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Quant à la comédie qui doit corriger les mœurs, et qui s’acquitte heureusement assez mal de son devoir, je trouve que les sermons des pères et les rabâcheries des oncles sont aussi assommants sur le théâtre que dans la réalité. – Je ne suis pas d’avis que l’on double le nombre des sots en les représentant; il y en a déjà bien assez comme cela, Dieu merci, et la race n’est pas près de finir. – Où est la nécessité que l’on fasse le portrait de quelqu’un qui a un groin de porc ou un mufle de bœuf, et qu’on recueille les billevesées d’un manant que l’on jetterait par la fenêtre s’il venait chez vous? L’image d’un cuistre est aussi peu intéressante que ce cuistre lui-même, et pour être vu au miroir, ce n’en est pas moins un cuistre. – Un acteur qui parviendrait à imiter parfaitement les poses et les manières des savetiers ne m’amuserait pas beaucoup plus qu’un savetier réel.

Mais il est un théâtre que j’aime, c’est le théâtre fantastique, extravagant, impossible, où l’honnête public sifflerait impitoyablement dès la première scène, faute d’y comprendre un mot.

C’est un singulier théâtre que celui-là. – Des vers luisants y tiennent lieu de quinquets; un scarabée battant la mesure avec ses antennes est placé au pupitre. Le grillon y fait sa partie; le rossignol est première flûte; de petits sylphes, sortis de la fleur des pois, tiennent des basses d’écorce de citron entre leurs jolies jambes plus blanches que l’ivoire, et font aller à grand renfort de bras des archets faits avec un cil de Titania sur des cordes de fil d’araignée; la petite perruque à trois marteaux dont est coiffé le scarabée chef d’orchestre frissonne de plaisir, et répand autour d’elle une poussière lumineuse, tant l’harmonie est douce et l’ouverture bien exécuter!

Un rideau d’ailes de papillon, plus mince que la pellicule intérieure d’un œuf, se lève lentement après les trois coups de rigueur. La salle est pleine d’âmes de poètes assises dans des stalles de nacre de perle, et qui regardent le spectacle à travers des gouttes de rosée montées sur le pistil d’or des lis. – Ce sont leurs lorgnettes.

Les décorations ne ressemblent à aucune décoration connue; le pays qu’elles représentent est plus ignoré que l’Amérique avant sa découverte. – La palette du peintre le plus riche n’a pas la moitié des tons dont elles sont diaprées: tout y est peint de couleurs bizarres et singulières: la cendre verte, la cendre bleue, l’outremer, les laques jaunes et rouges y sont prodigués.

Le ciel, d’un bleu verdissant, est zébré de larges bandes blondes et fauves; de petits arbres fluets et grêles balancent sur le second plan leur feuillage clairsemé, couleur de rose sèche; les lointains, au lieu de se noyer dans leur vapeur azurée, sont du plus beau vert pomme, et il s’en échappe çà et là des spirales de fumée dorée. – Un rayon égaré se suspend au fronton d’un temple ruiné ou à la flèche d’une tour. – Des villes pleines de clochetons, de pyramides, de dômes, d’arcades et de rampes sont assises sur les collines et se réfléchissent dans des lacs de cristal; de grands arbres aux larges feuilles, profondément découpées par les ciseaux des fées, enlacent inextricablement leurs troncs et leurs branches pour faire les coulisses. Les nuages du ciel s’amassent sur leurs têtes comme des flocons de neige, et l’on voit scintiller dans leurs interstices les yeux des nains et des gnomes, leurs racines tortueuses se plongent dans le sol comme le doigt d’une main de géant. Le pivert les frappe en mesure avec son bec de corne, et des lézards d’émeraude se chauffent au soleil sur la mousse de leurs pieds.

Le champignon regarde la comédie son chapeau sur la tête, comme un insolent qu’il est, la violette mignonne se dresse sur la pointe de ses petits pieds entre deux brins d’herbe, et ouvre toutes grandes ses prunelles bleues, afin de voir passer le héros.

Le bouvreuil et la linotte se penchent au bout des rameaux pour souffler les rôles aux acteurs.

