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A LAMARTINE

Je te consacre Mireille; c’est mon cœur et mon âme,

C’est la fleur de mes années,

C’est un raisin de Crau qu’avec toutes ses feuilles

T’offre un paysan.

8 septembre 1859

Et voici l’élégie que je publiai à la mort du grand homme (1):

(1) Voir le texte provençal dans le recueil Les îles d’or (libr. Lemerre).

SUR LA MORT DE LAMARTINE

Quand l’heure du déclin est venue pour l’astre – sur les collines envahies par le soir, les pâtres – élargissent leurs moutons, leurs brebis et leurs chiens; – et dans les bas-fonds des marais, – tout ce qui grouille râle en braiment unanime: – Ce soleil était assommant!»

Des paroles de Dieu magnanime épancheur, – ainsi, ô Lamartine, ô mon maître, ô mon père, – en cantiques, en actions, en larmes consolantes, – quand vous eûtes à notre monde – épanché sa satiété d’amour et de lumière, – et que le monde fut las,

Chacun jeta son cri dans le brouillard profond, – chacun vous décocha la pierre de sa fronde, – car votre splendeur nous faisait mal aux yeux, – car une étoile qui s’éteint, – car un dieu crucifié plaît à la foule, – et les crapauds aiment la nuit…

Et l’on vit en ce moment des choses prodigieuses! Lui, cette grande source de pure poésie – qui avait rajeuni l’âme de l’univers, – les jeunes poètes rirent – de sa mélancolie de prophète et dirent – qu’il ne savait pas l’art des vers.

Du Très-Haut Adonaï lui sublime grand prêtre, – qui dans ses hymnes saints éleva nos croyances – sur les cordes d’or de la harpe de Sion, – en attenstant les Écritures – les dévots pharisiens crièrent sur les toits – qu’il n’avait point de religion.

Lui, le grand cœur ému, qui, sur la catastrophe – de nos anciens rois, avait versé ses strophes, – et en marbre pompeux leur avait fait un mausolée, – les ébahis du Royalisme – trouvèrent qu’il était un révolutionnaire, – et tous s’éloignèrent vite.

Lui, le grand orateur, la voix apostolique, – qui avait fulguré le mot de République – sur le front, dans le ciel des peuples tressaillant, – par une étrange frénésie, – sous les chiens enragés de la Démocratie – le mordirent en grommelant.

Luit, le grand citoyen, qui dans le cratère embrasé – avait jeté ses biens, et son corps et son âme, – pour sauver du volcan la patrie en combustion, – lorsque, pauvre, il demanda son pain, – les bourgeois et les gros l’appelèrent mangeur – et s’enfermèrent dans leur bourg.

Alors, se voyant seul dans sa calamité, – dolent, avec sa croix il gravit son Calvaire… – Et quelques bonnes âmes, vers la tombée du jour, – entendirent un long gémissement, – et puis, dans les espaces, ce cri suprême: Eli, lamma sabacthani!

Mais nul ne s’aventura vers la cime déserte. – Avec les yeux fermés et les deux mains ouvertes, – dans un silence grave il s’enveloppa donc; – et, calme comme sont les montagnes, au milieu de sa gloire et de son infortune, – sans dire mot il expira.

21 mars 1869

Me voilà arrivé au terme de l’élucidari (comme auraient dit les troubadours) ou explication de mes origines. C’est le sommet de ma jeunesse. Désormais, mon histoire, qui est celle de mes œuvres, appartient, comme tant d’autres, à la publicité.

Je terminerai ces Mémoires par quelques épisodes des l’existence franche et libre que s’étaient faite, en Avignon, les musagètes ou coryphées de notre Renaissance, pour montrer comme, au bord du Rhône, on pratiquait le Gai-Savoir.

CHAPITRE XVII: AUTOUR DU MONT VENTOUX

Courses félibréennes avec Aubanel et Grivolas. – L’ascension et la descente. – Les gendarmes nous arrêtent. – La fête de Montbrun. – Le devineur de sources. – Le curé de Monieux. – La Nesque et les Bessons. – Le maire de Méthamis. – Le charron de Vénasque.

