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Il fut réveillé par la lumière. La haute et dure lumière du soleil, le frappant de plein fouet à travers les vitres.

Un silence parfait emplissait la chambre. Il se tourna doucement sur le côté et se réveilla tout à fait.

Le lit d'Alice était défait. Et elle n'y était plus.

La douche ne fonctionnait pas. La pièce était parfaitement vide. Son sac de sport avait disparu de la chaise près de l'armoire.

Oh, non, pensa-t-il instinctivement, s'attendant au pire.

Il se jeta sur ses vêtements puis, rapidement, sa tête sous le robinet, fit couler un puissant jet d'eau froide qui le recolla à la réalité de l'instant présent.

Il dévala les marches moyenâgeuses quatre à quatre et se précipita au bureau de la réception, les cheveux ébouriffés d'humidité. Un jeune garçon en costume bleu aux armes de l'hôtel rangeait le courrier dans les boîtes.

Hugo l'apostropha dans son espagnol rudimentaire:

– Vous savoir où est la petite fille? Ma fille?

L'homme le regarda un instant, tentant d'intégrer l'apparition aux cheveux dressés sur la tête.

– Vous êtes quelle chambre? lui demanda-t-il en essayant de ne pas détailler la toison hérissée.

– Le 29. Chambre 29, ma fille est blonde… heu non… brune… avec un… pantalon… de sport noir et un… blouson, rouge sombre…

– Ah oui, monsieur Zukor (le type consultait sa fiche)… Elie est partie ce matin de l'hôtel… Elle nous a demandé le bourg le plus proche…

Nom de dieu, Hugo réfléchissait à toute vitesse.

– Elle ne vous a laissé aucun message?

– Heu… non senor, elle nous a juste demandé de vous remettre cette carte…

L'homme sortait une petite enveloppe blanche et la tendit à Hugo.

L'enveloppe était dure. Il y avait une carte dedans. Sur l'enveloppe il était juste écrit: Berthold Zukor. Il envoya un regard venimeux au jeune employé, trop lent à son goût et déchira l'enveloppe.

Une carte achetée ici même. Avec une photo du Parador.

Il retourna la carte. Quelques mots écrits en néerlandais, d'une plume vive et sûre.

Très cher «Berthold»,

Vous avez fait, je crois, tout ce qu'il était possible de faire pour moi.

Mais vous n'êtes pour rien dans ce qui m'arrive. Il est donc inutile de vous faire courir des risques pour une histoire qui en comporte beaucoup, et dans laquelle je vous ai fait entrer par accident.

Ne m'en veuillez pas. Laissez-moi aller seule rejoindre mon père au Portugal. Je ne suis plus très loin, maintenant.

Puis en français, d'une main qui avait paru légèrement moins sûre:

Merci pour tout ce que vous avez fait.

Ne cherchez pas à me suivre, svp.

Il fut estomaqué par la maturité qui se dégageait de cette petite missive. Et surtout par le fait que pas une fois il n'avait mentionné ses véritables origines à Alîce. Il ne se connaissait pas d'accent particulier, son père lui ayant très tôt enseigné les rudiments de la langue.

Alors, putain de nom de dieu… Comment avait elle fait pour deviner qu'il était français?

Il fourra la carte dans sa poche.

– Où est le bourg le plus proche?.

– Là-bas, à trois kilomètres, vers Torquemada…

Hugo sortit sa carte de crédit.

– Pour la nuit…

L'homme prit la carte entre ses doigts et le regard de Hugo percuta la petite horloge murale, derrière le bar. Onze heures moins dix.

– Heu… À quelle heure ma fille partir?

– Heu… tôt ce matin, Monsieur… Il y a trois heures environ…

L'homme actionna le sabot de la machine et revint vers lui avec la carte et le petit reçu.

Hugo signa le reçu et le détacha de sa copie carbone.

– Il y a une station d'autocars au village?

– Une station d'autocars? Oui il y en a une…

– Avec des autocars pour le Portugal?

– Pour le Portugal? Oui, oui il y a une ligne vers Guarda, à la frontière… On change de car à Salamanque…

– Merci…

Il se jetait déjà vers la sortie en laissant voler le petit carbone sur les marches inondées de soleil.

Il ne vit aucune fille brune ressemblant à Alice à la station d'autocars ou dans les parages, évidemment. Dans le petit office de la ligne un employé de la compagnie lui apprit que le car du matin pour Salamanque était parti à neuf heures. Bon dieu.

– Vous avoir vu une jeune fille brune… ma fille… douze ans, avec un blouson rouge… heu dans l'autocar de Salamanque?

L'homme regarda Hugo, qui s'était vaguement arrangé entre-temps dans la voiture.

– Oui, consentit-il à lâcher précautionneusement… Elle a pris un billet… Une jeune fille qui parlait avec un accent et…

Hugo ne le laissa même pas finir. Il se propulsait déjà sur le trottoir où il avait garé la voiture.

Il prit la direction de Salamanque en faisant turbiner le moteur, un bon cent soixante-dix, sur la file de gauche. Il ne fit pas de quartier aux quelques conducteurs égarés là, sur la mauvaise voie, pour on ne sait quelle obscure raison. Ils furent copieusement arrosés à coups de phares à iode.

Pour combattre le sommeil, la nuit avait été courte, et le réveil outrageusement rapide, il avala un comprimé de Désoxyne, à sec.

Comme petit déjeuner, il avait connu mieux.

La traversée de Valladolid, sur la N5Ol, fut pénible, terriblement longue, entrecoupée de multiples feux et de quelques ralentissements. Le seul souvenir qu'il conserverait de cette ville serait cerné par le rectangle de Plexiglas du pare-brise.

La route de Salamanque était une simple route à deux voies, dans un décor sec, plat, aux arbres rabougris, déjà assommés par le soleil. La route était encombrée de camions et de petits vans japonais, ainsi que de quelques autocars de touristes allemands.

Il exécuta plusieurs danses périlleuses entre les véhicules qui se croisaient sur la route mais il n'arriva pas à Salamanque avant midi et demi.

La station d'autocars se trouvait à l'entrée de la ville et il ne s'agissait que d'un vague panneau de métal planté dans le bitume défoncé, recouvert d'une poussière presque jaune.

Il entra dans le premier café et ne vit Alice nulle part dans la salle. Il demanda où il pourrait trouver un horaire d'autocars à une jolie brunette de vingt ans, qui servait au bar où il s'offrit un Coca glacé. Il ne voulut pas perdre de temps pour manger, aussi avala-t-il un autre comprimé, avec le Coca. Les amphétamines sont des armes de régime indépassables. Tant que vous en prenez la faim est effacée et elles peuvent ainsi vous faire maigrir à en mourir.

Il s'enfila la boisson en deux ou trois traits, en détaillant l'horaire des cars que la belle fille brune en robe noire lui avait procuré avec un sourire ensorcelant, et qui aurait sans doute pu le faire succomber, en d'autres circonstances.

Alice était arrivée à onze heures moins le quart. Un quart d'heure avant le car de Guarda, parti il y avait juste une heure et demie…

Une heure et demie. Elle n'avait pas plus de cent bons kilomètres d'avance!

Putain.

Hugo jeta un billet qui valait le double du Coca et s'éjecta du bar sans un mot, accordant malgré tout un ultime coup d'œil à la beauté sombre et sauvage.

Cent bons kilomètres, disons cent trente, ça voulait dire que le car était presque arrivé à Guarda alors que lui sortait à peine de Salamanque, se ditil en consultant sa carte, étalée sur le siège passager.

Il lui sembla mettre des siècles pour atteindre la frontière.