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En toute hâte, de l’armoire de fer, il tira trois ou quatre papiers.

Ces papiers étaient blancs.

Mais au bas de chacun d’eux se trouvaient la signature de Charles IX et le sceau royal.

Comment Ruggieri s’était-il procuré ces ordres en blanc, papiers redoutables qui mettaient en ses mains une puissance extraordinaire? Les avait-il obtenus de Catherine? Étaient-ce de parfaites imitations? Peu importe.

Il en remplit deux.

Puis il descendit à son laboratoire et renouvela ceux des flambeaux du cercle lumineux qui étaient près de s’éteindre, opération qu’il avait soigneusement recommencée plusieurs fois depuis l’incantation; car les lumières ne devaient pas s’éteindre: une seule lumière éteinte, c’était une porte par où le corps astral pouvait fuir.

– Ô mon fils! dit-il, sois rassuré; dès cette nuit, je verserai dans ton corps matériel le sang nécessaire; et pour chasser les esprits jaloux, pour que des bouleversements prodigieux troublent les airs et la terre, pour que dans ce cataclysme nous puissions échapper à la surveillance des esprits qui voudraient te retenir, je sonnerai le glas, le glas terrible qui sera le signal des milliers de morts, afin que des milliers de corps astraux encombrent l’atmosphère!

Ainsi parla le fou…

Nous disons «le fou».

En effet, Ruggieri, pour ainsi dire exorbité, parvenait à ce moment au plus haut degré de l’hyperesthésie.

Il devenait capable d’actes étranges et monstrueux. À ce moment, il était hors de lui.

Mais quant à ses pratiques astrologiques et magiques, elles ne constituaient pas précisément une folie. En tout cas, il eût été alors en nombreuse compagnie: car les chroniqueurs les plus modérés évaluent à vingt mille le nombre de mages, sorciers, astrologues qui se livraient à ces pratiques en 1572 sur une population d’environ deux cent mille Parisiens.

Ayant parlé au corps astral comme on vient de le dire, Ruggieri sortit du laboratoire sans regarder le cadavre tout raide et livide sur sa table de marbre. Et ayant enfourché sa mule, il se hâta vers le Temple.

Introduit auprès de Montluc, il exhiba les papiers qu’il avait remplis.

Montluc, les ayant lus, jeta sur l’astrologue un regard de stupeur et presque d’épouvante.

– Mais, observa-t-il enfin d’une voix d’épouvante, je ne sais pas si la mécanique fonctionne encore… il y a longtemps qu’elle n’a servi… vous comprenez, nous avons mieux aujourd’hui, nous sommes plus expéditifs…

– Ne vous inquiétez de rien. Mettez-moi seulement en relation avec l’homme.

– Bon. Venez donc.

Montluc et Ruggieri descendirent, gagnèrent une cour étroite au fond de laquelle s’élevait une cahute en planches.

– Il est là, dit Montluc. Parlez-lui. Je vais m’occuper de faire descendre vos deux gaillards. Est-il besoin que j’assiste à l’opération?

– Nullement.

Montluc salua et se retira avec une hâte que motivait peut-être un sentiment d’horreur, ou peut-être simplement le désir de courir à son appartement où il devait attendre les deux ribaudes qui lui avaient promis leur visite pour ce soir-là.

Ruggieri étant entré dans la cabane, vit un homme qui s’occupait à raccommoder une paire de sandales.

Cet homme, court sur ses jambes torses, avait une tête monstrueuse, des épaules énormes, et devait être d’une force herculéenne. C’était un ancien condamné aux galères qu’on avait gracié à condition qu’il remplît au Temple certaines fonctions d’un ordre particulier.

Ruggieri lui montra l’un de ses papiers. L’homme fit signe qu’il obéirait. Ruggieri lui donna alors quelques ordres à voix basse. L’homme répondit:

– J’y vais.

– Non, dit l’astrologue. Pas maintenant.

– Et quand?

– Cette nuit. Je ne pourrai être ici qu’à trois heures et demie. Je veux recueillir moi-même la chose.

– Trois heures et demie. Bon. Je commencerai donc à tourner la manivelle vers trois heures.

Ruggieri approuva d’un signe de tête et sortit.

Mais au moment où il allait franchir la porte du Temple, il s’arrêta soudain et murmura:

– Il faut que je le voie… il est essentiel que je lise dans sa main.

XXXII LA MÉCANIQUE

Après la soudaine intervention de Marie Touchet dans la chambre de torture, les deux Pardaillan avaient été réintégrés dans leur cellule. Un flot d’espoir montait de leurs cœurs à leurs cerveaux. Mais ces deux hommes d’une trempe exceptionnelle, évitèrent de se montrer l’un à l’autre la joie qu’ils éprouvaient.

Simplement, le vieux routier s’écria quand ils eurent été enfermés:

– Pour cette fois, chevalier, je dois convenir que tu n’as pas eu tort de sauver cette aimable personne. Par Pilate, j’aurai donc connu une femme qui aura montré quelque gratitude?

– Vous pouvez ajouter un homme, observa le chevalier.

– Qui donc? Ton Montmorency qui nous laisse mourir dans ce cul de basse-fosse, alors qu’il devrait déjà avoir mis le feu à Paris et fait sauter le Temple pour nous en tirer!

– Mais, monsieur, nous eussions sauté, nous aussi, en ce cas, répondit le chevalier de cet air naïf et narquois qu’il avait quand il se trouvait de bonne humeur. Mais, ajouta-t-il, c’est de Ramus que je voulais parler. Ce digne savant ne nous a-t-il pas tirés d’un fort mauvais pas, rue Montmartre?

– C’est pardieu la vérité. Mort de tous les diables, devrai-je donc me réconcilier avec l’humanité?

Les deux intrépides aventuriers plaisantaient et devisaient paisiblement à l’heure où ils venaient d’échapper à une mort affreuse. Cœurs tendres, esprits vifs et alertes, âmes indomptables, ils dédaignaient de se congratuler, et le peu de cas qu’ils semblaient faire de leur retour à la vie était le plus audacieux défi à la mort et à la souffrance.

Cependant, peu à peu, leur entretien s’attacha à cette charmante et vaillante jeune femme qui leur était apparue comme un ange sauveur. Ils finirent par convenir que leur situation s’était infiniment améliorée et que, sûrement, Marie Touchet les délivrerait.

La journée se passa ainsi.

Et déjà la nuit avait envahi leur cachot, alors que dehors il faisait jour encore, lorsque la porte s’ouvrit.

Avouons que le cœur leur battit fort: était-ce la liberté?…

C’était Ruggieri.

Il entra seul, une lanterne à la main, tandis que les arquebusiers qui l’avaient accompagné se rangeaient dans le couloir, prêts à faire feu à la moindre tentative d’évasion.