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– Et que puis-je pour vous être utile, inspecteurVan Dyke?

Il cherchait une position confortable dans son fauteuil, mais ne semblait pas la trouver.

– Je cherche un homme. Un étranger, lui aussi. Un homme avec qui votre société a peut-être été en contact il y a quelques années…

– Un étranger?

– Un Anglais, oui…

Léger tic au coin de la bouche.

– Un nommé Stephen Travis.

A peine plus prononcé, le tic.

Joachim Pinto réprima un soupir. Jeta un coup d'œil à Anita. Puis regarda fixement l'Océan par la fenêtre de son bureau exigu.

Anita attendit patiemment la réponse.

L'homme finit par pousser un véritable soupir qui se termina par une phrase lâchée comme un fardeau trop lourd:

– Qu'est-ce qu'il a encore fait Travis?

Il la regardait fixement, mais sans ostentation.

D’une certaine manière il venait de mettre les cartes sur la table.

– Vous le connaissez?

Soupir. Puis:

– Oui, bien sûr, je le connais.

– Employé ou ami?

Il esquissa un sourire.

– Les deux.

– Je vous écoute.

– Qu'est-ce que vous voulez savoir?

– Où vit-il? Vous connaissez son adresse actuelle?

Nouveau soupir.

– Vous pourriez me dire ce qu'il a fait, avant?

Cette fois ce fut Anita qui réprima un soupir.

– Il n'a rien fait de répréhensible. Nous souhaiterions simplement l'entendre, comme témoin, au sujet de certains événements et personnes, aux Pays-Bas.

L'homme la regardait toujours droit dans les yeux.

– Je ne sais pas où il vit actuellement, il a plus ou moins disparu de la circulation depuis près de six mois maintenant. Je sais qu'il a vendu sa baraque d'Albufeira et depuis il m'a juste donné un coup de fil, pour me dire que tout allait bien. C'est tout Travis, ça…

– Albufeira?

– Ouais… C'est là qu'il s'est installé après son divorce. Enfin… pas tout de suite. Il a un peu navigué puis a loué quelques maisons avant de s'acheter sa bicoque, à Albufeira. Mais là, je ne sais pas où il est, sincèrement.

Anita sentit que Pinto ne disait pas tout à fait la vérité mais elle n'avait aucun moyen de pression sur lui. Elle continua comme si de rien n'était.

– Savez-vous pourquoi il a déménagé si brusquement?

Un silence.

– Non… Travis a toujours été comme ça. Il pouvait décider de partir pour les Comores et dans la soirée il était déjà en route… Si ça se trouve il est à Bornéo, ou au Brésil. Ou sur la planète Mars.

Je vois, marmonna-t-elle à sa propre intention.

– Si vous deviez le retrouver comment est-ce que vous procéderiez?

Pinto eut du mal à réprimer un rire presque désespéré.

– Travis? Mon dieu… sincèrement avec lui je ne vois qu'une seule solution…

– Laquelle?

– Attendre qu'il veuille bien frapper à ma porte et me dire bonjour comme si on s'était quittés la veille… C'est toujours ainsi que j'ai procédé et ça a toujours fonctionné…

Anita se laissa aller à un petit sourire.

– Travis n'est pas quelqu'un de prévisible. Il ne sait pas lui-même ce qu'il fera le lendemain… Je suis désolé…

– Ce n'est pas grave… Vous avez été extrêmement coopératif, je vous en remercie… Monsieur Pinto, vous m'avez dit tout à l'heure que M. Travis était à la fois votre employé et votre ami… vous pourriez m'en dire un peu plus à ce sujet?

– Quoi, par exemple?

– Eh bien… Comment vous êtes-vous rencontrés, par exemple… ce qu'il faisait exactement… Tout ce qui pourrait me révéler quelques détails significatifs… Vous n'êtes absolument pas tenu de le faire, évidemment…

– Non, non, je n'y vois aucun inconvénient, seulement c'est un peu long et compliqué tout ça, je ne sais pas trop par où commencer…

– Commencez par le début, vous verrez c'est une méthode qui ne marche pas trop mal.

Leurs deux éclats de rire, presque simultanés, allégèrent définitivement l'atmosphère.

