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N’eût-il pas été fort curieux qu’une belle dédaigneuse comme je l’étais, que moi, qui aurais voulu connaître dix ans de la vie d’un homme avant de lui donner ma main à baiser, je me fusse livrée, dans une auberge, sur un grabat, au premier venu! et, ma foi, cela n’a pas tenu à grand-chose.

Une effervescence subite, un bouillon de sang peut-il à ce point mater les résolutions les plus superbes? et la voix du corps parle-t-elle plus haut que la voix de l’esprit? – Toutes les fois que mon orgueil envoie trop de bouffées vers le ciel, pour le ramener à terre, je lui mets le souvenir de cette nuit devant les yeux. – Je commence à être de l’avis des hommes: quelle pauvre chose que la vertu des femmes! et de quoi dépend-elle, mon Dieu!

Ah! c’est en vain que l’on veut déployer des ailes, trop de limon les charge; le corps est une ancre qui retient l’âme à la terre: elle a beau ouvrir ses voiles au vent des plus hautes idées, le vaisseau reste immobile, comme si tous les rémoras de l’Océan se fussent suspendus à sa quille. La nature se plaît à nous faire de ces sarcasmes-là. Quand elle voit une pensée debout sur son orgueil comme sur une haute colonne toucher presque le ciel de la tête, elle dit tout bas à la liqueur rouge de hâter le pas et de se presser à la porte des artères; elle commande aux tempes de siffler, aux oreilles de tinter, et voilà que le vertige prend à l’idée altière: toutes les images se confondent et se brouillent, la terre semble onduler comme le pont d’une barque dans la tempête, le ciel tourne en rond et les étoiles dansent la sarabande; ces lèvres, qui ne débitaient que maximes austères, se plissent et s’avancent comme pour des baisers; ces bras, si fermes à repousser, s’amollissent et se font plus souples et plus enlaçants que des écharpes. Ajoutez à cela le contact d’un épiderme, le souffle d’une haleine à travers vos cheveux, et tout est perdu. – Souvent même il ne faut pas tant: – une odeur de feuillage qui vous arrive des champs par votre fenêtre entrouverte, la vue de deux oiseaux qui se becquettent, une marguerite qui s’épanouit, une ancienne chanson d’amour qui vous revient malgré vous et que vous répétez sans en comprendre le sens, un vent tiède qui vous trouble et vous enivre, la mollesse de votre lit ou de votre divan, il suffit d’une de ces circonstances; la solitude même de votre chambre vous fait penser que l’on y serait bien deux et que l’on ne saurait trouver un nid plus charmant pour une couvée de plaisirs. Ces rideaux tirés, ce demi-jour, ce silence, tout vous ramène à l’idée fatale qui vous effleure de ses perfides ailes de colombe, et qui roucoule tout doucement autour de vous. Les tissus qui vous touchent semblent vous caresser et collent amoureusement leurs plis au long de votre corps. – Alors la jeune fille ouvre ses bras au premier laquais avec qui elle se trouve seule; le philosophe laisse sa page inachevée, et, la tête dans son manteau, court en toute hâte chez la plus voisine courtisane.

Je n’aimais certainement pas l’homme qui me causait des agitations si étranges. – Il n’avait d’autre charme que de ne pas être une femme, et, dans l’état où je me trouvais, c’était assez! Un homme! cette chose si mystérieuse qu’on nous dérobe avec tant de soin, cet animal étrange dont nous savons si peu l’histoire, ce démon ou ce dieu qui peut seul réaliser tous les rêves de volupté indécise dont le printemps berce notre sommeil, la seule pensée que l’on ait depuis l’âge de quinze ans!

Un homme! – L’idée confuse du plaisir flottait dans ma tête alourdie. Le peu que j’en savais allumait encore mon désir. Une ardente curiosité me poussait d’éclaircir une bonne fois les doutes qui m’embarrassaient et se représentaient sans cesse à mon esprit. La solution du problème était derrière la page: il n’y avait qu’à la tourner, le livre était à côté de moi. – Un chevalier assez beau, un lit assez étroit, une nuit assez noire! – une jeune fille avec quelques verres de vin de Champagne dans le cerveau! – quel assemblage suspect! – Eh bien! de tout cela il n’est résulté qu’un très honnête néant.

