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Il roula dans l'hypnose désormais coutumière de la conduite, les nerfs aiguisés par le speed, un goût acide sur la langue, les lèvres desséchées et gercées par une bise mystérieuse, purement chimique.

Il n'alluma pas la radio et n'écouta aucune cassette. Il se contenta du ronflement constant du moteur, en contrepoint sur le défilement du monde nocturne autour de la route.

À un moment donné, un peu avant Torrès del Rio, il perçut un mouvement à la périphérie de sa vision. Au prix d'une étrange gymnastique, Alice roula par-dessus le siège passager et vint se placer à ses côtés. Il tourna la tête vers elle en haussant un sourcil.

Elle lui transmit un faible sourire.

Le genre de grimace qui voulait dire «Nous sommes bien embarqués dans la même galère, non?» et Hugo ne put rien répondre qui contredise le fait.

C'est elle qui rompit la glace, quelques heures plus tard. A peine passé Burgos, vers Quintana del Puente, la nuit était déjà bien entamée, il la vit brusquement se tendre, se crisper sur son siège. Il ne sut en expliquer la raison. Elle semblait jusqu'alors tout entière absorbée par de profondes réflexions.

Il alluma l'auto-radio pour détendre l'atmosphère. La station qu'il capta était vraiment trop nulle aussi en chercha-t-il une autre sur la bande FM. Du disco, de la musique folklorique, du disco, du disco, de la variétoche locale, du disco, ah, du classique, oh non, mon dieu, Offenbach, du disco, de la musique folklorique, un discours ennuyeux, du disco et merde… Ah…

Une guitare de blues qui sinuait dans l'espace comme un virus chaleureux.

Il ne reconnut pas le morceau mais opta pour Albert King.

– En fait, j'aimerais dormir… dans un vrai lit… Hugo?

Hugo regardait fixement la route. Il laissa échapper un «quoi?» informe et distendu par les amphétamines.

– J'aimerais qu'on s'arrête Hugo. J'en ai assez de rouler dans cette voiture.

La gosse boudeuse, à nouveau.

Il réprima difficilement un soupir. Qu'est-ce qu'elle voulait, putain, un wagon-lit-pullman?

Mais il perçut la tension extrême qui traversait sa voix blanchie par la fatigue et les émotions contradictoires.

Merde, sois un peu humain, ce n'est qu'une gosse. Une gosse plongée dans un cauchemar.

Il tourna la tête vers elle et lui offrit son sourire le plus engageant, dans la situation présente.

– O.K., O.K… lâcha-t-il de sa voix empoisonee de speed. On va s'arrêter…

Un panneau surgissait d'ailleurs devant eux, comme une oriflamme de métal piégée dans les phares.

Un parador qui tombait à point nommé.

Un chemin obscur menait à la bâtisse, partant d'un petit terre-plein bordant la route.

Il se rangea sur le vaste parking de terre et de gravier qui bordait la haute maison à tourelles, éclairée de quelques projecteurs harmonieusement disposés. La pierre rose semblait revivre sous la lumière électrique, effaçant la patine des siècles et du soleil.

Il coupa la radio, puis le moteur.

À ses côtés, Alice était perdue dans un labyrinthe de pensées, plus sombres les unes que les autres. La situation n'allait visiblement pas en s'arrangeant. Il souhaita qu'elle ne pique pas de dépression nerveuse, là tout de suite, mais il savait au fond de lui-même qu'il ne pourrait lui en vouloir, si tel était le cas.

Un soupir s'échappa de ses lèvres alors qu'il mettait la main sur la poignée de sa portière.

– Hugo? Vous savez… Je vous remercie vraiment pour tout ce que vous faites…

Hugo ouvrit la portière.

Il posait un pied à l'extérieur.

– Hugo? Il faut que vous m'écoutiez… s'il vous plaît.

Il stoppa son mouvement et se retourna vers elle. Il lui transmit le même genre de sourire que dans la voiture. Elle le regardait fixement de ses yeux artificiels et une nuance de désespoir peu commune envahissait ses traits. Elle l'agrippa par le bras.

– Hugo? Promettez-moi une chose…

Il lui fit comprendre d'une mimique de poursuivre.

– Il ne faut pas que ma mère vous retrouve. Vous comprenez?

Il ne détacha pas ses yeux des siens.

Vous retrouve? Pourquoi ne s'adressait-elle qu'à lui? La question était clairement écrite dans son regard. Et Alice la décrypta parfaitement, bien sûr.

Ses yeux noisette auraient pu être vrais tant son émotion était intense et perceptible.

– Promettez-moi de ne pas chercher à la combattre si vous la voyez… sauvez-vous.

Hugo retint un sourire ironique et sûr de lui.

– Écoute Alice, on va être clairs tous les deux… Tu es montée dans ma voiture et j'ai accepté de te conduire jusqu'au Portugal. J'ai sollicité de l'aide auprès de certains amis et maintenant je vais jusqu'à Faro où je te remettrai à ton père. Ne me demande surtout pas pourquoi je le fais et si un jour on te le demande, tu répondras que tu n'en savais rien, voilà, c'est tout, d'accord?

Il la regardait presque durement. Il fallait qu'elle revienne à la réalité, bon dieu. Il y avait des mecs armés lancés à ses trousses, commandés par une mère criminelle et sans doute à moitié dingue, alors ce n'était pas exactement le moment de vouloir faire machine arrière…

– On est lancés… Comme une fusée, on peut pas s'arrêter au décollage. Tu comprends?

Elle en savait assez sur les vols orbitaux pour parfaitement comprendre.

Elle hocha la tête mais elle n'en avait pas fini.

– Ce n'est pas ça… C'est ma mère, Hugo…

– Quoi, ta mère? souffla-t-il.

– Il ne faut pas qu'elle vous retrouve Hugo…

– Oh, bon dieu, Alice…

– Vous ne comprenez pas: je ne sais pas trop ce qu'elle va faire de moi mais je sais ce qu'elle fera si elle vous retrouve.

Elle semblait absolument sûre de son fait. Hugo remit la main sur la poignée de la portière.

– Si elle vous retrouve, elle vous tuera, Hugo, vous comprenez, elle vous tuera!

Il s'éjecta du siège, claqua sa portière et fit le tour de la voiture.

Le visage d'Alice était totalement déstructuré par un mélange virulent d'angoisse et de désespoir. Il attendit patiemment qu'elle veuille bien sortir à son tour puis il lui tendit la main, gentiment, juste pour lui donner un peu de chaleur humaine, et de confiance.

Il n'avait pas du tout l'intention de se faire tuer par qui que ce soit.

CHAPITRE XIII

Elle s'éveilla dans une senteur de pins et de sel, amenée de la plage par un vent frais, qui avait ouvert en grand la fenêtre. Les petits rideaux translucides battaient contre le carreau comme des voiles miniatures.

Anita s'étira voluptueusement dans le lit, en savourant la belle lumière blanche qui tombait sur les draps. Puis elle se leva, se doucha et s'habilla en contemplant les rochers et les criques de sable clair, battues par les vagues. Elle regarda sa montre et vit qu'il n'était pas encore huit heures. Il n'y avait pas de téléphone dans la chambre, aussi descendit-elle au rez-de-chaussée pour prendre son petit déjeuner.

Ce fut une femme corpulente entre deux âges qui lui servit le café et les tartines, dans un silence poli, un simple sourire aux lèvres. La femme lui avait juste lancé un petit «Bom dia» enjoué, et tout aussi ensoleillé que l'univers extérieur, en la croisant près du bar. Puis elle avait amené le plateau, à peine cinq minutes plus tard.

Anita se jeta sur le petit déjeuner avec un entrain qui la surprit. L'air de l'océan, le dépaysement, le soleil, la gentillesse tranquille des gens, tout cela devait concourir à ce soudain appétit.

Elle avala deux grands bols de café, dévora l'ensemble des tartines et se sentit prête à affronter une armée d'avocats.

Elle régla sa note sur le coin du bar, au patron qui venait de faire son apparition.

Elle retenta le coup, pour Travis.

– Est-ce que vous pourriez m'indiquer un endroit où on loue des bateaux, avec un skipper… Par ici, dans le coin…