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Théodore lui mit le bras autour de la taille, et la conduisit ainsi jusqu’à la porte: là il s’arrêta, et la suivit longtemps de l’œil; le corridor était percé de loin en loin de petites fenêtres à carreaux étroits, éclairées par la lune, et qui faisaient une alternative d’ombre et de lumière très fantastique. À chaque fenêtre, la forme blanche et pure de Rosette étincelait comme un fantôme d’argent; puis elle s’éteignait pour reparaître plus brillante un peu plus loin; enfin elle disparut entièrement.

Théodore, comme abîmé dans de profondes réflexions, resta quelques minutes immobile et les bras croisés, puis il passa sa main sur son front, et rejeta ses cheveux en arrière par un mouvement de tête, rentra dans la chambre, et fut se coucher après avoir embrassé au front le page, qui dormait toujours.

Chapitre 7

Dès qu’il fit jour chez Rosette, d’Albert se fit annoncer avec un empressement qui ne lui était pas habituel.

– Vous voilà, fit Rosette, je dirais de bien bonne heure, si vous pouviez jamais arriver de bonne heure. – Aussi, pour vous récompenser de votre galanterie, je vous octroie ma main à baiser.

Et elle tira de dessous le drap de toile de Flandre garni de dentelles la plus jolie petite main que l’on ait jamais vue au bout d’un bras rond et potelé.

D’Albert la baisa avec componction: – Et l’autre, la petite sœur, est-ce que nous ne la baiserons pas aussi?

Mon Dieu si! rien n’est plus faisable. Je suis aujourd’hui dans mon humeur des dimanches; tenez. – Et elle sortit du lit son autre main dont elle lui frappa légèrement la bouche. – Est-ce que je ne suis pas la femme la plus accommodante du monde?

– Vous êtes la grâce même, et l’on vous devrait élever des temples de marbre blanc dans des bosquets de myrtes. – En vérité, j’ai bien peur qu’il ne vous arrive ce qui est arrivé à Psyché, et que Vénus ne devienne jalouse de vous, dit d’Albert en joignant les deux mains de la belle et en les portant ensemble à ses lèvres.

– Comme vous débitez tout cela d’une haleine! on dirait que c’est une phrase apprise par cœur, dit Rosette avec une délicieuse petite moue.

– Point: vous valez bien que la phrase soit tournée exprès pour vous, et vous êtes faite à cueillir des virginités de madrigaux, répliqua d’Albert.

– Oh çà! décidément, qui vous a piqué aujourd’hui? est-ce que vous êtes malade que vous êtes si galant? Je crains que vous ne mouriez. Savez-vous que, lorsque quelqu’un change tout à coup de caractère, et sans raison apparente, cela est de mauvais augure? Or, il est constaté, aux yeux de toutes les femmes qui ont pris la peine de vous aimer, que vous êtes habituellement on ne peut plus maussade, et il est non moins sûr que vous êtes on ne peut plus charmant en ce moment-ci et d’une amabilité tout à fait inexplicable. – Là, vraiment, je vous trouve pâle, mon pauvre d’Albert: donnez-moi le bras, que je vous tâte le pouls; et elle lui releva la manche, et compta les pulsations avec une gravité comique. – Non… Vous êtes au mieux, et vous n’avez pas le plus léger symptôme de fièvre. Alors il faut que je sois furieusement jolie ce matin! Allez donc me chercher mon miroir, que je voie jusqu’à quel point votre galanterie a tort ou raison.

D’Albert fut prendre un petit miroir qui était sur la toilette, et le posa sur le lit.

– Au fait, dit Rosette, vous n’avez pas tout à fait tort. Pourquoi ne faites-vous pas un sonnet sur mes yeux, monsieur le poète? – Vous n’avez aucune raison pour n’en pas faire. – Voyez donc, que je suis malheureuse! avoir des yeux comme cela et un poète comme ceci, et manquer de sonnets, comme si l’on était borgne et que l’on eût un porteur d’eau pour amant! Vous ne m’aimez pas, monsieur; vous ne m’avez pas même fait un sonnet acrostiche. – Et ma bouche, comment la trouvez-vous! Je vous ai pourtant embrassé avec cette bouche-là, et je vous embrasserai peut-être encore, mon beau ténébreux; et en vérité c’est une faveur dont vous n’êtes guère digne (ce que je dis n’est pas pour aujourd’hui, car vous êtes digne de tout); mais, pour ne pas parler toujours de moi, vous êtes, ce matin, d’une beauté et d’une fraîcheur nonpareilles, vous avez l’air d’un frère de l’Aurore; et, quoiqu’il fasse à peine jour, vous êtes déjà paré et godronné comme pour un bal. D’aventure, est-ce que vous avez des desseins à mon endroit? et auriez-vous monté un coup de Jarnac à ma vertu? voudriez-vous faire ma conquête? Mais j’oubliais que c’était déjà fait et de l’histoire ancienne.

– Rosette, ne plaisantez pas comme cela; vous savez bien que je vous aime.

– Mais c’est selon. Je ne le sais pas bien; et vous?

– Très parfaitement, et à telles enseignes que si vous aviez la bonté de faire défendre votre porte, j’essayerais de vous le démontrer, et j’ose m’en flatter, d’une manière victorieuse.

– Pour cela, non: quelque envie que j’aie d’être convaincue, ma porte restera ouverte; je suis trop jolie pour l’être à huis clos; le soleil luit pour tout le monde, et ma beauté fera aujourd’hui comme le soleil, si vous le trouvez bon.

– D’honneur, je le trouve fort mauvais; mais faites comme si je le trouvais excellent. Je suis votre très humble esclave, et je dépose mes volontés à vos pieds.

– Voilà qui est on ne peut mieux; restez en de pareils sentiments, et laissez, ce soir, la clef à la porte de votre chambre.

– M. le chevalier Théodore de Sérannes, dit une grosse tête de nègre souriante et joufflue qui se fit voir entre les deux battants de la porte, demande à vous rendre ses hommages et vous supplie que vous daigniez le recevoir.

– Faites entrer M. le chevalier, dit Rosette en remontant le drap jusqu’à son menton.

Théodore fut tout d’abord au lit de Rosette, à laquelle il fit le salut le plus profond et le plus gracieux, qu’elle lui rendit d’un signe de tête amical, et ensuite il se tourna vers d’Albert, qu’il salua d’un air libre et courtois.

– Où en étiez-vous? dit Théodore. J’ai peut-être interrompu une conversation intéressante: continuez, de grâce, et mettez-moi au fait en quelques mots.

– Oh non! répondit Rosette avec un sourire malicieux; nous parlions d’affaires.

Théodore s’assit au pied du lit de Rosette, car d’Albert avait pris place du côté du chevet, par droit de premier arrivé; la conversation flotta quelque temps de sujet en sujet, très spirituelle, très gaie et très vive, et c’est pourquoi nous n’en rendrons pas compte; nous craindrions qu’elle ne perdît trop à être transcrite. L’air, le ton, le feu des paroles et des gestes, les mille manières de prononcer un mot, tout cet esprit, semblable à de la mousse de vin de Champagne qui pétille et s’évapore sur-le-champ, sont des choses qu’il est impossible de fixer et de reproduire. C’est une lacune que nous laissons à remplir au lecteur, et dont il s’acquittera assurément mieux que nous; qu’il imagine à cette place cinq ou six pages remplies de tout ce qu’il y a de plus fin, de plus capricieux, de plus curieusement fantasque, de plus élégant et de plus pailleté.