À travers les grandes herbes, les hauts chardons pourprés et les bardanes aux feuilles de velours, serpentent, comme des couleuvres d’argent, des ruisseaux faits avec les larmes des cerfs aux abois: de loin en loin, on voit briller sur le gazon les anémones pareilles à des gouttes de sang, et se rengorger les marguerites la tête chargée d’une couronne de perles, comme de véritables duchesses.

Les personnages ne sont d’aucun temps ni d’aucun pays; ils vont et viennent sans que l’on sache pourquoi ni comment; ils ne mangent ni ne boivent, ils ne demeurent nulle part et n’ont aucun métier; ils ne possèdent ni terres, ni rentes, ni maisons; quelquefois seulement ils portent sous le bras une petite caisse pleine de diamants gros comme des œufs de pigeon; en marchant, ils ne font pas tomber une seule goutte de pluie de la pointe des fleurs et ne soulèvent pas un seul grain de la poussière des chemins.

Leurs habits sont les plus extravagants et les plus fantasques du monde. Des chapeaux pointus comme des clochers avec des bords aussi larges qu’un parasol chinois et des plumes démesurées arrachées à la queue de l’oiseau de paradis et du phénix; des capes rayées de couleurs éclatantes, des pourpoints de velours et de brocart, laissant voir leur doublure de satin ou de toile d’argent par leurs crevés galonnés d’or; des hauts-de-chausses bouffants et gonflés comme des ballons; des bas écarlates à coins brodés, des souliers à talons hauts et à larges rosettes; de petites épées fluettes, la pointe en l’air, la poignée en bas, toutes pleines de ganses et de rubans; – voilà pour les hommes. Les femmes ne sont pas moins curieusement accoutrées.

– Les dessins de Della Bella et de Romain de Hooge peuvent servir à se représenter le caractère de leur ajustement: ce sont des robes étoffées, ondoyantes, avec de grands plis qui chatoient comme des gorges de tourterelles et reflètent toutes les teintes changeantes de l’iris, de grandes manches d’où sortent d’autres manches des fraises de dentelles déchiquetées à jour, qui montent plus haut que la tête à laquelle elles servent de cadre, des corsets chargés de nœuds et de broderies, des aiguillettes, des joyaux bizarres, des aigrettes de plumes de héron, des colliers de grosses perles, des éventails de queue de paon avec des miroirs au milieu, de petites mules et des patins, des guirlandes de fleurs artificielles, des paillettes, des gazes lamées, du fard, des mouches, et tout ce qui peut ajouter du ragoût et du piquant à une toilette de théâtre.

C’est un goût qui n’est précisément ni anglais, ni allemand, ni français, ni turc, ni espagnol, ni tartare, quoiqu’il tienne un peu de tout cela, et qu’il ait pris à chaque pays ce qu’il avait de plus gracieux et de plus caractéristique. – Des acteurs ainsi habillés peuvent dire tout ce qu’ils veulent sans choquer la vraisemblance. La fantaisie peut courir de tous côtés, le style dérouler à son aise ses anneaux diaprés, comme une couleuvre qui se chauffe au soleil; les concetti les plus exotiques épanouir sans crainte leurs calices singuliers et répandre autour d’eux leur parfum d’ambre et de musc. – Rien ne s’y oppose, ni les lieux, ni les noms, ni le costume.

Comme ce qu’ils débitent est amusant et charmant! Ce ne sont pas eux, les beaux acteurs, qui iraient, comme ces hurleurs de drame, se tordre la bouche et se sortir les yeux de la tête pour dépêcher la tirade à effet; – au moins ils n’ont pas l’air d’ouvriers à la tâche, de bœufs attelés à l’action et pressés d’en finir; ils ne sont pas plâtrés de craie et de rouge d’un demi-pouce d’épaisseur; ils ne portent pas des poignards de fer-blanc, et ils ne tiennent pas en réserve sous leur casaque une vessie de porc remplie de sang de poulet; ils ne traînent pas le même lambeau taché d’huile pendant des actes entiers.