Sur le mur où je tenais les yeux fixés, à la faveur d’une obscurité moins épaisse, je commençais à distinguer la place de la croisée; les carreaux devenaient moins opaques, et la lueur grise du matin, qui glissait derrière, leur rendait la transparence; le ciel s’éclaira peu à peu: il était jour. – Tu ne peux t’imaginer quel plaisir me fit ce pâle rayon sur la teinture verte de serge d’Aumale qui entourait le glorieux champ de bataille ou ma vertu avait triomphé de mes désirs! Il me sembla que c’était ma couronne de victoire.

Quant au compagnon, il était tout à fait tombé par terre.

Je me levai, je me rajustai au plus vite et je courus à la fenêtre; je l’ouvris, la brise matinale me fit du bien.

Pour me peigner je me mis devant le miroir, et je fus étonnée de la pâleur de ma figure que je croyais pourpre.

Les autres entrèrent pour voir si nous étions encore endormis, et poussèrent du pied leur ami qui ne parut pas très surpris de se trouver où il était.

On sella les chevaux, et nous nous remîmes en route. – Mais en voici assez pour aujourd’hui ma plume ne marque plus, et je n’ai pas envie de la tailler je te dirai une autre fois le reste de mes aventures en attendant, aime-moi comme je t’aime, Graciosa la bien nommée, et, d’après ce que je viens de te conter, ne va pas avoir une trop mauvaise opinion de ma vertu.

Chapitre 11

Beaucoup de choses sont ennuyeuses…

Beaucoup de choses sont ennuyeuses: il est ennuyeux de rendre l’argent qu’on avait emprunté, et qu’on s’était accoutumé à regarder comme à soi; il est ennuyeux de caresser aujourd’hui la femme qu’on aimait hier; il est ennuyeux d’aller dans une maison à l’heure du dîner, et de trouver que les maîtres sont partis pour la campagne depuis un mois; il est ennuyeux de faire un roman, et plus ennuyeux de le lire; il est ennuyeux d’avoir un bouton sur le nez et les lèvres gercées le jour où l’on va rendre visite à l’idole de son cœur; il est ennuyeux d’être chaussé de bottes facétieuses, souriant au pavé par toutes leurs coutures, et surtout de loger le vide derrière les toiles d’araignée de son gousset; il est ennuyeux d’être portier; il est ennuyeux d’être empereur; il est ennuyeux d’être soi, et même d’être un autre; il est ennuyeux d’aller à pied parce que l’on se fait mal à ses cors, à cheval parce que l’on s’écorche l’antithèse du devant, en voiture parce qu’un gros homme se fait immanquablement un oreiller de votre épaule, sur le paquebot parce que l’on a le mal de mer et qu’on se vomit tout entier; – il est ennuyeux d’être en hiver parce que l’on grelotte, et en été parce qu’on sue; mais ce qu’il y a de plus ennuyeux sur terre, en enfer et au ciel, c’est assurément une tragédie, à moins que ce ne soit un drame ou une comédie.

Cela me fait réellement mal au cœur. – Qu’y a-t-il de plus niais et de plus stupide? Ces gros tyrans à voix de taureau, qui arpentent le théâtre d’une coulisse à l’autre, en faisant aller comme des ailes de moulin leurs bras velus, emprisonnés dans des bas de couleur de chair, ne sont-ils pas de piètres contrefaçons de Barbe-Bleue ou de Croquemitaine? Leurs rodomontades feraient pouffer de rire quiconque se pourrait tenir éveillé.

Les amantes infortunées ne sont pas moins ridicules. – C’est quelque chose de divertissant que de les voir s’avancer, vêtues de noir ou de blanc, avec des cheveux qui pleurent sur leurs épaules, des manches qui pleurent sur leurs mains, et le corps prêt à saillir de leur corset comme un noyau qu’on presse entre les doigts; ayant l’air de traîner le plancher à la semelle de leurs souliers de satin, et, dans les grands mouvements de passion, repoussant leur queue en arrière avec un petit coup de talon. – Le dialogue, exclusivement composé de oh! et de ah! qu’elles gloussent en faisant la roue, est vraiment une agréable pâture et de facile digestion. – Leurs princes sont aussi fort charmants; ils sont seulement un peu ténébreux et mélancoliques, ce qui ne les empêche pas d’être les meilleurs compagnons qui soient au monde et ailleurs.