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– Mon père, la chanson n’en dit pas davantage: «Carcassonne et Narbonne – sont deux villes fort bonnes – pour aller à Béziers; – Pézénas est gentille, – mais les plus jolies filles – n’en sont à Montpellier.»

– Alors, bousilleur, tu n’as pas vu la Grenouille?

– Mais quelle grenouille?

– La Grenouille qui est au fond du bénitier de l’église Saint-Paul. Ah! je ne m’étonne plus que tu aies sitôt fait, bambin, ton Tour de France! La Grenouille de Narbonne! le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, que l’on vient voir de tous les diables. Et ce saute-ruisseau! criait le vieux Pignol en s’animant de plus en plus, ce méchant gâte-bois qui se donne pour compagnon n’a pas vu seulement la Grenouille de Narbonne! Oh! mais, qu’un fils de maître ait fait baisser la tête, dans la maison, à son père, mignon, ça ne sera pas dit! Mange, bois, va dormir, et, dès demain matin, si tu veux qu’on soit coterie, tu regagneras Narbonne pour voir la Grenouille.

IV

Le pauvre Pignolet, qui savait que son père ne démordait pas aisément et qu’il ne plaisantait pas, mangea, but, alla au lit, et le lendemain, à l’aube, sans répliquer davantage, après avoir muni de vivres son bissac, il repartit pour Narbonne.

Avec ses pieds meurtris et enflés par la marche, avec la chaleur, la soif, par voies et par chemins, va donc mon Pignolet!

Aussitôt arrivé, au bout de sept ou huit jours, dans la ville de Narbonne, – d’où selon le proverbe, «ne vient ni bon vent ni bonne personne», – Pignolet qui, cette fois, ne chantait pas, je vous l’assure, sans prendre le temps même de manger un morceau ou boire un coup au cabaret, s’achemine de suite vers l’église Saint-Paul et, droit au bénitier, s’en vient voir la Grenouille.

Dans la vasque de marbre, en effet, sous l’eau claire, une grenouille rayée de roux, tellement bien sculptée qu’on l’aurait dite vivante, regardait accroupie, avec ses deux yeux d’or et son museau narquois, le pauvre Pignolet, venu de Grasse pour la voir.

– Ah! petite vilaine, s’écria tout à coup, farouche, le menuisier. Ah! c’est toi qui m’as fait faire, par ce soleil ardent, deux cents lieues de chemin! Va, tu te souviendras de Pignolet de Grasse!

Et voilà le sacripant qui, de son baluchon, tire son maillet, son ciseau, et pan! d’un coup, à la grenouille il fait sauter une patte. On dit que l’eau bénite, comme teinte de sang, devînt rouge soudain, et la vasque du bénitier, depuis lors, est restée rougeâtre.

(Almanach Provençal de 1890.)

LA MONTELAISE

I

Une fois, à Monteux, qui est l’endroit du grand saint Gent et de Nicolas Saboly, il y avait une fillette blonde comme l’or. On lui disait Rose. C’était la fille d’un cafetier. Et, comme elle était sage et qu’elle chantait comme un ange, le curé de Monteux l’avait mise à la tête des choristes de son église.

Voici que, pour la Saint-Gent, fête patronale de Monteux, le père de Rose avait loué un chanteur.

Le chanteur, qui était jeune, tomba amoureux de la blondine; la blondine, ma foi, devint amoureuse aussi. Puis, un beau jour, les deux enfants, sans tant aller chercher, se marièrent; la petite Rose fut Mme Bordas.

Adieu, Monteux! Ils partirent ensemble. Ah! que c’était charmant, libres comme l’air et jeunes comme l’eau, de n’avoir aucun souci, que de vivre en plein amour et chanter pour gagner sa vie!

La belle première fête où Rose chanta, ce fut pour sainte Agathe, la vote des Maillanais.

Je m’en souviens comme si c’était hier.

C’était au café de la Place (aujourd’hui Café du Soleil): la salle était pleine comme un œuf. Rose, pas plus effrayée qu’un passereau de saule, était droite, là-bas au fond, sur une estrade, avec ses cheveux blondins, avec ses jolis bras nus, et son mari à ses pieds l’accompagnant sur la guitare.

Il y avait une fumée! C’était rempli de paysans, de Graveson, de Saint-Remy, d’Eyrague et de Maillane. Mais on n’entendait pas une mauvaise parole. Ils ne faisaient que dire:

– Comme elle est jolie! le galant biais! Elle chante comme un orgue, et elle n’est pas de loin, elle n’est que de Monteux!

Il est vrai que Rose ne chantait que de belles chansons. Elle parlait de patrie, de drapeau, de bataille, de liberté, de gloire, et cela avec une passion, une flamme, un tron de l’air, qui faisaient tressaillir toutes ces poitrines d’hommes. Puis, quand elle avait fini, elle criait:

– Vive saint Gent!

Des applaudissements à démolir la salle. La petite descendait, faisait, toute joyeuse, la quête autour des tables; les pièces de deux sous pleuvaient dans la sébile et, riante et contente comme si elle avait cent mille francs, elle versait l’argent dans la guitare de son homme, en lui disant:

– Tiens! vois; si cela dure, nous serons bientôt riches…

II

Quand Mme Bordas eut fait toutes les fêtes de notre voisinage, l’envie lui vint de s’essayer dans les villes.

Là, comme au village, la Montelaise fit florès. Elle chantait la Pologne avec son drapeau à la main; elle y mettait tant d’âme, tant de frisson, qu’elle faisait frémir.

En Avignon, à Cette, à Toulouse, à Bordeaux, elle était adorée du peuple. Tellement qu’elle se dit:

– Maintenant, il n’y a plus que Paris!

Elle monta donc à Paris. Paris est l’entonnoir qui aspire tout. Là comme ailleurs, et plus encore, elle fut l’idole de la foule.

Nous étions aux derniers jours de l’Empire; la châtaigne commençait à fumer, et Mme Bordas chanta la Marseillaise. Jamais cantatrice n’avait dit cet hymne avec un tel enthousiasme, une telle frénésie; les ouvriers des barricades crurent voir, devant eux, la liberté resplendissante, et Tony Réveillon, un poète de Paris, disait, dans la journal:

Elle nous vient de la Provence,

Où soufflent les vents de la mer,

Où l’on respire l’éloquence,

Tout enfant, en respirant l’air.

Tous les bras sont tendus vers elle…

Nous te saluons, ô Beauté:

Pour suivre tes pas, immortelle,

Nous quitterons notre Cité.

Tu nous mèneras aux frontières,

A ton moindre geste soumis,

Car tous les peuples sont nos frères,

Et les tyrans nos ennemis.