– Ah! oui, vous avez raison… Bien voilà. En fait, je suis brésilien, de mère portugaise, mais né à Rio, de père brésilien… Il y a… oh, maintenant presque quinze ans, déjà, j'ai rencontré Travis ici, en Algarve, il venait juste de s'installer et moi aussi. C'était en 78, septembre 78… J'étais skipper à l'époque et une croisière pour des Canadiens m'avait laissé à Faro. Travis venait de Barcelone. On a partagé une bicoque pendant deux-trois mois, le temps de s'installer un peu plus confortablement. Il avait été un excellent marin pour la marine britannique. Il était un des meilleurs skippers que j'aie jamais connus.

Anita tilta aussitôt à l'évocation faite au passé.

– Était?

Un long silence appesantit l'atmosphère püis un nouveau soupir, bizarrement accompagné d'un sourire mystérieux et nostalgique, tandis que le regard semblait se perdre dans quelque lointain film intérieur.

– Oui… Un sacré bon skipper… Mais après, ça n’a pas trop bien tourné…

Anita intensifia son attention. Sans rien dire.

L'homme lui jeta un coup d'œil, soupira et se leva pour se poster à la fenêtre.

– Je crois qu'il connaissait déjà cette femme quand il est arrivé ici, il m'en a parlé assez vite… Il l'avait rencontrée à Barcelone…

– Quelle femme? Eva Kristensen?

– Oui… c'est ça. Une Néerlandaise… comme vous… Je me suis douté que c'était en rapport avec elle votre venue, c'est ça? C'est à cause de ce putain de divorce, non? Travis a fait une connerie? Il a enlevé la petite Alice, c'est ça?

Pinto s'était retourné et son visage était grave maintenant.

L'homme semblait en connaître long sur Travis.

Plus long qu'elle, aucun doute.

Anita leva la main en signe de dénégation.

– Non, non, ne vous inquiétez pas, je vous assure que Travis n'a rien fait… Vous voulez bien reprendre où vous en étiez? Vous avez rencontré Travis ici à Faro puis la femme…

– Oui. Eva Kristensen n'est pas venue tout de suite. Je crois que la première fois qu'elle est passée c’était… oh oui, trois ou quatre mois après l'arrivée de Travis. Elle est restée une petite semaine. Et ils sont rarement sortis de leur chambre…

Une lueur avait étincelé dans le regard de Joachim Pinto.

Anita ne dit rien et le laissa poursuivre.

– Ses venues se sont rapprochées et… en 79, c'est ça, en septembre, elle s'est installée définitivement. Elle a acheté deux bateaux pour Travis et très vite, pendant l'été 80, la petite Alice est née, en Suisse je crois… Puis elles sont revenues, elle et l'enfant…

Le tic nerveux venait à nouveau d'actionner mécaniquement la commissure de ses lèvres.

Un petit soupir.

– Eva Kristensen avait changé. Imperceptiblement. Travis était devenu un ami et j'allais souvent chez eux, dans une magnifique demeure qu'elle avait achetée entre-temps à l'ouest de Lagos…

– Où ça?

Anita s'apprêtait à noter l’adresse sur son carnet.

– La Casa Azul. Maintenant c'est un centre de thalassothérapie… Vous trouverez sans peine.

Casa Azul. Lagos, nota-t-elle vivement.

– Alllez-y, je vous écoute…

– A peine deux ans s'étaient écoulés après la naissance d'Alice quand les relations entre Eva Kristensen et Travis ont commencé à se détériorer… Quelque chose n'allait plus… Quand Alice a eu deux ans, je m'en souviens, une fête d'anniversaire colossale avait lieu à la Casa Azul, j'ai vu que Travis n'allait pas bien. J'ai essayé de lui parler mais il est resté de marbre… Mais pas comme avant. Pas juste laconique, vous voyez… Il était fuyant, mal dans sa peau, je ne l'avais jamais vu comme ça… à peine un an plus tard ils sont tous partis pour Barcelone… Puis la grande maison a été vendue, les bateaux aussi, par mon intermédiaire et j'ai compris qu'ils coupaient les ponts, que je ne reverrais jamais Travis…

L'homme retourna s'asseoir pour s'offrir une pause. Il semblait affronter maintenant des souvenirs qu'il avait profondément enfouis au cœur de sa mémoire.

– Et Travis est revenu? C'est ça?

– Oui.