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Cependant, ils s’enfonçaient de plus en plus. L’air devenait méphitique. Les murailles suintaient. Par plaques, des touffes de champignons verdâtres se renflaient sur la pierre. À d’autres endroits, cette pierre brillait de mille cristaux minuscules: c’était le salpêtre qui sortait.

On arriva ainsi à une sorte de boyau long d’une vingtaine de pas.

«Diable!» songea Pardaillan père.

Mais il se rassura aussitôt en apercevant au bout du boyau un étroit escalier qui remontait. Et comme il n’y avait de couloir ni à droite ni à gauche, il en conclut qu’ils allaient reprendre par là le chemin qui les ramènerait à l’air.

C’était vrai: les deux Pardaillan devaient monter cet escalier qui tournait rapidement sur lui-même et dont ils n’apercevaient que les deux ou trois premières marches.

Il y eut mieux: les arquebusiers firent halte dans le boyau, et les deux prisonniers furent invités à monter les premiers. Ils montèrent; derrière eux, le sergent; derrière le sergent, les arquebusiers.

Le vieux Pardaillan qui, plein d’espoir, marchait en tête, compta huit marches tournantes. À la neuvième marche, il n’y avait plus d’escalier, mais une sorte de porte basse et étroite s’ouvrait; machinalement, il franchit le pas; le chevalier passa derrière lui; au même instant, ils entendirent derrière eux un bruit sonore et métallique comme celui d’une porte de fer qui se referme…

L’obscurité était opaque.

Les ténèbres n’étaient même pas sillonnées par ces vagues reflets d’imperceptibles lueurs qui rassurent l’œil dans les nuits les plus profondes.

Le silence était aussi absolu que les ténèbres.

– Es-tu là? demanda le vieux Pardaillan avec une poignante angoisse.

– Je suis là! dit le chevalier.

Ils se turent brusquement, pris de cet indicible étonnement qui est le premier signe de la terreur: en effet, leurs voix résonnaient d’étrange façon, avec cette même sonorité métallique qu’avait eue la porte en se renfermant et qui éveillait de longs échos.

Instinctivement, les deux hommes avaient tendu les bras devant eux; leurs mains se rencontrèrent et s’étreignirent.

Dans ce mouvement, ils firent chacun un pas pour se rapprocher l’un de l’autre.

Mais ils s’arrêtèrent soudain, et la même sensation d’étonnement les immobilisa comme elle les avait fait se taire mais, cette fois, l’étonnement avait monté d’un degré vers la terreur; en effet, en voulant marcher, ils avaient senti que le plancher n’était pas sur un plan horizontal, mais qu’il s’inclinait sur une pente assez raide.

Le vieux Pardaillan se baissa vivement et toucha ce plancher. Sa surface était dure et très légèrement rugueuse au toucher.

– Du fer! gronda-t-il en se redressant.

Et il se sentit pâlir.

Alors, ensemble, ils reculèrent, remontant la pente de cet étrange plancher de fer.

Au bout de trois pas, ils furent arrêtés par la muraille et, l’ayant touchée, ils constatèrent qu’elle était en fer!

Ils étaient entourés de fer! Ils étaient dans une chambre de fer!

Pourtant, contre la muraille, leurs pieds se sentaient d’aplomb. La déclivité ne commençait qu’à un demi-pas du mur de fer.

– Ne bouge pas de là! fit le vieux Pardaillan. Je ne sais dans quel traquenard nous sommes tombés. Mais ce doit être effroyable. Je veux pourtant me rendre compte…

Alors il se mit à suivre la muraille en comptant ses pas à haute voix, afin de rester en communication avec le chevalier.

Il marchait le long de cette bordure horizontale, sorte de sentier qui côtoyait le pied des murs.

Lorsque, ayant fait le tour de cette cage, il rejoignit son fils, il avait compté vingt-quatre pas: huit de chaque côté dans le sens de la longueur et quatre dans le sens de la largeur.

La cage était donc d’assez vastes proportions.

Le routier n’avait rencontré ni banc, ni siège d’aucune sorte, ni aucun des ustensiles qui garnissent un cachot: partout la muraille était unie, avec cette même surface légèrement rugueuse du fer que l’humidité a oxydé.

Alors la pensée de ces épouvantables oubliettes dont ils avaient entendu parler leur vint à tous deux. Ils songèrent qu’on les avait enfermés dans cette cage pour y mourir de faim et de soif.

Ils frémirent.

Un moment, l’effroi pénétra dans ces âmes indomptables.

Mais bientôt, chacun d’eux songeant qu’il ne devait pas augmenter les souffrances de l’autre par sa propre faiblesse, ils raffermirent leurs cœurs, et se prenant par la main:

– Je pense, dit Pardaillan père, que voici la fin de notre carrière.

– Est-ce qu’on sait? dit froidement le chevalier.

– Soit! je ne demande pas mieux que de vivre encore, par la mort-dieu. Mais j’enrage de ne pas savoir où je suis, et pourquoi il n’y a rien dans ce cerveau de fer, et pourquoi ce plancher s’en va de tous côtés en pente vers le centre…

– Peut-être s’est-il affaissé par son propre poids…

– Peut-être. Attendons…

– Attendons, monsieur. Qu’avons-nous à redouter au bout du compte? De mourir par la faim. Je conviens que c’est un supplice assez hideux. Mais nous pourrons y échapper quand il nous sera bien démontré que nous devons mourir.

– Y échapper! Et comment?

– En nous tuant, dit simplement le chevalier.

– J’entends bien. Mais comment? Nous n’avons ni dague, ni épée. Tu n’espères pas que nous allons pouvoir nous tuer en nous frappant la tête contre ces murs de fer?

– J’ai entendu dire, fit le chevalier de sa voix intrépide, que certains prisonniers sont parvenus par ce moyen à échapper aux horreurs de leur agonie. Le moyen ne serait donc pas à dédaigner. Mais nous avons mieux.

– Et quoi?

– Nos éperons. Les miens n’ont pas de molette et constituent au pis aller des poignards assez présentables.

– Par Pilate, tu es en veine de bonnes idées, chevalier!

– J’ai des moments comme cela…

Tel fut l’entretien héroïque de ces deux hommes placés dans la situation la plus effroyable.

Séance tenante, le chevalier défit ses éperons qui, selon un usage encore très répandu, consistaient simplement en une tige d’acier assez longue et aiguë. Il en donna un au vieux routier et garda l’autre pour lui…

Chacun d’eux affermit cette arme extraordinaire dans sa main droite en nouant autour du poignet les courroies de l’éperon.