Sur le gazon du cimetière
Tous les défunts se sont dressés.
TOUS
As-tu peur des pieux mystères?
Passe plus loin du cimetière.
MOI
Frères muets, au cimetière
Tous les morts se sont embrassés.
TOUS
As-tu peur des pieux mystères?
Passe plus loin du cimetière.
MOI
C’est la fête du cimetière,
Les morts se mettent à danser.
TOUS
As-tu peur des pieux mystères?
Passe plus loin du cimetière.
MOI
La lune est claire: au cimetière,
Les vierges cherchent leurs fiancés.
TOUS
As-tu peur des pieux mystères?
Passe plus loin du cimetière.
MOI
Leurs amoureux, au cimetière,
Ne sont plus là, si empressés.
TOUS
As-tu peur des pieux mystères?
Passe plus loin du cimetière.
MOI
Oh! ouvrez-moi le cimetière,
Mon amour va les caresser…
XI
Le croirez-vous? Soudain, d’une tombe béante, à trois pas de nous autres, mes chers amis, une voix sombre, dolente, sépulcrale, nous fait entendre ces mots:
– Laissez dormir ceux qui dorment!
Nous restâmes pétrifiés, et à l’entour, sous la lune, tout retomba dans le silence.
Mathieu disait doucement à Grivolas:
– As-tu entendu?
– Oui, répondit le peintre, c’est là-bas, dans ce sarcophage.
– Cela, dit patron Gafet en crevant de rire, c’est un couche-vêtu, un de ces galimands, comme nous les nommons en Arles, qui viennent se gîter, la nuit, dans ces auges vides.
Et Daudet:
– Quel dommage, pourtant, que ça n’ait pas été une apparition réelle! Quelque belle Vestale, qui, à la voix des poètes, eût interrompu son somme, et, ô mon Grivolas, fût venue t’embrasser!
Puis, d’une voix retentissante, il chanta et nous chantâmes:
De l’abbaye passant les portes,
Autour de moi, tu trouverais
Des nonnes l’errante cohorte,
Car en suaire je serais!
– O Magali, si tu te fais
La pauvre morte,
La terre alors je me ferai:
La je t’aurai.
Là-dessus, au patron Gafet nous serrâmes tous la main, et nous allâmes vite, de ce pas, au chemin de fer, prendre le train pour Avignon.
Sept ans après, hélas! l’année de la catastrophe, je reçus cette lettre:
Paris, 31 décembre 1870.
«Mon Capoulié, je t’envoie par le ballon monté un gros tas de baisers. Et il me fait plaisir de pouvoir te les envoyer en langue provençale; comme ça je suis assuré que les Allemands, si le ballon leur tombe dans les mains, ne pourront par lire mon écriture et publier ma lettre dans le Mercure de Souabe.
«Il fait froid, il fait noir; nous mangeons du cheval, du chat, du chameau, de l’hippopotame (ah! si nous avions les bons oignons, le catigot et la cachat de la Ribote de Trinquetaille!) Les fusils nous brûlent les doigts. Le bois se fait rare. Les armées de la Loire ne viennent pas. Mais cela ne fait rien. Les gens de Berlin s’ennuieront quelque temps encore devant les remparts de Paris.
……………
«Adieu, mon Capoulié, trois gros baisers: un pour moi, l’autre pour ma femme, l’autre pour mon fils. Avec ça, bonne année, comme toujours d’aujourd’hui à un an.
Ton félibre,
Alphonse DAUDET.»
Et puis, on viendra me dire que Daudet n’étais pas un excellent Provençal! Parce qu’en plaisantant il aura ridiculisé les Tartarin, les Roumestan et les Tante Portal et tous les imbéciles du pays de Provence qui veulent franciser le parler provençal, pour cela Tarascon lui garderait rancune?
Non! la mère lionne n’en veut pas, n’en voudra jamais au lionceau qui, pour s’ébattre, l’égratigne quelquefois.
1906