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Il parlent sans se presser, sans crier, comme des gens de bonne compagnie qui n’attachent pas grande importance à ce qu’ils font: l’amoureux fait à l’amoureuse sa déclaration de l’air le plus détaché du monde; tout en causant, il frappe sa cuisse du bout de son gant blanc, ou rajuste ses canons. La dame secoue nonchalamment la rosée de son bouquet, et fait des pointes avec sa suivante; l’amoureux se soucie très peu d’attendrir sa cruelle: sa principale affaire est de laisser tomber de sa bouche des grappes de perles, des touffes de roses, et de semer en vrai prodigue les pierres précieuses poétiques; – souvent même il s’efface tout à fait, et laisse l’auteur courtiser sa maîtresse pour lui. La jalousie n’est pas son défaut, et son humeur est des plus accommodantes. Les yeux levés vers les bandes d’air et les frises du théâtre, il attend complaisamment que le poète ait achevé de dire ce qui lui passait par la fantaisie pour reprendre son rôle et se remettre à genoux.

Tout se noue et se dénoue avec une insouciance admirable: les effets n’ont point de cause, et les causes n’ont point d’effet; le personnage le plus spirituel est celui qui dit le plus de sottises; le plus sot dit les choses les plus spirituelles; les jeunes filles tiennent des discours qui feraient rougir des courtisanes; les courtisanes débitent des maximes de morale. Les aventures les plus inouïes se succèdent coup sur coup sans qu’elles soient expliquées; le père noble arrive tout exprès de la Chine dans une jonque de bambou pour reconnaître une petite fille enlevée; les dieux et les fées ne font que monter et descendre dans leurs machines. L’action plonge dans la mer sous le dôme de topaze des flots, et se promène au fond de l’Océan, à travers les forêts de coraux et de madrépores, ou elle s’élève au ciel sur les ailes de l’alouette et du griffon. – Le dialogue est très universel; le lion y contribue par un oh! oh! vigoureusement poussé; la muraille parle par ses crevasses, et, pourvu qu’il ait une pointe, un rébus ou un calembour à y jeter, chacun est libre d’interrompre la scène la plus intéressante: la tête d’âne de Bottom est aussi bien venue que la tête blonde d’Ariel; – l’esprit de l’auteur s’y fait voir sous toutes les formes; et toutes ces contradictions sont comme autant de facettes qui en réfléchissent les différents aspects, en y ajoutant les couleurs du prisme.

Ce pêle-mêle et ce désordre apparents se trouvent, au bout du compte, rendre plus exactement la vie réelle sous ses allures fantasques que le drame de mœurs le plus minutieusement étudié. – Tout homme renferme en soi l’humanité entière, et en écrivant ce qui lui vient à la tête il réussit mieux qu’en copiant à la loupe les objets placés en dehors de lui.

Ô la belle famille! – jeunes amoureux romanesques, demoiselles vagabondes, serviables suivantes, bouffons caustiques, valets et paysans naïfs, rois débonnaires, dont le nom est ignoré de l’historien, et le royaume du géographe; graciosos bariolés, clowns aux reparties aiguës et aux miraculeuses cabrioles; ô vous qui laissez parler le libère caprice par votre bouche souriante, je vous aime et je vous adore entre tous et sur tous: – Perdita, Rosalinde, Célie, Pandarus, Parolles, Silvio, Léandre et les autres, tous ces types charmants, si faux et si vrais, qui, sur les ailes bigarrées de la folie, s’élèvent au-dessus de la grossière réalité, et dans qui le poète personnifie sa joie, sa mélancolie, son amour et son rêve le plus intime sous les apparences les plus frivoles et les plus dégagées.

Dans ce théâtre, écrit pour les fées, et qui doit être joué au clair de lune, il est une pièce qui me ravit principalement; – c’est une pièce si errante, si vagabonde, dont l’intrigue est si vaporeuse et les caractères si singuliers que l’auteur lui-même, ne sachant quel titre lui donner, l’a appelée Comme il vous plaira, nom élastique, et qui répond à tout.