Avec Théodore Aubanel, qui était toujours dispos, pour organiser les courses, et notre camarade le peintre avignonnais Pierre Grivolas, qui était de toutes nos fêtes, voici comment nous fîmes, un beau jour de septembre, l’ascension du mont Ventoux.

Partis, vers minuit, du village de Bédoin, au pied de la montagne, nous atteignîmes le sommet une demi-heure environ avant le lever du soleil. Je ne vous dirai rien de l’escalade, que nous fîmes à l’aise, sur le bât de mulets que conduisaient des guides, à travers les rochers, escarpements et mamelons de la Combe-Fillole.

Nous vîmes le soleil surgir, tel qu’un superbe roi de gloire, d’entre les cimes éblouissantes des Alpes couvertes de neige, et l’ombre du Ventoux élargir, prolonger, là-bas dans l’étendue du Comtat Venaissin, par là-bas sur le Rhône et jusqu’au Languedoc, la triangulation de son immense cône.

En même temps, de grosses nues blanchâtres et fuyantes roulaient au-dessous de nous, embrumant les vallées; et, si beau que fût le temps, il ne faisait pas chaud.

Vers les neuf heures, – mais, cette fois, à pied, avec les bâtons ferrés et le havresac au dos, – après un léger déjeuner, nous primes la descente. Seulement, nous dévalâmes par le côté opposé, c’est-à-dire par les Ubacs, ainsi qu’on nomme le versant nord de toutes nos montagnes et du Ventoux en particulier.

Or, tellement est âpre et tellement est raide ce revers du mont Ventoux, que le père Laval raconte ce qui suit:

Les montagnards qui, de son temps (au dix-huitième siècle), le 14 septembre, montaient en pèlerinage à la chapelle qui est en haut, redescendaient par les Ubacs, rien qu’en se laissant glisser, assis à croupetons sur une double planche de trois empans carrés, qu’ils enrayaient soudain en plantant leur bâton devant, lorsqu’elle allait trop vite ou qu’elle frôlait un précipice.

Ils descendaient par ce moyen dans moins d’une demi-heure; et il faut songer que le mont Ventoux a dix-neuf cent soixante mètres d’altitude sur la mer!

Désireux, nous aussi, de raccourcir notre descente, mais ignorant les chemins, nous allâmes nous fourvoyer dans une ravine ardue, la Loubatière du Ventoux, si encombrée de rocailles et si périlleuse aussi que, pour arriver en bas, nous mîmes le jour entier.

Le ravin de la Loubatière, comme son nom le dit, n’est fréquenté que par les loups, et il se rue subitement, du sommet au pied du mont, entre des berges si scabreuses qu’il est presque impossible, une fois qu’on y est rentré, d’en sortir pour changer de route.

Nous y voilà, arrive qui plante! Dans les rocs détachés et dans les éboulis, à travers les troncs d’arbres, pins, hêtres et mélèzes, arrachés, entraînés par la fureur des orages et qui, à tous les pas, entravaient notre marche, nous descendions, nous dévalions, quand, tout à coup, le lit du torrent, coupé à pic devant nos pas, montre à nos yeux, béant, un précipice de cent toises peut-être en contrebas.

Comment faire? Remonter? C’était fort difficile, d’autant plus que, sur nos têtes, nous voyions s’avancer de gros nuages noirs qui, s’ils eussent crevé, nous auraient submergés sous l’irruption des eaux… Il fallait donc, de façon ou d’autre, descendre par la gorge, cette épouvantable gorge où nous étions perdus. Et alors, dans l’abîme, nous jetâmes là-bas nos cabans et nos sacs et, ma foi, recommandant à Dieu notre vie, en rampant, en nous traînant, mais surtout par glissades, nous nous laissâmes couler sur la paroi presque verticale où, seules, quelques racines de buis ou de lavande nous empêchèrent de dégringoler, la tête la première.