles.

– On va nous attaquer, gronda le vieux.

– Oui… tenons-nous bien.

– Ce n’est pas par la faim qu’on veut nous tuer…

– Sans quoi, ces lumières n’auraient pas leur raison d’être.

– Mordieu! c’est donc la bataille!…

– La bataille! La vie!…

Ils respirèrent largement.

Cependant, l’attaque ne se produisait pas. D’un rapide regard, ils inspectèrent alors le caveau. Et cet étonnement que nous avons signalé plus haut, cet étonnement avant-coureur des plus atroces sensations d’horreur, entra de nouveau dans leurs esprits avec une violence d’écluse qui s’ouvre…

Voici en effet ce qu’ils virent:

Ils avaient cherché d’instinct la porte, le trou par où ils étaient entrés, et ils ne trouvèrent plus; cette porte devait sans doute se fermer hermétiquement au moyen d’un mécanisme: sur la muraille, aucune ligne indiquant la solution de continuité, plus de porte!… Partout, le mur de fer tout uni: aucun ustensile, aucun objet quelconque.

Ils examinèrent alors ce plancher bizarre qui, dans la nuit, leur avait paru s’en aller en pente.

Ils ne s’étaient pas trompés: tout autour du caveau bordant la muraille, régnait un sentier horizontal de deux pieds de large; et à partir de l’arête de ce sentier commençait la déclivité assez raide; le plancher était ainsi divisé en quatre pans dont chacun s’abaissait vers le centre, et cela formait un tronc de pyramide renversée parfaitement régulier, nous disons un tronc, et non une pyramide; car les quatre plans inclinés au lieu d’aboutir à une pointe centrale, étaient coupés de façon à former au fond de cette cuvette quadrangulaire un rectangle très régulier.

Or, ce rectangle, ce n’était pas une plaque de fer, ni une dalle de pierre ni rien!

C’était du vide!…

Il n’y avait rien! Ce rectangle, c’était un trou! Quelque chose comme l’orifice supérieur d’une cheminée.

Si, dans la nuit, ils se fussent laissé entraîner sur l’une des quatre pentes, ils eussent abouti à ce trou!

Ils fussent tombés…

Tomber! Où? Dans quoi? Dans quel puits? quel abîme?

À tout prix le savoir! Ils le voulurent. Et s’arc-boutant l’un à l’autre, pour ne pas glisser sur la pente unie, ils descendirent et arrivèrent au bord du trou de la cheminée.

Et alors, ils frémirent. S’étant regardés, ils se virent livides. Et le vieux Pardaillan prononça ces mots:

– J’ai peur… Et toi?…

– Éloignons-nous, fit le chevalier sans répondre à la terrible question. Ils revinrent sur le sentier.

Qu’avaient-ils donc entrevu de formidable? Était-ce un puits sans fond? Était-ce le vertige d’une chute qui ne s’arrêterait jamais?

Non. C’était quelque chose de plus simple, mais cette simplicité dégageait de l’horreur.

Simplement, ce puits n’était pas un puits. Cet abîme n’était pas un abîme…

Ce trou… eh bien! ce trou, c’était une fosse. Une fosse en fer. Le fond, une plaque de fer, apparaissait à cinq pieds au-dessous des bords…

Oui. Une fosse!… Mais une fosse avec d’étranges particularités.

D’un bout à l’autre, elle était creusée d’une rigole.

Et cette rigole aboutissait à un orifice de tuyau qui se perdait on ne savait où?…

Pourquoi cette fosse?

Et dans la fosse, pourquoi la rigole?

Et hors de la fosse, pourquoi les quatre pentes raides?

Pourquoi cet agencement destiné à pousser, à refouler, à attirer, à absorber?…

Les Pardaillan, muets, collés contre la muraille de fer, regardaient la fosse qui béait au centre de la cuvette quadrangulaire formée par le plancher de fer.

Dans leurs âmes, l’intrépidité montait en même temps que l’horreur.

Ils s’apprêtaient à terrasser l’épouvante.

Ils eussent lutté avec la Mort elle-même, eux qui luttaient contre la folie de l’effroi qui les saisissait à la gorge, au cerveau, au cœur, aux entrailles, partout où le spectre de l’effroi cherche à saisir l’homme.

Nous avons dit que le fantastique caveau s’était éclairé.

La lumière venait de quatre lampes.

Ces lampes étaient placées dans des niches pratiquées au bas de la muraille, au ras du sentier.

Il y avait une niche par panneau.

Les lampes étaient mises hors d’atteinte par un treillis de fer.

Les niches évidées dans la muraille de fer correspondaient évidemment avec un couloir qui faisait le tour du caveau, puisque c’était du dehors qu’on avait allumé les quatre lampes.

Ces lampes, placées au ras du sol, étaient agencées pourtant de manière à envoyer leurs reflets vers le plafond en même temps que vers la fosse.