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Évidemment, du dehors, par un trou quelconque, on avait intérêt à surveiller et le plafond et la fosse.

Ce plafond lui-même était de fer.

Les Pardaillan levèrent les yeux, l’inspectèrent… et l’étonnement dans lequel ils tourbillonnaient à l’aventure comme des épaves peuvent tourbillonner sur un océan démonté, l’étonnement les saisit dans ses rafales plus puissantes…

Ce plafond ne ressemblait pas plus à un plafond que le plancher ne ressemblait à un plancher…

Ce plafond était lui-même disposé en tronc de pyramide, chacun de ses pans étant parfaitement dans le plan de la pyramide d’en bas!

En sorte que si ce plafond était tombé, il se fût exactement adapté au plancher.

Le plancher était en creux; le plafond était en relief.

Et au centre de ce plafond, juste au-dessus de la fosse, une masse de fer parfaitement rectangulaire surplombait. Cette masse, épaisse de cinq pieds, toujours dans l’hypothèse où le plafond fût tombé, se serait exactement emboîtée dans la fosse!…

Tout cela formait un ensemble exorbitant; cela suait l’épouvante, cela distillait de l’horreur, cela ouvrait à l’imagination affolée les portes de la terreur et laissait présager de monstrueux raffinements d’angoisses.

Le chevalier de Pardaillan ayant tout inspecté, ayant confronté avec ce qu’il voyait le souvenir des choses qu’on se racontait à voix basse sans y croire, le chevalier de Pardaillan avait compris. Et de ses lèvres qui remuèrent à peine, il laissa tomber ce seul mot:

– La mécanique!

La mécanique!…

La monstrueuse invention, produit hideux de la délirante imagination de l’inquisition!

La mécanique espagnole qui fonctionna aux quinzième et seizième siècles, dans le mystère des geôles profondes!

– La mécanique? interrogea le vieux Pardaillan, qui ne savait pas, lui!

Le chevalier n’eut pas le temps de répondre.

Ce léger bruit de déclic qu’ils venaient d’entendre peu avant que les lumières ne s’allumassent, se reproduisit dans le silence absolu.

Presque en même temps, ils entendirent sur le côté droit de la cage de fer, au dehors, une rumeur grinçante et continue de roue mal graissée qui se met en mouvement, ou de vis qui s’enfonce dans un pas de vis rouillé…

La vis devait être formidable, si c’était une vis. Car la rumeur était assourdissante.

Et aussitôt, un grondement sourd (exactement comparable au bruit que fait le rouleau de fer en s’abaissant sur la devanture de nos magasins modernes), un roulement ininterrompu qui venait d’en haut leur fit lever les yeux vers le plafond.

Leurs cheveux se hérissèrent…

Horreur sur horreur!…

Le plafond s’était mis à descendre!…

Il descendait tout d’une pièce, d’un mouvement très lent, mais continu.

Il s’abaissait.

La monstrueuse pyramide de fer en relief descendait vers la pyramide de fer en creux…

Le bloc de fer rectangulaire s’abaissait pour aller s’encastrer dans la fosse de fer…

Et eux?…

Eux!… Ils allaient bientôt sentir poser sur leurs têtes la masse formidable!

Alors, affolés, ils allaient chercher à gagner une minute de vie!…

Comment?…

En descendant vers la fosse.

Et lorsqu’ils y seraient, la masse rectangulaire s’emboîterait dans la fosse…

Ils seraient écrasés par l’effroyable pression!

Écrasés!… Broyés!…

Et la rigole était là pour recueillir leur sang!

Tout leur sang extravasé jusqu’à la dernière goutte!…

La fosse était là! Ils y descendraient sûrement, infailliblement! Elle les fascinait. Elle les appelait. Elle les attirait comme le Maëlstrom de l’Océan attire le vaisseau qui se débat en vain pour échapper à ses mortelles étreintes!

Le grondement de la mécanique continuait.

Le plafond descendait.

Bientôt, il se trouva à un pied de la tête du vieux Pardaillan, plus grand que le chevalier.

Épouvante et délire!… Bientôt, il ne fut qu’à un pouce!…

Bientôt, il ne fut qu’à une ligne!…

Il toucha les cheveux… il atteignit le crâne… le vieux routier baissa la tête… la masse effroyable atteignit ses épaules… il fallait descendre… descendre vers l’horreur… descendre vers la fosse de fer!…

Terrible, les yeux exorbités, les veines des tempes gonflées à éclater, le vieux incrusta ses pieds sur le sentier de fer, s’arc-bouta des deux coudes à la muraille de fer, et se raidissant dans un effort titanesque, il essaya l’impossible, il tenta l’absurde, il voulut, oui, il voulut, de ses épaules, arrêter la descente du plafond de fer!…

Et l’impossible se réalisa!

Le plafond s’arrêta!…

Mais cela dura quelques secondes… le vieux haleta, son visage se convulsa… il tomba sur ses genoux… le plafond se remit à descendre…

Alors, comme le fer touchait les épaules du chevalier, il s’arc-bouta à son tour… il refit le prodige…

Et pendant que de ses épaules il suspendait un instant l’épouvantable masse, sa parole, étrange comme lointaine, descendit vers le vieux routier…

Et le chevalier disait:

– Mon père, nous avons nos poignards… Quand je tomberai près de vous, il sera temps… mourons ensemble…

La seconde d’après, l’irrésistible force descendante le courba.

Il s’abattit près de son père.

L’instant suprême était venu: en même temps, ils levèrent leurs mains armées pour se frapper…