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– Je viens de loin, dit celui-ci, mon cheval a perdu une couple de fers et il me tardait fort de trouver un maréchal.

Maître Éloi se rengorge, et lui parle en ces termes:

– Seigneur, en vérité, vous ne pouviez mieux rencontrer. Vous êtes chez le premier forgeron de Limousin, de Limousin et de France, qui peut se dire maître au-dessus de tous les maîtres et qui forge un fer en deux chaudes… Petit, va tenir le pied.

– Tenir le pied! répartit Jésus. Nous trouvons, dans notre pays, que ce n’est pas nécessaire.

– Par exemple! s’écria le maître maréchal, celle-là est par trop drôle: et comment peut-on ferrer, chez toi, sans tenir le pied?

– Mais rien de si facile, mon Dieu! vous allez le voir.

Et voilà le petit qui saisit le boutoir, s’approche du cheval et, crac! lui coupe le pied. Il apporte le pied dans la boutique, le serre dans l’étau, lui cure bien la corne, y applique le fer neuf qu’il venait d’étamper, avec le brochoir y plante les clous; puis, desserrant l’étau, retourne le pied au cheval, y crache dessus, l’adapte; et n’ayant fait que dire avec un signe de croix: «Mon Dieu! que le sang se caille», le pied se trouve arrangé, et ferré et solide, comme on n’avait jamais vu, comme on ne verra plus jamais.

Le premier compagnon ouvrait des yeux comme des paumes, et maître Éloi, collègues, commençait à suer.

– Ho! dit-il enfin, pardi! en faisant comme ça, je ferrai tout aussi bien.

Éloi se met à l’œuvre: le boutoir à la main, il s’approche du cheval et, crac, lui coupe le pied. Il l’apporte dans la boutique, le serre dans l’étau et le ferre à son aise comme avait fait le petit. Puis, c’est ici le hic! il faut le remettre en place! Il s’avance près du cheval, crache sur le sabot, l’applique de son mieux au boulet de la jambe… Hélas! l’onguent ne colle pas: le sang ruisselle et le pied tombe.

Alors l’âme hautaine de maître Éloi s’illumina: et, pour se prosterner aux pieds de l’apprenti, il rentra dans la boutique. Mais le petit avait disparu et aussi le cheval avec le cavalier. Les larmes débondèrent des yeux de maître Éloi; il reconnut qu’il avait un maître au-dessus de lui, pauvre homme! et au-dessus de tout, et il quitta son tablier et laissa sa boutique et il partit de là pour aller dans le monde annoncer la parole de notre Seigneur Jésus.»

Ah! il y en eut un, de battement de mains, pour saint Éloi et Jean Roussière! Baste! voici pourquoi je me suis fait un devoir de rappeler ce brave Jean dans ce livre de Mémoires. C’est lui qui m’avait chanté, mais sur d’autres paroles que je vais dire tout à l’heure, l’air populaire sur lequel je mis l’aubade de Magali, air si mélodieux, si agréable et si caressant, que beaucoup ont regretté de ne plus le retrouver dans la Mireille de Gounod.

Ce que c’est que l’heur des choses! La seule personne au monde à laquelle, dans ma vie, j’ai entendu chanter l’air populaire en question, ç’a été Jean Roussière, qui était apparemment le dernier qui l’eût retenu; et il fallut qu’il vint, par hasard, me le chanter, à l’heure où je cherchais la note provençale de ma chanson d’amour, pour que je l’aie recueilli, juste au moment où il allait, comme tant d’autres choses, se perdre dans l’oubli.

Voici donc la chanson, ou plutôt le duo, qui me donna le rythme de l’air de Magali:

– Bonjour, gai rossignol sauvage,

Puisqu’en Provence te voilà!

Tu aurais pu prendre dommage

Dans le combat de Gibraltar:

Mais puisqu’enfin je t’ai ouï,

Ton doux ramage.