En lisant cette pièce étrange, on se sent transporté dans un monde inconnu, dont on a pourtant quelque vague réminiscence: on ne sait plus si l’on est mort ou vivant, si l’on rêve ou si l’on veille; de gracieuses figures vous sourient doucement, et vous jettent, en passant, un bonjour amical; vous vous sentez ému et troublé à leur vue, comme si, au détour d’un chemin, vous rencontriez tout à coup votre idéal, ou que le fantôme oublié de votre première maîtresse se dressât subitement devant vous. Des sources coulent en murmurant des plaintes à demi étouffées; le vent remue les vieux arbres de l’antique forêt sur la tête du vieux duc exilé, avec des soupirs compatissants; et, lorsque James le mélancolique laisse aller au fil de l’eau, avec les feuilles du saule, ses philosophiques doléances, il vous semble que c’est vous-même qui parlez, et que la pensée la plus secrète et la plus obscure de votre cœur se révèle et s’illumine.

Ô jeune fils du brave chevalier Rowland des Bois, tant maltraité du sort! je ne puis m’empêcher d’être jaloux de toi; tu as encore un serviteur fidèle, le bon Adam, dont la vieillesse est si verte sous la neige de ses cheveux. – Tu es banni, mais au moins tu l’es après avoir lutté et triomphé; ton méchant frère t’enlève tout ton bien, mais Rosalinde te donne la chaîne de son cou; tu es pauvre, mais tu es aimé; tu quittes ta patrie, mais la fille de ton persécuteur te suit au-delà des mers.

Les noires Ardennes ouvrent, pour te recevoir et te cacher, leurs grands bras de feuillage; la bonne forêt, pour te coucher, amasse au fond de ses grottes sa mousse la plus soyeuse; elle incline ses arceaux sur ton front afin de te garantir de la pluie et du soleil; elle te plaint avec les larmes de ses sources et les soupirs de ses faons et de ses daims qui brament; elle fait de ses rochers de complaisants pupitres pour tes épîtres amoureuses; elle te prête les épines de ses buissons pour les suspendre, et ordonne à l’écorce de satin de ses trembles de céder à la pointe de ton stylet quand tu veux y graver le chiffre de Rosalinde.

Si l’on pouvait, jeune Orlando, avoir comme toi une grande forêt ombreuse pour se retirer et s’isoler dans sa peine, et si, au détour d’une allée, on rencontrait celle que l’on cherche, reconnaissable, quoique déguisée! – Mais, hélas! le monde de l’âme n’a pas d’Ardennes verdoyantes, et ce n’est que dans le parterre de poésie que s’épanouissent ces petites fleurs capricieuses et sauvages dont le parfum fait tout oublier. Nous avons beau verser des larmes, elles ne forment pas de ces belles cascades argentines; nous avons beau soupirer, aucun écho complaisant ne se donne la peine de nous renvoyer nos plaintes ornées d’assonances et de concetti. – C’est en vain que nous accrochons des sonnets aux piquants de toutes les ronces, jamais Rosalinde ne les ramasse, et c’est gratuitement que nous entaillons l’écorce des arbres de chiffres amoureux.

Oiseaux du ciel, prêtez-moi chacun une plume, l’hirondelle comme l’aigle, le colibri comme l’oiseau roc, afin que je m’en fasse une paire d’ailes pour voler haut et vite par des régions inconnues, où je ne retrouve rien qui rappelle à mon souvenir la cité des vivants, où je puisse oublier que je suis moi, et vivre d’une vie étrange et nouvelle, plus loin que l’Amérique, plus loin que l’Afrique, plus loin que l’Asie, plus loin que la dernière île du monde, par l’océan de glace, au-delà du pôle où tremble l’aurore boréale, dans l’impalpable royaume où s’envolent les divines créations des poètes et les types de la suprême beauté.

Comment supporter les conversations ordinaires dans les cercles et les salons, quand on t’a entendu parler, étincelant Mercutio, dont chaque phrase éclate en pluie d’or et d’argent, comme une bombe d’artifices sous un ciel semé d’étoiles? Pâle Desdémona, quel plaisir veux-tu que l’on prenne, après la romance du Saule, à aucune musique terrestre? Quelles femmes ne semblent pas laides à côté de vos Vénus, sculpteurs antiques, poètes aux strophes de marbre?