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J’ai fait pieusement agenouiller l’orgueil,

J’ai rouvert la fenêtre où me vint la lumière,

Et j’ai rempli de chants la couche de ma mère.

Mais allons, dites-moi, puisque poème il y a, dites-moi quelque chose de votre poème provençal.

Et je lui lus alors un morceau de Mireille, je ne me souviens plus lequel.

– Ah! si vous parlez comme cela, met fit Dumas après ma lecture, je vous tire mon chapeau, et je salue la source d’une poésie neuve, d’une poésie indigène dont personne ne se doutait. Cela m’apprend, à moi, qui, depuis trente ans, ai quitté la Provence et qui croyais sa langue morte, cela m’apprend, cela me prouve qu’en dessous de ce patois usité chez les farauds, les demi-bourgeois et les demi-dames existe une seconde langue, celle de Dante et de Pétrarque. Mais suivez bien leur méthode, qui n’a pas consisté, comme certains le croient, à employer tels quels, ni à fondre en macédoine les dialectes de Florence, de Bologne ou de Milan. Eux ont ramassé l’huile et en ont fait la langue qu’ils rendirent parfaite en la généralisant. Tout ce qui a précédé les écrivains latins du grand siècle d’Auguste, à l’exception de Térence, c’est le «Fumier d’Ennius». Du parler populaire ne prenez que la paille blanche avec le grain qui peut s’y trouver. Je suis persuadé qu’avec le goût, la sève de votre juvénile ardeur, vous êtes fait pour réussir. Et je vois déjà poindre la renaissance d’une langue provignée du latin, et jolie et sonore comme le meilleur italien.

L’histoire d’Adolphe Dumas était un vrai conte de fées. Enfant du peuple, ses parents tenaient une petite auberge entre Orgon et Cabane, à la Pierre-Plantée. Et Dumas avait une sœur appelée Laure, belle comme le jour et innocente comme l’eau qui naît: et voici que sur la route passèrent une fois des comédiens ambulants qui, dans la petite auberge, donnèrent, à la veillée, une représentation. L’un d’eux y jouait un rôle de prince. Les oripeaux de son costume qui scintillait sous les falots lui donnaient sur les tréteaux l’apparence d’un fils de roi, si bien que la pauvre Laure, naïve, hélas! comme pas une, se laissa, à ce que racontent les vieillards de la contrée, enjôler et enlever par ce prince de grand chemin. Elle partit avec la troupe, débarqua à Marseille, et ayant reconnu bientôt son erreur folle, et n’osant plus rentrer chez elle, elle prit à tout hasard la diligence de Paris, où elle arriva un matin par une pluie battante. Et la voilà sur le pavé, seule et dénuée de tout. Un monsieur qui passait en landau, et qui vit tout en larmes la jeune Provençale, fit arrêter sa voiture et lui dit:

– Belle enfant, mais qu’avez-vous à tant pleurer?

Laure naïvement conta son équipée. Le monsieur, qui était riche, ému, épris soudain, la fit monter dans sa voiture, la conduisit dans un couvent, lui fit donner une éducation soignée et l’épousa ensuite. Mais la belle épousée, qui avait le cœur noble, n’oublia pas ses parents. Elle fit venir à Paris son petit frère Adolphe, lui fit faire ses études, et voilà comment Dumas Adolphe, déjà poète de nature et de nature enthousiaste, se trouva un jour mêlé au mouvement littéraire de 1830. Vers de toute façon, drames, comédies, poèmes, jaillirent, coup sur coup, de son cerveau bouillonnant: la Cité des hommes, la Mort de Faust et de Don Juan, le Camp des Croisés, Provence, Mademoiselle de la Vallière, l’École des Familles, les Servitudes volontaires, etc. Mais vous savez, dans les batailles, bien qu’on y fasse son devoir, tout le monde n’est pas porté pour la Légion d’honneur; et malgré sa valeur et des succès relatifs dans le théâtres de Paris, le poète Dumas, comme notre Tambour d’Arcole, était resté simple soldat, ce qui lui faisait dire plus tard en provençal:

A quarante ans passés, quand tout le monde pêche

– dans la soupe des gueux on y trempe son pain,

– Nous devons être heureux d’avoir

– L’âme en repos, le cœur net et la main lavée.

– Et qu’a-t-il? dira-t-on.

– Il a la tête haute.

– Que fait-il? Il fait son devoir.

Seulement, s’il n’était pas devenu capitaine, il avait conquis l’estime de ses plus fiers compagnons d’armes; et Hugo, Lamartine, Béranger, de Vigny, le grand Dumas, Jules Janin, Mignet, Barbey d’Aurevilly, étaient de ses amis.

Adolphe Dumas, avec son tempérament ardent, avec on expérience de vieux lutteur parisien et tous ses souvenirs d’enfant de la Durance, arrivait donc à point nommé pour donner au Félibrige le billet de passage entre Avignon et Paris.

Mon poème provençal étant terminé enfin, mais non imprimé encore, un jeune Marseillais qui fréquentait Font-Ségugne, mon ami Ludovic Segré, me dit, un jour:

– Je vais à Paris… Veux-tu venir avec moi?

J’acceptai l’invitation, et c’est ainsi qu’à l’improviste, et pour la première fois, je fis le voyage de Paris, où je passai une semaine. J’avais, bien entendu, porté mon manuscrit, et, quand nous eûmes quelques jours couru et admiré, de Notre-Dame au Louvre, de la place Vendôme au grand Arc de Triomphe, nous vînmes, comme de juste, saluer le bon Dumas.

– Eh bien! cette Mireille, me fit-il, est-elle achevée?

– Elle est achevée, lui dis-je, et la voici… en manuscrit.

– Voyons donc; puisque nous y sommes, vous allez m’en lire un chant.

Et quand j’eus lu le premier chant:

– Continuez, me dit Dumas.

Et je lus le second, puis le troisième, puis le quatrième.

– C’est assez pour aujourd’hui, me dit l’excellent homme. Venez demain à la même heure, nous continuerons la lecture; mais je puis, dès maintenant, vous assurer que, si votre œuvre s’en va toujours avec ce souffle, vous pourriez gagner une palme plus blle que vous ne pensez.

Je retournai, le lendemain, en lire encore quatre chants, et le surlendemain, nous achevâmes le poème.

Le même jour (26 août 1856), Adolphe Dumas adressa au directeur de la Gazette de France la lettre que voici:

«La Gazette du Midi a déjà fait connaître à la Gazette de France l’arrivée du jeune Mistral, le grand poète de la Provence. Qu ’est-ce que Mistral? On n’en sait rien. On me le demande et je crains de répondre des paroles qu’on ne croira pas, tant elles sont inattendues, dans ce moment de poésie d’imitation qui fait croire à la mort de la poésie et des poètes.

«L’Académie française viendra dans dix ans consacrer une gloire de plus, quand tout le monde l’aura faite. L’horloge de l’Institut a souvent de ces retards d’une heure avec les siècles; mais je veux être le premier qui aura découvert ce qu’on peut appeler, aujourd’hui, le Virgile de la Provence, le pâtre de Mantoue arrivant à Rome avec des chants dignes de Gallus et des Scipion…

«On a souvent demandé, pour notre beau pays du Midi, deux fois romain, romain latin et romain catholique, le poème de sa langue éternelle, de ses croyances saintes et de ses mœurs pures. J’ai le poème dans les mains, il a douze chants. Il est signé Frédéric Mistral, du village de Maillane, et je le contresigne de ma parole d’honneur, que je n’ai jamais engagée à faux, et de ma responsabilité, qui n’a que l’ambition d’être juste.»