Mais puisqu’enfin je t’ai ouï,

M’a réjoui.

– Vous avez bonne souvenance,

Monsieur, pour ne pas m’oublier;

Vous aurez donc ma préférence,

Ici je passerai l’été,

Je répondrai à votre amour

Par mon ramage

Et je vais chanter nuit et jour

Aux alentours.

– Je te donne la jouissance,

L’avantage de mon jardin;

Au jardinier je fais défense

De te donner aucun chagrin,

Tu pourras y cacher ton nid

Dans le feuillage

Et tu te trouveras fourni

Pour tes petits.

– Je le connais à votre mine,

Monsieur, vous aimez les oiseaux;

J’inviterai la cardeline.

Pour vous chanter des airs nouveaux

La cardeline a un beau chant,

Quand elle est seule;

Elle a des airs sur le plain-chant

Qui sont charmants.

– Jusque vers le mois de septembre

Nous serons toujours vos voisins.

Vous aurez la joie de m’entendre

Autant le soir que le matin.

Mais lorsqu’il faudra s’envoler

Quelle tristesse!

Tout le bocage aura le deuil

Du rossignol.

– Monsieur, nous voici de partance;

Hélas! c’est là notre destin.

Lorsqu’il faut quitter la Provence,

Certes, ce n’est pas sans chagrin.

Il nous faut aller hiverner

Dedans les Indes;

Les hirondelles, elles aussi,

Partent aussi.

– Ne passez pas vers l’Amérique.

Car vous pourriez avoir du plomb

Du côté de la Martinique

On tire des coups de canon.

Depuis longtemps est assiégé

Le roi d’Espagne:

De crainte d’y être arrêtés,

Au loin passez.

Œuvre de quelque illettré contemporain de l’Empire et, à coup sûr, indigène de la rive du Rhône, ces couplets naïfs ont du moins le mérite d’avoir conservé l’air que Magali a fait connaître. Quant au thème mis en vogue par l’aubade de Mireille, les métamorphoses de l’amour, nous le prîmes expressément dans un chant populaire qui commençait comme suit:

– Marguerite, ma mie,

Marguerite, mes amours,

Ceci, sont les aubades

Qu’on va jouer pour vous.

– Nargue de tes aubades

Comme de tes violons:

Je vais dans la mer blanche

Pour me rendre poisson.

Enfin, le nom de Magali, abréviation de Marguerite, je l’entendis un jour que je revenais de Saint-Remy. Une jeune bergère gardait quelques brebis le long de la Grande Roubine. – «O Magali! tu ne viens pas encore?» lui cria un garçonnet qui passait au chemin; et tant me parut joli ce nom limpide que je chantai sur-le-champ:

O Magali, ma tant aimée,

Mets ta tête à la fenêtre.

Écoute un peu cette aubade

De tambourins et de violons:

Le ciel est là-haut plein d’étoiles,

Le vent est tombé…

Mais les étoiles pâliront

En te voyant.

C’est quelque temps après que, première brouée de ma claire jeunesse, j’eus la douleur de perdre mon père. Aux dernières Calendes (1), – lui que la fête de Noël emplissait toujours de joie, maintenant devenu aveugle, nous l’avions vu d’une tristesse qui nous fit mal augurer. C’est en vain que, sur la table et sur la nappe blanche, luisaient, comme d’usage, les chandelles sacrées; en vain, je lui avais offert le verre de vin cuit pour entendre de sa bouche le sacramentel: «Allégresse!» En tâtonnant, hélas! avec ses grands bras maigres, il s’était assis sans mot dire. Ma mère eut beau lui présenter, un après l’autre, les mets de Noël: le plat d’escargots, le poisson du Martigue, le nougat d’amandes, la galette à l’huile. Le pauvre vieux, pensif, avait soupé dans le silence. Une ombre avant-courrière de la mort était sur lui. Ayant totalement perdu la vue, il dit: