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Le capitaine Da Costa la dévisagea un instant.

– Bien. Nous avons fait des recherches sur cet Anglais, Stephen Travis.

Il compulsait vaguement les feuillets dispersés sur son bureau.

Anita ne répondit rien.

– Sa dernière adresse connue est habitée par un couple d'Allemands, maintenant. Il aurait déménagé il y a trois mois environ. Nous ne savons pas encore où.

Anita digéra l'information.

– Vous auriez cette adresse? Le flic la dévisagea à nouveau.

– Vous n'y apprendrez rien. Notre inspecteur a questionné les Allemands et le personnel de l'agence immobilière. Stephen Travis avait déjà entièrement vidé la maison lorsque la transaction a été conclue. Les Allemands sont arrivés une semaine plus tard. L'agence n'a jamais plus entendu parler de l'Anglais.

Anita tentait d'analyser le tout en quelques micro-secondes.

– Ils n'ont vraiment aucune idée de l'endroit où il serait parti?

Le flic eut comme une esquisse de geste fataliste de la main, qui signifiait au moins une chose: l'homme pouvait être n'importe où. Et sans doute hors de l'Algarve, et même du Portugal.

Anita s'accrocha.

– Écoutez, Capitaine, donnez-moi cette adresse. C'est la seule chose solide que j'aie pour démarrer…

L'homme poussa un autre soupir, qui exprimait à quel point il ne comprenait pas pourquoi la police néerlandaise pouvait avoir tant besoin de l'adresse d'un ancien marin anglais vivant au Portugal. Il griffonna quelque chose sur un morceau de papier.

– D'autre part, sans vous y obliger…

Anita suspendit sa phrase pour attirer son attention.

L'homme levait un sourcil.

– …serait-il possible de parler à l'inspecteur qui a interrogé les nouveaux locataires et l'agence?

L'homme réprima un bougonnement.

– L'inspecteur Oliveira? Vous le trouverez à la quatrième section, au premier.

Anita comprit que l'entretien touchait à sa fin. Déjà le regard du gros flic se perdait dans l'azur lumineux qui surplombait la mer.

– Bien. Je vous remercie pour tout le mal que vous vous donnez, Capitaine.

Elle ne s'attarda pas une seconde de plus.

En franchissant le seuil du restaurant, Anita remercia le culot qui avait poussé l'inspecteur à l’inviter à dîner.

À la quatrième section, Antonio Oliveira s'était révélé un jeune flic serviable et visiblement efficace. Il lui avait patiemment raconté ses entrevues avec l'agent immobilier et le couple de locataires allemands. L'homme lui avait ensuite expliqué que des affaires plus urgentes avaient retenu son attention. Son sourire exprimait la dure réalité que tous les flics connaissent, que ce soit à Amsterdam ou à Faro et Anita avait saisi le message.

– Oui, j'imagine que le travail ne manque pas, même ici…

– Non, avait répondu le jeune flic, et encore ce n'est pas la grande saison.

La discussion avait ensuite dérivé sur le raz de marée de pickpockets, voleurs de voitures, dealers et autres arsouilles qui déboulaient ici chaque été, avec le flot de touristes, et Anita s'était contentée de hocher la tête en silence, à plusieurs reprises.

Elle avait à son tour expliqué les éléments de l'affaire et donné en deux ou trois détails révélateurs une idée du travail que les flics avaient à assumer à Amsterdam.

Elle perçut une note d'intérêt authentique dans l'œil du jeune flic et elle se rendait compte également que son charme flamand ne le laissait pas tout à fait insensible.

Elle avait peu de temps. Elle devait retrouver l'Anglais en quelques jours. Elle décida de jouer legrand jeu. Il serait tout à fait capital d'avoir un allié sûr dans cette course contre la montre. Un type qui connaîtrait le terrain, son boulot, et serait, disons, légèrement plus motivé que la normale.

Elle allait se jeter à l'eau lorsque le flic l'avait devancée, laissant tomber:

– Vous pensez que nous pourrions prendre le temps de dîner et de parler de tout ça devant quelques filets d'espadon?

Et maintenant un jeune garçon les emmenait à leur table, recouverte d'une petite nappe blanche, près d'une fenêtre donnant directement sur une crique escarpée.

Oui, pensait-elle en s'asseyant à sa place, il faut également que je comprenne rapidement comment agirait un flic du coin.

Elle laissa le repas commencer avant d'attaquer sérieusement.

– Vous ne m'avez pas dit ce que faisait ce Travis…

Oliveira fit une petite grimace.

– Hmm, pas très clair visiblement.

Anita accentua son attention.

– Vous pouvez m'en dire plus?

Elle avala une bouchée d'espadon.

– Oui. J'ai eu le temps de réunir quelques informations, en fait.

Un sourire frisait ses commissures et ses yeux pétillaient de malice.

Anita ne put s'empêcher de rire.

– Ah ça, vous alors… Bon sang, mais quand est ce que vous vous seriez décidé à me le dire?

Le jeune flic esquissa un geste dans l'espace, dont Anita perçut le sens. À un moment ou à un autre. Mais c'était tellement mieux ici, non?

Anita masqua son rire d'une main retournée. Quelques cheveux cuivrés balayèrent ses yeux et elle replaça d'un geste la mèche rebelle. Elle se rendit compte immédiatement que son mouvement avait déclenché quelque chose chez le jeune flic.

Elle n'était certes pas un de ces canons plastiformes de couvertures de magazine ou de vidéo-clip. Son visage triangulaire était trop mince, ses pommettes trop saillantes, son corps un peu trop longiligne à son goût, et elle avait toujours rêvé de posséder des formes, disons, plus sensuelles. Mais, elle savait que ses yeux provoquaient souvent quelques montées d'adrénaline et il arrivait même qu'elle puisse lire des formes variées de désir sexuel chez des individus du sexe mâle.

Ça semblait bien être le cas.

Tout doux, pensa-t-elle. Ce n'est pas non plus tout à fait le moment de t'embarquer dans une affaire sentimentale, pour autant qu'il s'agisse une seconde de ça.

Elle rétablit un masque un peu plus austère.

– Bon, dites-moi de quoi il s'agit, qu'est-ce qu'il faisait ce Travis?

Oliveira détacha ses yeux d'elle et réfléchit un instant avant de se lancer:

– J'y vais dans l'ordre chronologique. Enseigne de vaisseau dans la Royal Navy. Opère en Extrême-Orient, d'abord, puis à Gibraltar. Après sept années de bons et loyaux services pour celui de Sa Majesté, il s'installe à Barcelone, puis en Andalousie, puis en Algarve. Entre-temps il a fait connaissance de cette femme hollandaise, Eva Kristensen. L'homme pratique de multiples activités. Il peint quelques toiles qu'il expose au Portugal et en Espagne et promène des touristes l'été, soit sur un voilier, soit sur un cabin-cruiser. La femme voyage beaucoup, à l'étranger, diverses affaires, très fructueuses. Peu après la naissance de leur fille, la famille déménage à Barcelone et là je n'ai plus rien… Mais pendant les mois qui ont précédé le départ, il semblerait que Travis ait été en contact avec divers individus louches, à Lisbonne, et en Espagne… Des types du milieu, plus ou moins apparentés à diverses branches de la maffia italienne. Pas net. Après, je ne sais pas grand-chose, sauf qu'après le divorce, il y a cinq ans environ, il est revenu vivre par ici, en Algarve. Il ne sortait presque plus, peignait toute la journée et exposait très irrégulièrement.

Anita ne masqua pas son admiration. Pour un type qui avait vaguement expédié l'enquête…

L'homme avait sorti ça sur un rythme fluide et chantant, qu'elle était arrivée à suivre sans peine.

Oui, ça marchait. Elle commençait à se sentir presque chez elle. Elle commençait à penser portugais.

– Bien, comment est-ce que vous procéderiez, vous, à ma place?

Elle avala une autre bouchée d'espadon. L'homme eut un petit rire, à peine esquissé.

– Qu'est-ce qui vous fait croire qu'il vit toujours par ici?

– Rien. Mais pourquoi pas commencer par ici?

Oliveira lui jeta un coup d'œil furtif, mais où perçait l'amusement, et un peu d'étonnement.